LETTRE DE L’AVENT – MISÉRICORDE » :
LE MOT QUI ME PARLE LE PLUS
L’examen de conscience particulier et général
Chers membres du Mouvement de la Famille vincentienne,
La grâce et la paix de Jésus soient toujours avec nous !
Les portes du temps de l’Avent s’ouvriront bientôt et un temps de grâce nous sera à nouveau offert : un temps pour regarder en nous-mêmes, pour regarder vers le ciel, jour et nuit, pour nous tourner vers Jésus qui nous inspirera non seulement de nous préparer pour le temps de Noël, mais aussi de poser de nouvelles fondations solides pour notre maison spirituelle.
Cela ne se limitera pas à une seule partie de l’année, mais impliquera une construction continue de cette maison selon le rêve de Jésus pour chacun de nous. Elle est orientée vers notre objectif commun : atteindre la maison du Père, connaître la plénitude du Royaume, jouir de la vie éternelle, être avec Jésus et les milliards de saints qui nous attendent au ciel pour toujours !
On raconte l’histoire d’un roi qui aimait lire. Dans son château, il possédait de nombreuses bibliothèques de plusieurs centaines de mètres de long, remplies de nouveaux livres qu’il achetait constamment en raison de son esprit extraordinairement curieux. Au cours de sa vie, il avait lu des milliers de livres.
Cependant, le roi devint vieux et fut atteint d’une maladie incurable. Les médecins lui dirent : « Il ne vous reste que six mois à vivre ». Comme le roi aimait beaucoup les livres, il ordonna à une équipe de cent personnes de se rendre dans ses nombreuses bibliothèques pour lire les mille livres qu’il n’avait pas encore lus et en sélectionner cent qu’il espérait encore pouvoir lire.
Au bout de quatre mois, l’équipe de lecteurs présenta au roi une liste de cent livres, choisis parmi les mille premiers. Cependant, la santé du roi s’étant détériorée entre temps, il se rendit compte qu’il ne serait pas en mesure de lire cent livres pendant les deux mois que les médecins lui laissaient encore à vivre.
Le roi demanda à l’équipe de lecteurs de dresser une nouvelle liste, en ne sélectionnant plus que dix sur les cent livres. Cette fois, les lecteurs revinrent beaucoup plus vite. Au bout d’un mois, ils avaient sélectionné dix livres qu’ils apportèrent au roi, mais la santé de ce dernier s’était encore détériorée.
Le roi avait presque perdu la vue et sa capacité à lire était fortement diminuée. Il se rendit compte qu’il ne pourrait même pas lire dix livres pendant le temps qu’il lui restait à vivre. Le roi espérait encore pouvoir lire au moins un livre avant de mourir. Il demanda à l’équipe de lecteurs de choisir un seul livre d’ici deux semaines.
L’équipe s’était acquittée de sa tâche et, deux semaines plus tard, elle revint auprès du roi déjà mourant. Le roi était devenu totalement aveugle, presque sourd, il était affaibli et dormait plusieurs heures par jour. Par moments, cependant, son esprit était encore assez éveillé. Il avait assez de force pour demander à l’équipe de retravailler et de résumer en un jour ce livre en un seul mot. Le roi pensait que ce serait probablement le dernier jour de sa vie.
L’équipe, qui lisait ce seul livre ensemble pendant toute la nuit, réussit à revenir avec un seul mot qui englobait les mille livres qu’ils avaient lus au cours des mois précédents. Le lendemain matin, encore très tôt, l’équipe vint voir le roi agonisant, qui n’était lucide que par intermittence, et lui dit : « Mon Seigneur, nous avons eu la grâce de lire tant de livres au cours de ces derniers mois.
Comme vous nous l’avez demandé, nous nous présentons aujourd’hui devant vous avec un seul mot qui englobe tout ce qui a été écrit dans ces nombreux livres, et ce mot est : AMOUR ».
Si nous nous mettions à lire l’ensemble du Nouveau Testament dans le but précis de trouver un seul mot, par lequel nous pourrions exprimer le cœur de sa signification, de son message et de son contenu, la plupart d’entre nous citeraient probablement le mot « AMOUR ».
Certains, bien sûr, pourraient trouver un autre mot qui, à un moment donné du pèlerinage de leur vie, leur parle encore plus profondément que le mot « AMOUR ». Pour ma part, si je devais choisir aujourd’hui un mot qui incarne tout le Nouveau Testament, ce mot serait « MISERICORDE ».
Saint Vincent de Paul, « mystique de la Charité », nous encourage très clairement, nous tous, membres du Mouvement de la Famille vincentienne, à profiter chaque jour de ces merveilleux outils que sont l’examen de conscience particulier et l’examen de conscience général, dans notre désir de conversion qui nous conduit à la sainteté.
L’expression « examen de conscience » peut susciter une réaction négative, comme quelque chose qui n’a plus de sens, ou que je préfère éviter plutôt que de me confronter aux domaines dans lesquels Jésus m’appelle à m’améliorer.
Si nous le considérons comme un moment où Jésus, le juge sévère, nous mettra dans l’embarras, en soulignant nos faiblesses, nos péchés, nos échecs, deux fois par jour, jour après jour, il n’est pas surprenant que nous choisissions la voie d’éviter une telle confrontation.
