EUCHARISTIE MÉDITÉE 29
La vieillesse ou le soir et l’hiver de la vie.
Seigneur, demeurez avec nous, car il se fait tard.
29e ACTION DE GRÂCES.
Je vous adore en moi, ô Jésus Dieu vivant, vous qui seul êtes celui qui est, qui seul êtes la vie, la vie véritable, la vie dont je veux vivre, dont j’ai soif et sans laquelle je meurs. Donnez-la-moi cette vie, ô bien-aimé Sauveur, communiquez-la à mon âme, donnez-la-lui pleine, entière et abondante.
Je ne trouve en moi, il est vrai, que misères, infidélités, ingratitudes, et cependant, Seigneur, je ne veux plus que vous, j’aspire à vous de toutes les forces de mon âme, et cette âme, détachée de tout, dit à tout cœur qui n’est pas le vôtre : Vous êtes trop étroit pour contenter le mien, à toute lumière qui ne m’apprend rien de votre beauté, de vos perfections infinies : Vous n’êtes que ténèbres, à tout trésor qui n’est pas vous : Vous n’êtes qu’indigence.
En un mot, ô Jésus, tout ce qui n’est pas vous ne saurait me suffire, c’est vous, c’est vous seul qu’il me faut, sans vous toutes choses ne me sont rien, et hors de vous mon âme trouve amertume, affliction et douleur.
Oui, ô Jésus, mon âme a soif de vous, soif de vous voir, soif de vous posséder, soif surtout de vous aimer. Donnez-le-moi votre amour, ô mon Dieu, mais un amour sans mesure, un amour sans mélange, un amour sans fin. Restez avec moi, ô vous qui êtes la source des clartés sans ténèbres, des joies sans mélange, des biens impérissables. Demeurez avec moi, ô Jésus.
Hélas ! j’aurais dû vous appeler, vous retenir dès le premier rayon d’intelligence qui vous révéla à mon âme ; mais j’ai erré loin, bien loin de vous une grande partie du jour de ma vie, et maintenant que ce jour baisse, que les ombres de la mort descendent rapidement sur mon horizon, ne méprisez pas, Seigneur, mes tardives supplications, pardonnez-moi mes égarements, mes infidélités, mon ingratitude et ne repoussez pas les regrets d’un cœur sincèrement contrit et humilié.
Ma vie a passé comme un songe, mes jours se sont enfuis comme une ombre fugitive ; ces jours ont été courts, ils n’ont pas été toujours mauvais. Mais vous le savez, ô Jésus, mes yeux ont versé bien des larmes, de grandes, de poignantes douleurs ont torturé, ont brisé mille fois mon cœur, la route de mon pèlerinage n’a pas été semée de fleurs, mais d’épines, et chacun de mes pas y a laissé pour trace une douleur ou un regret.
Et cependant, ô mon Dieu, ces jours, ces années semées pour moi de tant d’afflictions et dont le poids accablait ma faiblesse, dont la durée parfois m’a paru si longue, ont passé avec la rapidité de l’éclair; de ces heures d’angoisses, de tristesse et de deuil, à peine me reste-t-il un vague et confus souvenir ; ont-elles été stériles et perdues pour moi?
Ont-elles déposé quelques mérites dans le trésor de vos miséricordes ? Je l’ignore, tout ce que je sais, c’est que le jour de ma vie baisse, que je suis au soir, que je m’achemine vers la tombe qui s’ouvre devant moi et qu’il me semble cependant toucher encore à mon berceau, tant l’espace qui le sépare de ma tombe me paraît rapproché.
Ah! demeurez avec moi, ô Jésus, car il se fait tard, le jour de ma vie est à son déclin, ne me quittez pas, restez avec moi pour assurer mes derniers pas, laissez-moi m’appuyer sur vous jusqu’à la fin de ma course, ayez pitié de ma faiblesse , ne m’abandonnez pas, restez avec moi pour adoucir les angoisses du suprême combat, pour essuyer mes dernières larmes, pour soutenir, fortifier et consoler mon âme dans les luttes et les mortelles frayeurs de la dernière agonie.
Que mes derniers regards s’attachent sur vous, ô Jésus, dans votre Eucharistie, que ce pain sacré soit mon viatique et mon dernier aliment, que ce soit sur votre cœur adorable que s’éteignent les derniers battements du mien et que te dernier sentiment de ce cœur soit un sentiment de reconnaissance, d’action de grâce pour votre Eucharistie, pour cet adorable Sacrement qui a été pour moi la source de tant de grâces, la plus douce joie de ma vie, ma consolation, mon bonheur.
