Le Pape Benoît XVI, dans l’homélie de la Messe de la Solennité de la Mère de Dieu, le 1er janvier 2007, à propos de cette maternité singulière de Marie, a déclaré : « Mère du Christ, Marie est aussi Mère de l’Église, ainsi que mon prédécesseur, le Serviteur de Dieu Paul VI, voulut le proclamer le 21 novembre 1964, au cours du Concile Vatican II. Marie est, enfin, la Mère spirituelle de l’humanité tout entière, car c’est pour tous les hommes que Jésus a donné son sang sur la croix, et c’est tous les hommes que, depuis la croix, il a confiés à ses soins maternels ».
Le 21 novembre 1964 en effet, au terme de la 3e Session du Concile Vatican Il, le Pape Paul VI a proclamé Marie, «Mère de l’Église» :
« A la gloire de la Vierge et pour notre réconfort à tous, Nous proclamons Marie, très sainte Mère de l’Église, c’est-à-dire de tout le Peuple de Dieu, aussi bien des fidèles que des Pasteurs, qui l’appellent Mère très aimante, et Nous voulons que dorénavant et sous ce titre, la Vierge Marie soit encore plus honorée et invoquée par tout le peuple chrétien ».
L’étude de ce nouveau titre de gloire de Marie va nous permettre d’approfondir quelques nouveaux aspects du Mystère de Marie en le replaçant dans le contexte de l’ensemble du Mystère chrétien :
Le Mystère de l’Église ; Marie, « Mère de l’Église » ; l’Église et Marie.
I. LE MYSTÈRE DE L’ÉGLISE
Un autre passage du même discours de Paul VI servira de point de départ à notre méditation sur l’Église :
« La réalité de l’Église ne s’épuise pas dans sa structure hiérarchique, sa liturgie, ses sacrements, ses ordonnances juridiques. Son essence profonde, la source première de son efficacité sanctificatrice sont à rechercher dans son union mystique avec le (Christ : union que nous ne pouvons penser disjointe de celle qui est la Mère du Verbe incarné ».
Ces paroles nous renvoient à la doctrine fondamentale de l’Église, « corps du Christ », «épouse du Christ».
« Le Christ est «’l’image du Dieu invisible », Premier-né de toute créature, car c’est en Lui qu’ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre… tout a été créé par ‘Lui et pour Lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en Lui. Et il est aussi la Tête du corps, c’est-à-dire de l’Église » (Col. 1, 15-18).
Dans ce « corps », nous, les baptisés, nous formons les membres. Or « tous les membres » doivent se conformer au Christ jusqu’à ce qu’Il soit formé en eux (Cf. Galates 4, 19). C’est pourquoi nous sommes assumés dans les mystères de sa vie, configurés à Lui, associés à sa mort et à sa résurrection, en attendant de l’être à son règne (Cf. Philippiens 3, 21 ; 2 Timothée 2, 11 ; Éphésiens 2, 6 ; Col. 2, 12 et Lumen Gentium, N° 7).
Essayons d’aller jusqu’au bout de cette doctrine fondée sur cette image du « corps». Le Christ, Verbe de Dieu, en s’incarnant et en devenant l’un d’entre nous, hormis le péché, conçu de l’Esprit-Saint en la Vierge Marie, a uni en LUI, non seulement une âme et un corps d’homme, c’est-à-dire la nature humaine, mais son incarnation elle-même a établi un lien à jamais entre Lui et l’humanité tout entière. Ce lien est comparé par saint Paul à celui qui unit l’âme et le corps, ou encore la tête et les membres du corps dans un être humain. Notons en passant que la seconde analogie (tête, membres) fait mieux ressortir le rôle « capital » du Christ (de «Tête» et de «Chef») dans I’ Église et l’action de l’Esprit-Saint, âme incréée de l’Église.
L’image de l’Église « épouse » du Christ comporte le même réalisme, tout en manifestant l’amour réciproque qui unit le Christ à l’Église, qui sont ici distingués comme deux personnes distinctes, mais unies réellement, comme deux époux, « deux dans une seule chair » (Genèse 2, 24) :
L’Église, nous dit le Concile, s’appelle encore la Jérusalem d’en-haut et notre Mère (Gal. 4, 26 ; cf. Apocalypse 12, 17) : elle est décrite comme l’épouse immaculée de l’Agneau immolé (Apocalypse 19, 7 ; 21 ; 2 et 9 ; 22, 17) que le Christ a aimée, pour laquelle il s’est livré afin de la sanctifier (Éphésiens 5, 26), qu’il s’est associée par un pacte indissoluble, qu’il ne cesse de nourrir et d’entourer de soins (Éphésiens 5, 29) ; l’ayant purifiée, il a voulu qu’elle lui soit unie et qu’elle lui soit soumise dans l’amour et dans la fidélité (Éphésiens 5, 25) la comblant enfin et pour l’éternité de biens célestes » (Lumen Gentium, N° 6).