En réalité, c’est l’inverse. Jésus est impatient d’avoir l’occasion, pendant ces deux moments de la journée où nous nous arrêtons en silence, de nous manifester son amour et sa miséricorde. Ce sont des moments où nous pouvons revenir à notre lecture quotidienne de la Bible, en particulier du Nouveau Testament, et trouver un mot qui résume pour nous tout le message du Nouveau Testament, qu’il s’agisse « d’AMOUR », de « MISERICORDE » ou d’un autre mot qui nous touche profondément.
Dans cette perspective, nous pouvons nous réjouir abondamment de ces occasions qui ravivent dans notre cœur le désir de changer, de se convertir, de tendre vers la sainteté. Chaque congrégation, association de laïcs et individu appartenant au Mouvement de la Famille vincentienne peut avoir des traditions spirituelles particulières.
Je voudrais inviter les congrégations qui ont eu la pratique spirituelle de l’examen de conscience particulier et général depuis leurs origines et dont les membres, pour une raison ou une autre, ont presque totalement laissé de côté cette pratique dans leur cheminement spirituel, à revitaliser ou à réintégrer ce don dans leurs communautés et dans chacun de leurs membres.
Je remercie les congrégations qui sont restées fidèles chaque jour à ces deux moments de grâce pour leur témoignage et leur exemple. De la même manière, je remercie chaque laïc, appartenant ou non à une association, qui utilise ces deux moments de silence avec Jésus au cours de la journée, pour son exemple et son témoignage.
Pour les membres des congrégations ou les laïcs qui, jusqu’à présent, ne l’ont pas fait dans leur vie de prière, je les invite à y inclure ces deux moments quotidiens de rencontre avec Jésus.
Nous nous tenons devant Jésus qui est « AMOUR » et « MISERICORDE ». L’Avent nous donne l’occasion de renforcer les fondements de notre vie en revitalisant ces deux moments quotidiens de grâce, ou de commencer à en faire, dès cet Avent, un chemin pour voir clairement le visage de Jésus « ici et maintenant » et dans sa plénitude pour l’éternité !
Votre frère en saint Vincent,
Tomaž Mavrič, CM
Supérieur général de la Congrégation de la Mission
et Directeur général de l’Association de la Médaille Miraculeuse
INTRODUCTION DU CULTE DE SAINT JOSEPH DANS L’ÉGLISE
I
« La providence de Dieu, dit Gerson, fait toutes choses par sage ordonnance l’une après l’autre, combien qu’elle les pourrait toutes faire ensemble. Les fêtes des saints ont été successivement ordonnées ; car Dieu veut bien que notre piété se tourne en une chose puis en une autre, mais que ce soit selon la vérité et bonne intention, car sainte nouveauté peut bien plaire sans répréhension. »
La dévotion à saint Joseph est une de ces nouveautés dont le pieux attrait s’empare des âmes, quand Dieu veut leur donner un nouvel élan, avec un modèle et un secours de plus.
Car Dieu a ses heures, dans la vie des peuples comme dans celle des hommes. Il réserve quelquefois à un siècle des grâces spéciales, qui répondent à des-besoins, à des périls, ou même à une vocation des âmes, dont sa providence garde le secret.
Telle est cette lumière soudaine qui, à certains moments, éclaire la figure d’un saint, attire vers lui tous les yeux et ravit tous les cœurs. On découvre, en le contemplant, comme un nouvel aspect de la beauté divine, dont l’image s’empreint sur chaque saint avec un trait particulier.
Cet ami de Dieu, naguère peu ou mal connu, semble alors désigné aux fidèles comme le modèle des vertus qu’ils doivent pratiquer, et l’intermédiaire des miséricordes qu’ils peuvent obtenir. Un échange continuel d’intercession et de protection unit à son cœur le cœur du peuple chrétien ; et ceux qui éprouvent les effets toujours plus secourables de sa puissance ressentent le désir toujours plus ardent de le glorifier par leurs hommages.
C’est ainsi qu’un culte nouveau s’établit et se propage ; car la reconnaissance et l’amour deviennent un culte quand ils ont pour objet un élu de Dieu.
II
Assurément les chrétiens d’aucune époque ne pouvaient ignorer saint Joseph ; mais pendant plusieurs siècles, les ombres de Bethléem et de Nazareth semblent voiler encore la figure de ce grand patriarche, et sa vie reste enveloppée dans le mystère de la vie cachée du Sauveur.
C’est en vain qu’on interroge les monuments des trois premiers siècles de l’Église, on n’y trouve nulle part le nom et le souvenir du Père adoptif de Notre-Seigneur.
Aucune image de saint Joseph dans les catacombes, aucune mention de saint Joseph dans la liturgie; si ce n’est à l’occasion de deux fêtes, célébrées chez les Orientaux, huit jours avant et huit jours après la Nativité: la première, pour honorer les parents du Sauveur ; la seconde, pour honorer les justes de l’ancienne loi. Saint
Joseph avait nécessairement une place dans ces deux solennités ; mais il restait confondu parmi ceux qui en étaient l’objet, et l’Église ne lui rendait aucun culte particulier. (Bollandistes, Acta sanctorum, 19 mars.)
