LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS Ve JOUR.
FUITE EN ÉGYPTE.
Surge, et accipe Puerum, et matrem ejus, et fuge in Egyptum.
Levez-vous, prenez l’Enfant et sa mère, et fuyez en Égypte. Matthieu 2.
Ier Point.
Il n’y a que quelques jours que Jésus habite sur la terre ; il est encore étendu dans son berceau, et déjà son enfance est un objet de terreur pour l’impiété. A peine le cruel Hérode a-t-il reçu la nouvelle de sa naissance, à peine s’est-il fait représenter les prophéties qui annoncent la venue d’un Rédempteur, qu’il forme le dessein de s’opposer lui-même à l’accomplissement des oracles célestes : il nourrit dans son cœur des projets barbares et sacrilèges, et sourit d’avance à la pensée de la victoire qu’il se flatte de remporter sur le Ciel.
L’insensé ! il ignore qu’une puissance invisible scrute ses pensées les plus secrètes, et se jouera de ses téméraires efforts! il ne sait pas que l’œil qui veille sur le berceau de Jésus-Christ, lit au fond de son cœur, et connaît ses desseins criminels avant qu’il les conçoive !
Non, tyran barbare, tu ne triompheras pas de cet enfant qui paraît aujourd’hui si faible : tu le chercheras pour l’immoler, mais il sera dérobé à ta fureur. Tu as prétendu, dans ta folle impiété, faire varier les décrets éternels ; tu as voulu prouver qu’il était en ton pouvoir de convaincre les Livres saints de mensonge et d’imposture : eh bien ! tu vas servir toi-même à l’accomplissement de ces prophéties qui excitent ta rage.
En vertu de tes ordres cruels, le sang de l’innocence va ruisseler ; mais le fer de tes satellites n’arrivera pas jusqu’au berceau de Jésus-Christ. Une prévoyance surhumaine l’éloignera du théâtre de ta barbarie ; tu ne recueilleras pour tout succès que les malédictions des mères, et ta mémoire odieuse ne vivra dans la postérité que pour être un objet d’opprobre et d’infamie chez toutes les générations.
Avant que la sentence d’Hérode pût être mise à exécution, un ange fut envoyé du Ciel pour ordonner à la sainte famille de quitter les lieux soumis à la domination de ce prince cruel, et de partir pour l’Égypte.
Mais pourquoi exposer le divin Enfant à un voyage si long et si périlleux ? Père céleste ! ne pourriez-vous pas soustraire votre Fils au couteau du tyran, sans l’exiler sur une terre habitée par des gens qui ne connaissent pas votre nom ? ne pourriez-vous pas frapper d’aveuglement les exécuteurs des ordres d’Hérode, ou glacer subitement le bras sacrilège qui oserait approcher le fer du corps de mon Sauveur ?
Ah ! oui sans doute, vous le pourriez ; mais le moment n’est pas venu de faire éclater votre puissance : d’ailleurs un semblable prodige ouvrirait peut-être les yeux d’Hérode, et l’éclairerait sur la noirceur de son crime, tandis que ce prince cruel, livré à toute la corruption de son cœur, est indigne de recevoir du Ciel un avertissement si manifeste
Il attribuera à son imprévoyance l’inutilité de ses mesures, et sa rage forcenée, accrue, s’il est possible, par le souvenir de son impuissance entretiendra dans son esprit les ténèbres épaisses d’une impiété délirante.
Mais que va devenir le divin Enfant dans les régions où l’ont relégué les volontés éternelles ? O mon âme ! apprend ici que Dieu n’exige jamais rien de toi qui soit au-dessus de tes forces; et que, s’il t’ordonne quelquefois des sacrifices qui te paraissent impossibles, il a toujours l’intention de t’accorder les grâces nécessaires pour que tu puisses triompher de tous les obstacles.
La même main qui a protégé le berceau de Jésus contre les fureurs d’Hérode, le guide à travers les déserts jusqu’en Égypte, et les ramènera dans la terre d’Israël, après la mort du tyran.
IIe Point.
Mais ne puis-je pas recueillir d’autres leçons dans cette fuite précipitée de mon Sauveur ?
Si Jésus-Christ, tout Dieu qu’il est, obéit aux ordres de son Père, lorsqu’il lui commande de se soustraire par la fuite à la persécution d’un prince cruel, quelle témérité n’y a-t-il point de ma part à aller au-devant du danger, comme je le fais quelquefois, et à m’exposer volontairement à des occasions où je cours le risque de perdre mon innocence !
Le langage que je tiens n’est-il pas celui d’un insensé lorsque je me dis à moi-même : je saurai agir avec prudence, et je ne m’avancerai pas assez loin pour courir un danger réel ; lorsque j’apercevrai l’ennemi, je me retirerai ; ou bien : je ne suis pas tellement faible, que je me laisse terrasser aux premiers coups ; je sais à quoi m’en tenir, et je ferai bien en sorte de ne pas succomber?
Malheureux que je suis! je prétends connaître le point au-delà duquel le danger devient réel, et je ne crains pas de m’avancer avec assurance jusqu’à cette limite délicate !
