se mesure dans la vie des gens
Beaucoup de Boliviens avaient bravé le froid pour assister ce jeudi matin, sur la Place du Christ-Rédempteur, à Santa Cruz, à la messe d’ouverture du Ve congrès eucharistique national. La célébration a été présidée par le Pape François, arrivé la veille dans le pays. Lors d’une messe multilingue, on y a prié et chanté en espagnol, certes, mais également en guarani, quechua et aymara, les trois principales langues indigènes d’Amérique du Sud. Dans son homélie, le Saint-Père a appelé le peuple bolivien à prendre soin de sa mémoire, à aller à contre-courant d’une logique de rejet, pour promouvoir une culture de communion et d’inclusion.
A l’ombre de la monumentale statue du Christ-Rédempteur, un autel décoré avec simplicité. le Pape a appelé fidèles à préserver la mémoire de leur peuple. Une mémoire souvent anesthésiée, par des situations qui instillent une tristesse mortifère pour l’espérance. C’est cette tristesse qui « nous fait perdre la mémoire du peuple aimé, peuple élu ». Cette perte nous désagrège, fait en sorte que nous nous fermons aux autres, spécialement aux pauvres.
« Dans un cœur désespéré, il est très facile que prenne place la logique qui prétend s’imposer dans le monde d’aujourd’hui. Une logique qui cherche à tout transformer en objet d’échange, de consommation, qui rend tout négociable. Une logique qui prétend donner espace à un petit nombre, en écartant tous ceux qui ne ‘‘produisent’’ pas, qui ne sont pas considérés aptes ou dignes parce qu’apparemment ‘‘les comptes n’y sont pas’’ ».
Reprenant l’invitation du Christ lancée à ses disciples lors de l’épisode de la Multiplication des pains – « donnez-leur vous-mêmes à manger » -, le Pape a assuré que cette invitation résonne encore aujourd’hui sur cette place : « ça suffit avec ceux qui sont mis à l’écart, donnez-leur vous-mêmes à manger ». Jésus nous indique la route, celle du miracle. Il prend le pain, le bénit, et le partage : d’une logique de mise à l’écart, le Christ, par ces trois gestes, en fait une logique de communion, de communauté.
Le partage, finalité de la bénédiction
Quand il prend le pain, le Christ « prend très au sérieux la vie des siens, a expliqué le Pape. Il les regarde dans les yeux, et à travers ces yeux, il comprend leur vie, leurs sentiments. Il voit dans ces regards ce qui palpite et ce qui a cessé de palpiter, dans la mémoire et dans le cœur de son peuple ». Il n’est pas question ici d’objets, de biens culturels, mais de personnes. Car « la richesse authentique d’une société se mesure dans la vie de ses gens, elle se mesure dans les personnes âgées qui réussissent à transmettre leur sagesse et la mémoire de leur peuple aux plus petits ».
Jésus, ensuite, bénit le Pain. Bénir, « c’est reconnaître que la vie est toujours un don, un cadeau qui, placé entre les mains de Dieu, acquiert une force de multiplication. Notre Père n’enlève rien, il multiplie tout ».
Enfin, Jésus partage le pain. Le partage est la finalité de la bénédiction, un engagement à part entière, « qui désire reconstruire la mémoire d’être un peuple saint, un peuple invité, appelé à porter la joie du salut ». Par son geste, « Jésus réussit à créer un courant entre les siens, tous partageaient ce qu’ils avaient ». Le peuple mange ainsi à sa faim, et recueille ce qui reste en sept corbeilles, car « une mémoire prise entre les mains, bénie, et offerte, rassasie toujours un peuple ». L’Église est une communauté qui fait mémoire : « nous ne sommes pas des personnes isolées, séparées, mais le peuple de la mémoire actualisée et toujours offerte ».