Durant cette première période du christianisme, saint Joseph n’apparaît donc aux fidèles qu’au milieu des justes et des saints, qui servent, pour ainsi dire, de précurseurs à l’Évangile. Il semblait qu’étant mort avant la loi de grâce, il appartînt encore à l’ancien Testament, disent les Bollandistes.
Aussi les Pères de l’Église l’étudient à ce point de vue, et se montrent surtout préoccupés d’éclaircir les questions relatives à sa généalogie. Néanmoins quelques-uns d’entre eux, en commentant les Écritures et en réfutant les hérétiques, sont conduits à préciser les caractères du mariage et de la paternité de saint Joseph. (Voir Traité contre Helvidius, de saint Jérôme; — Homélie XIV de saint Chrysologue; — Homélie d’Origène ; — Sermon v de saint Augustin ; — Commentaire sur l’Évangile de saint Matthieu ; par saint Jérôme.)
La doctrine relative à ce saint patriarche se trouve par cela même fixée dans ses points importants ; ce n’est toutefois que dans la mesure et sous la forme imposées par des sujets qui lui sont étrangers. Les Pères de l’Église rencontrent saint Joseph, mais n’ont pas le loisir de s’arrêter à l’étudier pour lui-même. Aussi ne font-ils que préparer les matériaux dont la théologie catholique se servira plus tard pour l’œuvre complète et définitive qu’elle doit accomplir à la gloire du père adoptif de Notre-Seigneur.
Entre le IVe et le VIIIe siècle, on commence à trouver le nom de saint Joseph inscrit dans certains monuments de l’histoire liturgique. Quelques églises orientales font la fête du saint patriarche le 20 juillet, jour que l’on croyait être celui de sa mort. Le calendrier d’Eusèbe de Césarée mentionne une fête du Mariage de Joseph et de Marie, placée au 14° jour des calendes d’avril.
Saint Joseph a aussi sa place marquée dans quelques anciens martyrologes de l’Occident, entre autres dans celui du monastère de Saint-Maximin, à Trêves. (Le plus ancien monument qui rappelle en Occident le culte de saint Joseph, est un sarcophage chrétien du IVe siècle signalé au musée du Puy par le savant P. Garrucci, de la Compagnie de Jésus. Sur ce sarcophage, dont le style est analogue à ceux des sarcophages d’Arles, et qui devait sortir de l’école établie dans cette ville, quatre bas-reliefs, séparés par des arceaux de feuillage, représentent les traits les plus saillants de la vie du père adoptif de Notre-Seigneur. Les deux premiers sont complètement mutilés ; les deux autres sont bien conservés. Dans l’un, le grand prêtre réunit les mains de Marie et de Joseph, qui est en habit de travail et la tunique relevée (c’est la première représentation connue du mariage de ce saint patriarche) ; dans l’autre, saint Joseph, endormi, reçoit le message de l’ange révélateur. Cet ange, nimbé et sans ailes, est un témoignage de plus en faveur de l’antiquité du monument ; car les anges ne sont représentés avec des ailes qu’à partir du VIIe siècle.)
Mais ces hommages partiels rendus au père adoptif de Notre-Seigneur sont loin de constituer un véritable culte, et rien ne le désigne encore d’une manière spéciale à la piété du peuple chrétien. Le moment n’est pas venu où Dieu, selon l’expression d’un pieux auteur, « Ouvrira les oreilles et l’esprit des fidèles, où de grands hommes scruteront les dons célestes cachés dans saint Joseph, et révéleront en lui ce trésor auquel rien ne saurait être comparé dans l’ancien Testament. » (Isidore Isolano, La Somme des vertus de saint Joseph.)
Durant les premières phases de sa vie militante, l’Église avait choisi dans le ciel des patrons et des modèles, dont le caractère répondait aux épreuves qu’elle traversait.
A l’effort de la persécution elle avait opposé le culte des martyrs ; à l’effort de l’erreur elle avait opposé le culte de saint Pierre et des premiers apôtres, vivants symboles de l’unité catholique attaquée par les hérésiarques; à l’effort de la barbarie elle avait opposé le culte des missionnaires du christianisme, et spécialement de saint Martin, qui était le type le plus populaire de l’apostolat et de la charité. (En étudiant les premiers temps du christianisme, on est frappé de la prédominance successive de ces différents cultes. La dévotion aux martyrs pendant les siècles des persécutions est un fait assurément bien connu ; mais un autre fait qui l’est moins, c’est la dévotion aux apôtres, et en particulier à saint Pierre, pendant les siècles où le christianisme s’établit chez les barbares, et lutta à la fois contre le paganisme et contre l’arianisme. On en trouve sans cesse des traces dans l’histoire de ces temps, où les pèlerinages aux tombeaux des apôtres sont si fréquents, où les rois et les reines s’honorent de porter à leur cou des clefs faites sur le modèle des clefs de saint Pierre, et où tant d’églises sont construites en son honneur. A défaut d’autres preuves plus décisives, le nombre des villages qui portent encore en France le nom de saint Martin suffirait à révéler ce que fut le patronage de cet apôtre des campagnes et de ce fondateur de la vie monastique, alors que les moines étaient devenus les instituteurs et les missionnaires des peuplas barbares.)
