Sous le regard de Dieu.

Sous le regard de Dieu.

La sincérité est l’acte par lequel je me mets moi-même sous le regard de Dieu. Il n’y a point de sincérité ailleurs. Car pour Dieu seul il n’y a plus de spectacle, plus d’apparence. Il est lui-même la pure présence de tout ce qui est. Quand je me tourne vers lui, il n’y a plus rien qui compte en moi, que ce que je suis.

Car Dieu n’est pas seulement l’œil toujours ouvert à qui je ne puis rien dissimuler de ce que je sais de moi-même, mais il est cette lumière qui perce toutes les ténèbres et qui me révèle tel que je suis, sans que je sache que je l’étais. Cet amour-propre qui me cachait à moi-même est un vêtement qui tombe tout à coup. Un autre amour m’enveloppe qui rend mon âme même transparente.

Aussi longtemps que la vie persiste en nous, nous gardons encore l’espoir de changer ce que nous sommes ou de le dissimuler. Mais dès que notre vie est menacée ou près de finir, il n’y a plus que ce que nous sommes qui compte. On n’est parfaitement sincère que devant la mort, parce que la mort est irrévocable et donne à notre existence, qu’elle achève, le caractère même de l’absolu.

C’est ce que nous exprimons en imaginant le regard d’un juge auquel rien n’échappe et qui, au lendemain de la mort, aperçoit la vérité de notre âme jusque dans ses détours les plus reculés.

Et que signifie ce regard, sinon l’impossibilité où nous sommes de rien ajouter à ce que nous avons fait, de nous évader de nous-même dans un nouveau futur, de distinguer encore de notre être réel notre être manifesté, et, au moment même où la volonté devient impuissante, de ne point embrasser dans un acte de contemplation pure cet être maintenant accompli, et qui n’était jusque-là qu’une ébauche toujours soumise à quelque retouche ?

Ce n’est pas assez dans la sincérité d’évoquer Dieu comme témoin, il faut l’évoquer aussi comme modèle. Car la sincérité n’est pas seulement de se voir dans sa lumière, mais de se réaliser conformément à sa volonté. Que suis-je, sinon ce qu’il me demande d’être ?

Mais une distance infinie se révèle aussitôt à moi entre ce que je fais et cette puissance qui est en moi et que mon seul vœu pour¬tant est d’exercer : or je ne cesse d’y manquer, et dans la proportion même où j’y manque, je ne suis plus pour moi et pour autrui qu’une apparence qu’un souffle dissipe, et que la mort abolira.

Tel est le véritable sens qu’il faut donner à ces paroles : « celui qui rougit de moi en ce monde, je rougirai de lui devant mon Père. Celui qui me re¬connaît en ce monde, je le reconnaîtrai devant mon Père. Je suis venu dans le monde afin de rendre témoignage à la vérité. »

Louis LAVELLE