Et qui me dit que je ne me trompe pas? qui me dit que je ne suis pas aveuglé par mes passions, et que je ne me repose pas avec sécurité dans le lieu le plus périlleux ? qui me dit enfin, qu’après m’être avancé sans crainte jusqu’à ce point si difficile à déterminer, je ne rencontrerai pas un ennemi qui me le fera franchir ?
Je ne suis pas assez faible pour me laisser terrasser aux premiers coups : hélas I comment osé-je proférer de semblables paroles? Quand je serais le plus fort de tous les hommes, pourrais-je avec raison m’autoriser de cette force pour m’exposer au danger? et ne sais-je pas que tout homme, quel qu’il soit, n’est par lui-même que faiblesse et que misère ?
D’ailleurs suis-je plus fort que tant de saints personnages, dont les chutes déplorables sont encore pour l’Église un sujet de gémissement et de douleur ? et s’il est vrai que la leçon de l’expérience soit toujours la plus sûre, que m’apprend-elle au sujet de cette prétendue force que je fais tant valoir pour autoriser ma témérité ? Combien d’écueils que je n’ai pu surmonter! combien d’assauts où j’ai été honteusement vaincu !
Combien de naufrages imprévus sur une mer dont le calme et la tranquillité me rassuraient ! Oh ! si je ne m’aveuglais pas sur ma faiblesse ; si les tristes épreuves que j’ai faites de ma misère et de mon impuissance m’avaient éclairé sur les véritables dispositions de mon âme, quelle idée aurais-je aujourd’hui de moi-même? ne rougirais-je pas de témoigner la moindre confiance en mes propres forces ?
Depuis que je paie si chèrement le honteux et coupable plaisir de satisfaire ma témérité, n’aurais-je pas dû apprendre que celui-là est réellement le plus fort, qui croit l’être le moins, et m’appliquer à moi-même ces paroles de l’Apôtre : Que celui qui se croit ferme, prenne garde de tomber?
Mais, ô mon âme ! le mystère que tu médites ne te rappelle-t-il pas une autre sorte d’infidélité bien plus criminelle encore ? Combien de fois ne t’es-tu pas autorisée des miséricordes divines pour t’exposer volontairement à des périls dont le sentiment de ta faiblesse aurait dû t’éloigner !
Parce que tu avais été favorisée, en plusieurs rencontres, des effets de cette miséricorde ineffable, était-ce une raison pour que tu pusses compter toujours sur le secours céleste, comme si Dieu l’avait mis à ta disposition ? devais-tu retourner en insensée au-devant de tes ennemis, parce que la bonté de ton Sauveur t’avait dérobée la première fois à leurs dangereuses embûches?0l’étrange moyen d’attirer sur toi les grâces et les faveurs du Ciel !
Comment osais-tu prétendre à l’assistance divine, dans le moment même où tu outrageais la libéralité de ton suprême bienfaiteur par la conduite la plus indigne et la plus téméraire? Espérais-tu donc que le Ciel opérerait plutôt un prodige que de te laisser en la puissance de ton ennemi? Mais ce prodige n’a pas été opéré en faveur du Fils de Dieu, puisque tu le vois aujourd’hui contraint de fuir sur une terre étrangère.
Tu voudrais donc que le Père céleste te traitât avec plus d’indulgence qu’il n’a traité son Fils bien-aimé ? fut-il jamais aveuglement plus déplorable, ingratitude plus révoltante ?
PRIÈRE.
Il n’est que trop vrai, ô mon Dieu ! que ma faiblesse est extrême, et que j’ai toute» sortes de raisons pour ne point me fier à mes propres forces. Toutes les fois que j’ai résisté à votre grâce, lorsqu’elle me pressait de fuir des occasions dangereuses, toutes les fois que j’ai voulu m’avancer témérairement sur une route semée d’écueils, j’ai fait des chutes funestes et déplorables.
Et qui suis-je donc, ô mon Dieu ! pour prétendre triompher, sans votre secours, de l’ennemi de mon salut? Je vois tous vos plus fervents serviteurs s’humilier profondément devant vous; je les vois tremblants et craintifs au souvenir de leur faiblesse et de leur misère, et moi je m’aveugle au point de me croire capable par moi-même de lutter avec succès contre le démon !
O mon Sauveur ! daignez, je vous en conjure, daignez m’éciairer sur mes infirmités : pénétrez-moi d’une sainte frayeur à l’approche du danger, afin que je ne le recherche pas, comme je l’ai fait trop souvent ; et lorsque je m’y verrai exposé, sans qu’il m’ait été possible de l’éviter, ne permettez pas que je compte jamais sur mes propres forces, mais faites que je mette toute ma confiance dans la puissance de votre secours.
RÉSOLUTIONS.
1. Je m’éloignerai avec soin de toutes les occasions dangereuses, et je me représenterai souvent les malheureuses épreuves que j’ai faites de ma faiblesse, pour parvenir à extirper en moi tout sentiment d’orgueil et de confiance en mes propres forces.
2. Je ne murmurerai jamais lorsque Dieu m’ordonnera quelques sacrifices qui me paraîtront pénibles. Je regarderai les dons de la grâce comme des bienfaits dont je serai toujours indigne, et j’éviterai surtout de me prévaloir des miséricordes célestes pour autoriser mes démarches téméraires ou inconsidérées.
D’après un texte de Malines 1839