Les peuples barbares, qui entraient alors dans l’Église, étaient surtout frappés par les bienfaits extérieurs du christianisme et attirés vers les saints qui en avaient été les principaux instruments. Le culte de saint Joseph était réservé à des temps de maturité religieuse où, la lutte contre le paganisme et l’hérésie ayant cessé, l’Église devait s’attacher surtout à faire pénétrer les fidèles dans les mystères de la vie intime de Notre-Seigneur, et diriger vers ce but les travaux de la science chrétienne et les élans de la dévotion populaire.
III
Les premiers monuments du culte de saint Joseph appartiennent au siècle qui s’écoula entre la mission de saint Bernard et le règne de saint Louis. Ce siècle, dont la forte sève produisit des types si divers du génie chrétien, comprenait et pratiquait tous les genres d’héroïsme. Aussi eut-il à un très-haut degré l’intelligence de l’idéal ascétique : il aima les saints avec enthousiasme, et, par contraste avec son goût pour la gloire humaine, il aima de préférence les saints les plus humbles. Cet attrait mystique des peuples inspira aux contemporains de saint François la dévotion à saint Joseph.
C’était aussi un attrait conforme au besoin des âmes et aux épreuves des temps. Dans ce siècle de foi ardente, mais de passions fières, on cherchait surtout chez les saints la douceur qui manquait aux hommes : on la trouvait dans saint Joseph avec ce charme particulier que l’âme du Sauveur enfant semble refléter sur l’âme du bienheureux vieillard. Saint Joseph possède, plus que tout autre saint, la puissance de susciter des vertus analogues à celles de Jésus-Christ dans sa vie cachée; et son culte devait faire pénétrer un courant de mansuétude et de paix dans le courant d’héroïsme, mais aussi de violence, qui était encore celui de ce siècle.
D’ailleurs le culte de saint Joseph ne fut pas un de ces foyers qui s’éteignent et s’amortissent après avoir échauffé pendant un temps la piété des fidèles. Il augmenta, au contraire, d’intensité et de rayonnement à mesure que s’accroissaient les dangers de l’Église, et il combattit les progrès des éléments destructeurs mêlés à la civilisation chrétienne, en suscitant à la vie cachée de Jésus-Christ des imitateurs de plus en plus nombreux et fervents.
Il en est de cette dévotion comme il en est souvent des choses les plus fécondes. On les voit tout d’un coup s’épanouir sans savoir où en furent les premiers germes.
Ce qui apparaît néanmoins, c’est que l’élan des âmes vers saint Joseph eut pour point de départ l’enthousiasme des croisades et l’impression des lieux saints. Les pèlerins de Jérusalem allaient visiter le berceau du Sauveur après avoir visité son tombeau. Ils trouvaient alors à Bethléem et à Nazareth les souvenirs de saint Joseph mêlés à ceux de Jésus-Christ; ils y respiraient les parfums de cet intérieur de la sainte famille dont saint Joseph fut pendant trente ans le chef et le protecteur. L’image du bienheureux patriarche saisissait leurs âmes dans ces lieux où l’Évangile est en quelque sorte vivant. Aussi la plupart d’entre eux ne voulaient-ils pas achever leur pieux voyage sans avoir vénéré le tombeau de l’Époux de Marie, qu’une tradition autorisée au moyen âge plaçait dans la vallée de Josaphat. (Bède, dans son Histoire ecclésiastique, atteste l’authenticité de cette tradition qui place le tombeau de saint Joseph près de celui de la sainte Vierge. Suarès, Des Mystères, quest. 37. )
A leur retour en Occident, plusieurs de ces pèlerins érigèrent des églises ou des chapelles sous le vocable de saint Joseph, soit pour satisfaire à des vœux, soit pour y déposer des reliques du vieillard de Nazareth qu’ils rapportaient comme des trophées de leur pieux voyage. C’est ainsi que fut fondé le pèlerinage de Sémur en Bourgogne, où l’on vénérait un antique anneau qui passa longtemps pour être le véritable anneau du mariage de Joseph et de Marie. Rome reçut une autre relique dont les siècles n’ont pas démenti l’authenticité. C’était le manteau de saint Joseph, qui avait servi de lange au Christ naissant. On le déposa à l’église Sainte-Cécile au-delà du Tibre, et au XVIe siècle le cardinal Ginetti en donna un morceau aux carmes d’Anvers, qui le conservèrent dans un reliquaire fermé sous une triple serrure.
Parallèlement à ce premier essor de la dévotion populaire, on voit commencer le travail liturgique et théologique qui devait mettre dans une complète lumière la doctrine de l’Église sur le père adoptif de Notre-Seigneur. Ce furent encore les pèlerins de Jérusalem qui en fournirent les premiers éléments ; ils rapportèrent d’Orient un office de saint Joseph, usité dans l’ancien monastère de Saint-Sabbas et chez les moines du Mont-Carmel. Les franciscains l’adoptèrent des premiers. Les dominicains le modifièrent, d’après les travaux d’Albert le Grand, et le répandirent dans une partie de l’Italie. Bientôt la France et la Belgique voulurent aussi se l’approprier. Plusieurs évêques l’admirent dans leur liturgie avec des changements plus ou moins considérables. Quelques-uns d’entre eux même en firent composer des offices spéciaux à l’usage de leur diocèse. Toujours est-il que, vers la fin du XIIIe siècle, les louanges de saint Joseph se chantaient dans la plupart des églises occidentales, et que sa fête était généralement célébrée à titre de fête particulière, en attendant l’époque prochaine où Rome devait l’instituer à titre de fête solennelle pour toute la chrétienté (Boliandistes, loc. cit.)