Ne me quittez pas, ô bien-aimé Sauveur ; demeurez avec moi pendant les quelques jours qui me restent encore à passer sur la terre. Vous le voyez, Seigneur, la route devient de plus en plus difficile, plus j’approche du terme, plus les épreuves se multiplient.
Hélas ! mes forces sont épuisées, mon âme est sans courage, sans énergie, elle va tomber en défaillance si vous ne vous faites vous-même sa force, son courage, si vous ne restez avec elle pour l’aider à supporter les rudes épreuves que votre providence lui ménage, à accomplir généreusement les derniers efforts que vous lui demandez.
Votre Eucharistie n’est-elle pas le pain qui fait les forts? n’est-ce pas ce pain divin qui rend les martyrs invincibles et comme insensibles aux plus affreux tourments. N’est-ce pas lui qui leur fait dominer la mort et trouver des joies divines, de célestes voluptés au milieu des atroces supplices qu’invente pour les vaincre la cruauté des tyrans?
Les martyrs livrés à eux-mêmes, eussent été faibles comme je le suis moi-même, unis à vous, nourris de vous, ils étaient forts de votre force, vous souffrirez en eux et votre amour leur adoucissait les aiguillons de la douleur.
Restez donc avec moi, ô Jésus, pour être ma force, mon courage, pour me soutenir et me consoler dans ces jours de douloureuse séparation si fréquents au déclin de la vie, pour adoucir l’amertume de mes larmes, alors que je verrai la tombe s’ouvrir et se refermer sur quelques-uns des rares amis qui me restent encore sur la terre, chères épaves échappées au naufrage de toutes mes affections, amis d’autant plus chers qu’ils sont devenus plus rares, qu’ils ont partagé les joies et les douleurs de ma vie tout entière, et qu’une longue habitude de verser tout mon cœur dans leurs cœurs me les a rendus en quelque sorte nécessaires.
Ah ! s’il vous plaît de me les reprendre, ô mon Dieu, arrêtez la plainte sur mes lèvres, élevez mon âme plus haut que cette misérable terre, où rien n’est stable, où tout finit et que je vais bientôt quitter à mon tour.
Consolez-moi par la douce espérance de retrouver dans votre sein pour ne plus m’en séparer jamais ceux qui m’y précèdent seulement de quelques jours; faites que mon amour pour vous s’accroisse à chaque nouveau sacrifice que vous me demandez, et que mes affections en se brisant, en dénouant un à un les liens qui attachent mon cœur à la terre, rendent plus étroits et plus forts ceux qui l’unissent à votre cœur adorable.
Enfin, ô Jésus, demeurez avec moi jusqu’à mon dernier jour, que le soleil de votre Eucharistie éclaire et assure les derniers pas que je ferai sur la terre, qu’il soit la joie de ma vieillesse, comme il a été la joie de ma jeunesse, que ses divins rayons éclairent mon lit de mort, qu’ils fassent sentir à mon cœur leur divine chaleur jusque sous les étreintes glacées de la main de la mort.
Accompagnez-moi, ô miséricordieux Sauveur, jusqu’au seuil de l’éternité, endormez mon âme sur votre sein comme une mère endort sur le sien son petit enfant, qu’elle ne soit pas un seul instant séparée de vous, et qu’en s’éveillant elle voie commencer pour elle les inénarrables délices de l’éternelle communion du ciel.
Ô Marie, Vierge immaculée, vous qui seule avez bien compris et dignement apprécié le don divin de l’Eucharistie, vous qui après l’ascension de votre divin Fils, le retrouviez chaque jour avec tant de joie et de bonheur dans ce sacrement d’amour, vous dont l’Eucharistie était la consolation et la vie, voyez combien ce pain sacré m’est cher et nécessaire, ne permettez pas que j’en sois privé, s’il faut l’acquerir par des souffrances et par des sacrifices, le manger pour ainsi dire à la sueur de mon front.
Vous le savez, ô tendre Mère, je ne les refuse pas, je sais que la communion fréquente est un engagement aux souffrances et au martyre du cœur, et qu’en communiant à la chair et au sang de votre divin Fils, je dois communier à ses douleurs et à son esprit, qui est l’esprit de la croix.
Obtenez-moi la grâce, ô Vierge sainte, d’être généreux et de ne pas reculer devant les sacrifices ; mais obtenez-moi également celle de ne pas être privé de la seule consolation qui puisse les adoucir et les rendre faciles, la sainte communion.
Et puis, ô tendre Mère, ayez pitié de l’indigence de votre enfant, et offrez à votre divin Fils toutes les richesses de votre cœur immaculé pour suppléer à ce qui me manque quand je me dispose à le recevoir, ou que j’ai le bonheur de le posséder. Ainsi soit-il.
Léonie Guillebaut