« Tout comme la nature (humaine) prise par le Verbe divin est à son service comme un organe vivant de salut qui lui est indissolublement uni, de même le tout social que constitue l’Église est au service de l’Esprit du Christ qui lui donne la vie, en vue de la croissance du corps » (Lumen Gentium, N° 8-9).
II. MARIE, « MÈRE DE L’ÉGLISE »
Ce titre est la conséquence logique de ce qui précède : s’il y a un lien comme physique entre le Christ et l’Église qui est son corps, s’ils forment comme un seul être : le « Christ total », selon l’expression de saint Augustin, la mère du Christ sera aussi la Mère des « membres », la Mère de l’Église.
C’est bien là ce que nous dit encore Paul VI :
« C’est dans sa dignité elle-même de Mère du Verbe incarné » que ce titre de « Mère de l’Église » appliqué à Marie, « trouve sa justification, car elle est la Mère de Celui qui, dès le premier instant de l’Incarnation en son sein virginal s’est uni comme Chef son corps mystique qui est l’Église. Marie, donc, en tant que Mère du Christ, est Mère aussi de tous les pasteurs et fidèles, c’est-à-dire de l’Église. » (Discours du 25 novembre 1964).
II faut bien entendre ces paroles.
Marie est la « Mère de Dieu » parce qu’elle est la Mère de Jésus qui est Dieu. Sa maternité ne se résume pas uniquement par le don physique de la vie. Elle est humano-divine parce que la personne de son fils Jésus, le « Fils de l’homme », est celle du Fils de Dieu.
Marie est en même temps « Mère de l’Église », du fait même qu’elle est la Mère de Dieu, mais pas de la même manière. Sa maternité ici est purement spirituelle, parce qu’elle s’origine et se constitue dans l’Esprit-Saint, en vertu du lien spirituel qui unit le Christ et l’Église qui est son corps, la Tète et les membres. Elle n’en est pas moins réelle.
En effet, ces deux titres de gloire : Mère de Dieu, Mère de l’Église, que nous distinguons mieux aujourd’hui, ont en réalité un même et unique fondement : le même don de l’Esprit-Saint à Marie au jour de l’Annonciation, qui lui fait concevoir le « corps » du Christ, dans les deux sens du terme : son corps tissé de sa chair et de son sang, son « corps, qui est l’Église ». Mère de Jésus, elle est par le fait même, la Mère de Dieu et la Mère de l’Église, que Jésus, en s’incarnant en Marie, s’est unie à Lui-même comme une épouse bien-aimée et dont il est la Tête, c’est-à-dire le Chef.
Cette venue de l’Esprit en Marie fonde ce lien indissoluble de Maternité qui la relie au Christ et à l’Église en un unique mystère indissoluble. Marie est vraiment la « nouvelle Ève », la « Mère des Vivants » ; et en premier lieu la mère du « Vivant », c’est-à-dire de Jésus qui donne la Vie. C’est par elle que la joie est venue dans le monde : la joie de la naissance de ce «petit enfant» annoncé par les prophètes et par l’ange Gabriel, la joie de la naissance de la «nouvelle créature», l’Église régénérée par l’eau et par l’Esprit-Saint. Comme le dit fort bien le P. Sertillanges, par le fiat de Marie, « fut inaugurée cette diffusion du divin dont l’Église est l’organe. Elle a donc à l’égard de l’Église un caractère de source, de principe ; elle en est vraiment la Mère, et ce qui nous fait voir en elle le côté humain du Salut, c’est précisément cette proximité spirituelle avec l’institution qui sauve. ».
III. L’ÉGLISE ET MARIE
Essayons maintenant de tirer les conséquences pratiques de ce qui est exposé ci-dessus.
D’abord, avec tous les chrétiens, nous pouvons et nous devons reconnaître Marie comme notre Mère, l’aimer comme des fils. Chacun peut lui dire à bon droit : « Ma Mère » ; en fait, c’est dans l’Église et par rapport à l’Église, que cette invocation prend tout son sens : Marie est ma Mère parce qu’elle est la Mère de Jésus qui est mon frère, parce qu’elle est la Mère de l’Église. Ainsi, doit se mettre en place la « dévotion » filiale que nous devons avoir envers Marie : cette dévotion, tout en restant personnelle, est en premier lieu la reconnaissance du lien qui nous unit au Christ par Marie dans l’Église.