Pendant ce siècle et dès le précédent, les docteurs donnent au culte de saint Joseph la consécration de l’éloquence populaire et de la science théologique. Saint Bernard développe sa belle doctrine sur le 19e verset de saint Matthieu, et, scrutant le premier la grande âme de saint Joseph, il y surprend, pour ainsi dire, un transport de ravissement et d’humilité analogue à celui qui fit éclater, sur les lèvres de Marie, le chant du Magnificat. Albert le Grand, sous une forme aussi didactique que celle de saint Bernard était éloquente, étudie après lui saint Joseph dans ses rapports avec l’ancien Testament et dans sa mission de protecteur de Jésus et de Marie. Saint Thomas d’Aquin résume sur ces deux sujets la doctrine des premiers Pères, et, dans un chapitre de sa Chaîne d’or, résout avec autant de netteté que d’élévation les questions relatives au patriarche de Nazareth. Enfin saint Bonaventure, à l’exemple de saint Bernard, soulève le voile de l’Évangile pour contempler la vie intime de saint Joseph. Mais saint Bernard étudie le coadjuteur du Père Éternel et saisit les grands mouvements de son âme ; saint Bonaventure, au contraire, étudie le chef de la sainte famille et s’attache à pénétrer les tendresses de son cœur. (Premier et quatrième sermon de saint Bernard sur la sainte Vierge, sur la nativité du même saint. — Traité de Louanges de la Vierge Marie, Questions sur le Messie, Commentaires sur saint Luc, ch. II, d’Albert le Grand. — Vie de Jésus-Christ, par saint Bonaventure. — Les premiers chapitres de la Chaîne d’or de saint Thomas d’Aquin.)
IV
Au XIVe siècle, la dévotion à saint Joseph se manifesta sous une forme nouvelle. On commença à établir des confréries en son honneur et sous son patronage. Avignon vit naître la première (Bollandites, loc. cit. Une des plus anciennes chapelles érigées en France à saint Joseph fut celle d’Avignon, dans la basilique de Saint-Agricol) : c’était une confrérie de jeunes filles, auxquelles on donnait chaque année, à la fête de saint Joseph, un bouquet de fleurs odoriférantes, « pour leur rappeler, dit un vieil auteur, que la modestie devait être en elles une fleur et un parfum. » Le jour de leur mariage, elles déposaient sur l’autel ce poétique symbole des vertus que saint Joseph avait enseignées à leurs âmes; et qu’il y avait gardées.
Plusieurs confréries du même genre furent érigées à cette même époque en France et en Belgique. On y établit aussi des confréries d’enfants et enfin une confrérie d’hommes mariés, qui, en adoptant saint Joseph pour patron, se proposaient de pratiquer à son exemple les vertus de la vie conjugale. (Bollandistes, loc. cit.)
A la fin de ce siècle, l’Église traversait une crise terrible, à la fois déchirée par le schisme d’Occident et attaquée par les hérésies qui préludèrent au protestantisme. Parmi les hommes suscités de Dieu pour défendre la foi et travailler à rétablir l’unité, il en est deux dont la France s’honore, et qui furent aussi des apôtres fervents du culte de saint Joseph : Pierre d’Ailly et son disciple l’illustre Gerson.
Pierre d’Ailly, plus tard archevêque de Cambrai, ajouta diverses leçons à un des offices de saint Joseph usités en France. Mais on lui doit surtout un ouvrage dans lequel, à l’imitation du huitième chapitre d’Esther, il célèbre dans saint Joseph un nouveau Mardochée, que le Roi suprême a voulu revêtir d’un honneur insigne ; et il décrit les douze gloires qui rayonnent comme douze étoiles sur la couronne royale de ce saint patriarche.
Quant à Gerson, il avait une vue en quelque sorte prophétique de la ressource suprême réservée à l’Église dans le culte de saint Joseph. Aussi la propagation de ce culte fut-elle une sainte passion qui domina toutes les luttes de sa vie et qui les couronna. Au concile de Constance, comme dans sa chaire de Paris, dans son exil de Bavière, comme dans sa retraite de Lyon, il ne cessa jamais de travailler, par sa parole et par ses écrits, à glorifier celui que Dieu avait donné pour père à son Fils et qu’il lui inspirait de proposer comme médiateur à son Église. Il célébra saint Joseph dans ses sermons, le chanta dans ses poésies, lui consacra un traité d’un charme naïf en même temps que d’une science profonde. (Voir les Sermons de Gerson, son charmant poème Josephina, ses Hymnes, et surtout son traité en vieux français intitulé Considérations sur saint Joseph.)
