Pèlerinage aux saintes Écritures
JEUDI (4e semaine de Carême) Ex 32,7-14 Jn 5,31-47
Ce sont les Écritures qui me rendent témoignage (Jn 5,39)
Si, lentement instruits par l’Église, pénétrés de son souffle vivifiant, nous entrons avec un cœur docile dans le monument même de la vérité tel que Dieu l’a construit (et qui est l’Écriture), nous rencontrerons bien des ombres dans les profondeurs, des passages où il faudra courber la tête, des sublimités où notre intelligence sera sur le point de faillir.
Mais, soutenus par l’Église elle-même, notre compagne inviolable, nous marcherons de clartés en clartés sous le firmament de la sainte parole, nous jouant avec elle dans les plans découverts de l’éternité, admirant de proche en proche Jésus Christ qui s’avance, l’attendant avec les patriarches, le regardant venir avec les prophètes, le saluant sur la harpe des psaumes, jusqu’à ce qu’enfin, au seuil du second temple, il nous apparaisse tout chargé de sa gloire et de sa mort, victime prédestinée de la réconciliation des âmes, et souveraine explication de tout ce qui est par tout ce qui fut.
Cette vision de Jésus Christ ne remplit pas seule le long tissu des saints livres ; elle s’y entrelace aux grands événements du monde. Le chrétien les y voit sous la main de la Providence, conduits par des lois de justice et de bonté.
Il démêle à cette lumière la succession des empires, l’avènement et la chute des races fameuses. Il comprend que le hasard n’est rien, ni la fatalité non plus, mais que tout marche sous la double impulsion de la liberté de l’homme et de la sagesse de Dieu.
Cette vue de l’histoire dans la vérité de ses causes le ravit. Il y puise un entendement de la vie qu’aucune expérience ne lui donnerait, parce que l’expérience ne révèle que l’homme, tandis que l’Écriture révèle à la fois Dieu dans l’homme et l’homme en Dieu.
Cette révélation ne se fait pas seulement sentir aux grands moments de la Bible ; elle est partout. Dieu ne s’absente jamais de son œuvre. Il est au champ de Booz, derrière la fille de Noémi, comme il est à Babylone au festin de Balthazar. Il s’assied sous la tente d’Abraham, voyageur fatigué du chemin, comme il se repose au sommet du Sinaï dans les foudres qui annoncent sa présence.
Il assiste Joseph dans sa prison, comme il couronne Daniel dans la captivité. Les moindres détails de la famille ou du désert, les noms, les lieux, les choses, tout est plein de lui, et c’est dans une route de quarante siècles, de l’Éden au Calvaire, de la justice perdue à la justice recouvrée, qu’on suit de la sorte et pas1 à pas tous les mouvements de sa tendresse et tous ceux de sa force.
Qui pourrait revenir insensible d’un si profond pèlerinage ? Qui pourrait, conduit par la foi sur de telles traces, ne pas rentrer meilleur au foyer de sa propre vie ? La Bible est tout à la fois le drame de nos destinées, l’histoire primitive du genre humain, la philosophie des saints, la législation d’un peuple élu et gouverné par Dieu.
Elle est dans une providence de quatre mille ans la préparation et le germe de tout l’avenir de l’humanité ; elle est le dépôt des vérités qui lui sont nécessaires, la charte de ses droits, le trésor de ses espérances, l’abîme de ses consolations, la bouche de Dieu sur son cœur ; elle est enfin le Christ Fils de Dieu, qui l’a sauvé.
Lacordaire Deuxième lettre à Emmanuel, dans Lacordaire et la Parole de Dieu, La Pensée catholique, Bruxelles 1962, p. 66-67.