En second lieu, nous ne pouvons oublier que c’est par sa foi et par son obéissance qu’elle a mérité de devenir la Mère de Jésus et notre Mère : en Marie nous retrouvons donc la réalisation parfaite et personnelle de l’Église, c’est-à-dire le modèle le plus achevé de ce que nous devons être dans l’ordre de la foi, de l’espérance et de la charité, ces vertus théologales qui nous associent personnellement et communautairement à la vie même de Dieu, dans une parfaite union au Christ dans l’Esprit-saint : « En contemplant Marie dans la lumière du Verbe fait homme, nous dit Vatican Il, l’Église pénètre avec respect et plus avant dans le Mystère suprême de d’Incarnation et devient sans cesse plus conforme à son Époux (Lumen Gentium, N° 65). En imitant la charité de Marie, en accomplissant fidèlement la volonté du Père, l’Église, grâce au Verbe de Dieu qu’elle reçoit dans la foi, devient à son tour une Mère : par la prédication en effet et par le baptême, elle engendre à une vie nouvelle des fils conçus de l’Esprit-Saint et nés de Dieu » (Lumen Gentium N° 64). « C’est pourquoi, dans l’exercice de son apostolat, l’Église regarde, à juste titre, vers celle qui engendra le Christ, conçu de l’Esprit-Saint et de la Vierge, pour faire naître et grandir ce Christ dans le cœur des fidèles » (Ibid. N° 65).
Avec Marie, nous sommes donc associés à la naissance et à la croissance de l’Église. Elle nous donne la mesure des sentiments qui doivent animer toute vie apostolique : « La Vierge a été, dans sa vie, l’exemple de cet amour maternel dont doivent être animés tous ceux qui coopèrent à la mission apostolique de l’Église et qui coopèrent à la nouvelle naissance des hommes » (Ibid., N° 66).
Enfin, Marie, « ressuscitée » en corps et en âme, réunie à son Fils dans la gloire et jouissant auprès de Lui de la récompense promise à ceux qui l’aiment, devance en quelque sorte l’Église et fonde son espérance dans la réalisation des promesses de la vie éternelle. Arrivée au terme, « elle veille sur le Peuple de Dieu encore en pèlerinage et sur les frères de son Fils qui se trouvent encore engagés dans les périls et les épreuves jusqu’à ce qu’ils parviennent à la Patrie bienheureuse » (N° 62). C’est sur ce fondement que repose notre prière de demande à Marie, notre Mère et la Mère de Dieu, car jusqu’à la fin des temps, nous savons qu’unie à Jésus, elle joint son intercession à l’intercession toute puissante de son Fils pour ses fils de la terre, pèlerins et « pauvres pécheurs ».
Sur le rapport filial du disciple bien-aimé – et de chaque vrai chrétien – avec Jésus et Marie, Origène, dans son commentaire sur l’Évangile de Jean, écrit une page inoubliable :
« Les prémisses de toutes les Écritures sont les Évangiles ; mais la prémisse des Évangiles est celui de Jean. Personne ne peut en comprendre le sens, s’il n’a pas reposé sa tête sur la poitrine de Jésus et n’a pas reçu de Jésus, Marie, devenue aussi sa Mère. C’est ainsi que devra être celui qui voudra être un autre Jean que – comme à propos de Jean – Jésus puisse dire de lui qu’il est Jésus. Si en effet personne d’autre n’est enfant de Marie en dehors de Jésus, et si Jésus dit à la Mère : « Voici ton fils », c’est comme s’il disait : « Voici, celui-ci est Jésus que tu as engendré ». Parce que tout être humain parfait ne vit plus, mais c’est le Christ qui vit en lui; et si le Christ vit en lui, il dit à Marie à son sujet: «Voici le Christ ton fils».
POUR TOUT RÉSUMER ET EN CONCLUSION : Marie est à la fois la très digne Mère de Dieu, la Mère de l’Église et notre Mère.
Dès lors, une meilleure connaissance de Marie doit nous aider à mieux connaître la réalité profonde de l’Église, épouse et corps du Christ ; réciproquement aussi, une meilleure connaissance de la réalité de l’Église dans le Mystère du Christ devrait nous aider à mieux comprendre Marie et son rôle maternel et virginal.
Il faut donc replacer Marie dans le Mystère du Christ qui est, avant tout, un mystère d’union : unis au Christ, nous le sommes aussi avec Marie, avec l’Église, avec tous les hommes dans la communion de cette Vie du Père, communiquée par le Fils dans l’Esprit.
Dès lors aussi, il nous faut prendre davantage conscience de la dimension ecclésiale et mariale de notre vie théologale (foi, espérance et charité) et de tout apostolat dans l’Église animée de Jésus.
Il n’y a, peut-on dire, qu’un seul amour : cet amour « qui a été mis dans nos cœurs par l’Esprit-Saint et qui fait dire à Dieu avec le Christ : Abba, Père ! » et qui nous lie aussi à Marie et à l’Église, comme des Fils et, les uns avec les autres, comme des frères.