Enfin dans un célèbre discours sur la Nativité de la sainte Vierge, prononcé en l’an 1416, le cri de son invincible confiance en saint Joseph eut un accent plus énergique et plus entraînant que jamais. Après avoir résumé sa doctrine sur les privilèges insignes du grand patriarche et sur la puissance de son intercession; « Mon grand désir, s’écria-t-il, est de voir célébrer dans l’Église une solennité nouvelle, soit en l’honneur du mariage de saint Joseph, soit en l’honneur de sa bienheureuse mort, afin que, par l’intercession de Marie et par l’intercession d’un patron aussi puissant, qui exerce une sorte d’empire sur le cœur de son épouse, l’Église soit rendue à son unique époux, le pape certain qui tient auprès d’elle la place de Jésus-Christ. »
Ce vœu trouva un écho dans toutes les parties du monde catholique, dans la France surtout, qui semblait destinée à prendre l’initiative de chaque progrès du culte de saint Joseph. Cette fois encore, ce fut elle qui rétablit, la première, l’antique fête du Mariage de ce bienheureux patriarche ; mais son exemple fut promptement suivi par les autres nations chrétiennes, et Gerson composa pour la nouvelle solennité un office qu’adoptèrent la plupart des évêques de France et de Belgique.
Ce fut au printemps de 1417 que cette fête fut célébrée pour la première fois, et, au mois de novembre de la même année, l’élection de Martin V terminait le schisme qui avait duré trente-neuf ans. L’unité était rendue à l’Église, la papauté à Rome ; et la fin de cette tempête, coïncidant avec l’hommage public rendu à saint Joseph, était comme une confirmation divine donnée à la parole de Gerson : « Quand le Père prie le Fils, cette prière a une autorité toute-puissante.»
Le pape Paul III fixa au 7 mars la fête du Mariage de saint Joseph, et saint Pie V, après avoir reçu lui-même l’office composé par Gerson, le fit insérer dans le bréviaire romain. (Bollandistes, loc. cit.)
Par cette sanction définitive, la Papauté consacrait le souvenir du premier appel public fait au patronage de saint Joseph, et du secours que l’Église en avait obtenu. Mais elle consacrait aussi le culte rendu depuis cette époque au saint patriarche, sous le titre spécial d’époux de Marie.
Quelques années avant le pontificat de Paulin, un épisode de l’histoire de Pérouse témoigne du caractère de cette dévotion d’autant plus populaire, qu’elle était plus étroitement unie à la dévotion si ardente du moyen âge pour la sainte Vierge.
L’Italie prétendit alors enlever à la France l’honneur de posséder le véritable anneau du mariage de Joseph et de Marie. Le bruit se répandit qu’il avait été apporté à Sienne par une famille juive, où il s’était transmis héréditairement et venait d’être l’instrument de la résurrection miraculeuse d’un enfant. Dès qu’on eut vérifié l’exactitude de ce fait et découvert la précieuse relique, de nombreux compétiteurs prétendirent se l’approprier. L’Allemagne voulut l’enlever à l’Italie; un moine tudesque, frère Wenter, réussit à le voler et entreprit de l’emporter au delà des monts. Mais des brouillards impénétrables l’entourèrent de telle sorte, qu’il ne put reconnaître son chemin, et se trouva conduit à Pérouse par une force irrésistible. La pieuse ville et son héroïque chef, Braccio Baglioni, s’emparèrent du trésor ravi par le moine, et, malgré les réclamations de Sienne, déclarèrent qu’ils ne s’en dessaisiraient jamais.
Rien ne peint mieux l’enthousiasme passionné du moyen âge que cette lutte ardente de deux villes pour se disputer une relique ; les négociations diplomatiques ayant été infructueuse , la guerre était imminente, lorsque l’intervention du pape vint terminer le conflit. L’anneau décerné à Pérouse y fut placé sous la garde d’une loi terrible, qui punissait jusqu’à l’apparence d’une tentative de larcin. Mais cela même ne suffit pas. On enferma le trésor dans un coffre de fer à sept serrures, dont les sept clefs devaient être gardées par sept magistrats responsables, et le coffre fut placé derrière une grille fermée par quatre autres serrures, dont on déposa les clefs dans les quatre monastères les plus importants de Pérouse. (Cet épisode a été recueilli par les Bollandistes. Mais M. Rio, dans le deuxième volume de l’Art chrétien, le raconte avec des détails qui ont échappé aux savants auteurs et qui sont empruntés à des manuscrits inédits.)
Quelques années plus tard, Braccio Baglioni, le héros mourant de Pérouse, décréta l’érection, dans le dôme, d’une chapelle de Saint-Joseph pour y déposer l’anneau, qui lui semblait le plus beau trophée de ses victoires ; et Pérugin fut chargé de peindre le tableau destiné à cette chapelle. Le vieux maître, lassé de sa propre fécondité, rajeunit son inspiration au contact du génie naissant de son élève Raphaël, et lui emprunta la suave composition du Spozalizio. (Art chrétien, loc. cit. — Les Bollandistes reproduisent l’inscription suivante placée au-dessus du coffre qui contenait l’anneau :
hic sociata suo colitur regina marito
et facili justas accipit aure preces
M DXI
hac sacer intactae matris jacet annulus aede.
qui dedit, est custos muneris ille sui.)
V
Le XVIe siècle était commencé ; le culte de saint Joseph, d’abord propagé par le peuple, puis par les docteurs, eut alors pour foyer les grands ordres religieux que Dieu suscita dans son Église, pour seconder l’œuvre de la réforme religieuse entreprise par le concile de Trente. Une même inspiration poussait vers le chef de la sainte famille tous les chefs des familles monastiques, qui reconnaissaient en lui leur patron et leur modèle. Sainte Thérèse dédiait à saint Joseph les premiers monastères du Carmel, et faisait passer dans l’âme de ses tilles sa confiance indomptable envers celui qu’elle nommait son père et son maître. Saint François de Sales offrait en lui, aux compagnes de sainte Chantai, le type des vertus cénobitiques. Saint Pierre d’Alcantara mettait sous sa protection la réforme des conventuels. M. Olier, étudiant le ministère sublime dont ce grand patriarche avait été revêtu, le présentait aux prêtres de Saint-Sulpice comme le parfait modèle du sacerdoce. (Vie de sainte Thérèse, écrite par elle-même. — Vie de cette même sainte, par frère J. Pascalis. — Vie de saint Pierre d’Alcantara. — Entretiens de saint François de Sales. — Œuvre de M. Olier, publiées par l’abbé Faillon.)
« Enfin- la société naissante fondée par saint Ignace de Loyola n’aurait pas été digne de son nom, dit l’un de ses doctes membres, si elle n’avait donné l’exemple de la dévotion au père nourricier de Jésus. Ses constitutions mêmes l’obligeaient à propager partout le culte du saint patriarche, et nulle part il ne lui était permis de posséder une maison où saint Joseph n’eût pas un sanctuaire, et pour le moins un autel. » (Bollandistes, loc. cit.)
Dans ce siècle et dans le siècle suivant, il y eut un tel élan de dévotion vers saint Joseph, qu’on a voulu faussement y trouver le point de départ de ce culte déjà ancien, mais toujours plus fécond.
Des miracles éclatants furent alors obtenus par l’intercession du saint patriarche en Espagne, en Italie, en France, et particulièrement dans la ville de Lyon. Paul de Barry, qui en raconte un grand nombre, se déclare impuissant à les énumérer tous. Les travaux de ce pieux jésuite et de son contemporain le père Binet, sur saint Joseph, complètent ceux du bénédictin Stengelius, de Philippe d’Ullisbergue et du maître de Forville, qui écrivit le premier en langue vulgaire la vie de l’époux de Marie ; mais l’ouvrage le plus important qu’aient produit ces deux siècles est la Somme des vertus de saint Joseph, dédié au pape Adrien VII, par le dominicain Isidore Isolano. (Traité sur la dévotion à saint Joseph, par Paul de Barry. — Bollandistes, loc. cit.)
À la même époque, la basilique de Falcontina s’élevait en Belgique pour consacrer la piété et le deuil d’une illustre famille qui avait déjà érigé à saint Joseph la magnifique église d’Anvers. (Gaspard et Melchior de Rome fondèrent l’église d’Anvers ; leur neveu, Louis de Romer, celle de Falcontina, près d’un monastère d’augustines, où la sœur de Louis de Romer avait pris le voile, et où sa femme fut enterrée.)
A Rome, la confrérie des Vertueux choisit le patronage de l’Époux de Marie ; une autre confrérie, celle des artisans, lui dédia l’église située au-dessus de la prison Mamertine, et obtint de Grégoire XIII le privilège de faire gracier chaque année un condamné à mort, le jour de la fête de saint Joseph. (Bollandistes.)
L’Allemagne paya aussi son tribut d’hommages au Père adoptif de Jésus-Christ, et, en 1655, le roi Maximilien IV plaça solennellement la Bohême sous le patronage de saint Joseph, en lui décernant le nom de protecteur de la paix.
Mais c’étaient les carmélites qui étaient le plus spécialement destinées à entretenir et à propager partout le culte de saint Joseph. Elles portèrent jusqu’au seuil de Versailles, avec l’exemple de leur vie pénitente, celui de leur ardent amour pour le patriarche de Nazareth.
Bossuet, qui avait consacré par sa parole les pompes de la monarchie de Louis XIV, prononça deux fois, devant la cour réunie au monastère de Sainte-Thérèse, le panégyrique de saint Joseph. Ce grand homme, résumant dans ces deux discours, qui comptent parmi ses chefs-d’œuvre, toute la doctrine de l’Église sur le Père adoptif du Sauveur, mit le dernier sceau à l’œuvre de la théologie catholique pour la glorification de saint Joseph.
Il ne restait plus qu’à régulariser ce culte devenu universel. C’est ce que fit Grégoire XV, en confirmant l’institution de la fête de saint Joseph, déjà fixée au 16 mars par Urbain VIII. (Bollandistes, loc. cit. Grégoire XV institua la fête de saint Joseph en 1622.)
Louis XIV et Anne d’Autriche en avaient fait la demande au Souverain Pontife ; et sur lettres closes du jeune roi, les parlements ordonnèrent qu’on célébrât dans tout le royaume la nouvelle fête comme une fête obligatoire et chômée.
VI
Dès lors, le culte de saint Joseph, solennellement adopté par les papes, devient une des forces de l’Église et un des éléments de la vie chrétienne. Il grandit dans l’atmosphère morale qui lui est en apparence le plus contraire. A travers le scepticisme du XVIIIe siècle, le côté affectueux et pratique de la dévotion à saint Joseph se développe sous l’influence de plusieurs auteurs mystiques, qui appartiennent pour la plupart à la compagnie de Jésus, et sous l’influence de saint Liguori, qui retrouve, pour célébrer l’Époux de Marie, les accents émus et naïfs de saint Bonaventure. (Voir les Méditations de saint Liguori ; son sermon sur saint Joseph, etc.)
Au XIXe siècle, ce culte apparaît plus ardent encore et plus général. La figure de celui que l’Évangile, par une suprême louange, appelle un homme juste, rayonne au-dessus de ce siècle orageux, dont la destinée semble être d’osciller entre tous les excès sans trouver jamais la mesure du vrai et le repos dans la justice. C’est le doux et pacifique vieillard de Nazareth que l’on invoque de préférence au milieu des luttes qui bouleversent la société et qui ensanglantent la terre. Et quand le malheur des temps augmente; quand l’indépendance temporelle de l’Église est anéantie, quand son autorité spirituelle est attaquée avec une fureur croissante; quand l’athéisme sous le nom de science, et la révolution sous le nom de liberté , entreprennent de chasser la religion de la vie sociale et intellectuelle, mais surtout de l’éducation de la jeunesse, l’Église, dans cette crise suprême, se tourne, avec un redoublement de confiance, vers le saint patriarche élu de Dieu pour protéger la vie du libérateur des peuples, vers le père et le maître de l’enfant Jésus.
La fête du patronage de saint Joseph, instituée par Pie IX, répondait déjà à l’inspiration du cœur de l’Église ; mais cette inspiration s’affirme dans une circonstance mémorable : « par les supplications et les vœux de tous les évêques de la chrétienté, qui, réunis dans le sacré concile du Vatican, demandent à Sa Sainteté de vouloir bien décerner à saint Joseph le titre de Patron de l’Église catholique. »
Pie IX a recueilli le vœu de l’auguste assemblée ; il a décerné à saint Joseph cet hommage solennel par un acte sans précédent dans l’histoire de l’Église, et il établit « la prééminence de ce saint patriarche sur tous les autres saints, en proclamant que l’Église lui rend un tribut d’honneur et de louange, inférieur seulement à celui qu’elle rend à la mère de Dieu. » (Décret du Souverain Pontife, promulgué le 8 décembre 1870.)
Une fois déjà, à l’heure d’un péril suprême, le monde catholique s’est tourné vers saint Joseph, et il a trouvé le salut. L’Église persécutée du XIXe siècle, comme l’Église déchirée du XVe, n’aura pas invoqué en vain celui dont elle vient de proclamer les insignes privilèges et l’irrésistible puissance d’intercession.
VII
Mais cette dévotion, déjà si populaire et aujourd’hui consacrée par un acte aussi solennel, ne va pas toujours puiser aux véritables sources qui doivent l’alimenter. La piété se sépare trop souvent de la doctrine, perdant ainsi sa règle, sa solidité et sa mesure. Il nous faut des maîtres pour nous y ramener, des maîtres également éloignés de cette piété qui s’énerve dans la rêverie, et «de cette connaissance stérile qui ne se tourne pas à aimer », selon l’expression de Bossuet.
Sans doute d’excellents travaux existent déjà sur saint Joseph : cependant on n’a pas encore recueilli l’enseignement historique et mystique contenu dans les œuvres mêmes des docteurs et des saints sur la vie de ce grand patriarche.
C’est ce que l’on vient essayer ici.
Ce travail eût été immense, s’il eût été complet; aussi l’a-t-on restreint aux simples limites d’une œuvre de piété. D’ailleurs, toutes les questions que soulève la vie de saint Joseph ne pouvaient être étudiées avec profit par toutes les âmes. On s’est donc contenté d’indiquer les traits principaux de la doctrine de l’Église sur ce grand saint. Mais c’est la signification mystique de sa vie, et surtout l’enseignement tiré de ses vertus, que l’on s’est appliqué à mettre en lumière.
La diversité de ces fragments et le respect qu’ils imposaient à la main chargée de les réunir justifiera, nous l’espérons, certains défauts de proportions, des lacunes et des répétitions, écueils presque inévitables d’un travail de cette nature. On n’a pas voulu, pour y mettre plus d’harmonie, en diminuer le mérite, qui est d’être entièrement l’œuvre des saints et des docteurs de l’Église. On a évité d’y rien changer et même d’y rien ajouter, si ce n’est dans les rares occasions où il était nécessaire de relier par quelques mots des textes d’auteurs différents, ou de résumer brièvement ceux qui ne pouvaient être reproduits.
Ce travail, avant d’être offert à d’autres, a été pour celle qui l’accomplissait l’objet d’un vif et religieux intérêt. Puisse saint Joseph en accepter l’hommage ; puissent ses serviteurs y trouver une lumière qui les fasse pénétrer plus avant dans la connaissance de ce grand saint, mais surtout un secours qui les aide à développer son culte, en lui donnant pour point d’appui la doctrine et l’exemple des saints les plus illustres de l’Église et des maîtres les plus vénérables de la vie spirituelle.
D’après Melle Netty du Boys – in « Le mois de saint Joseph d’après les docteurs et les saints »
8 décembre 1871, Fête de l’Immaculée Conception.
Pour les Associés de la Médaille Miraculeuse et pour les personnes qui viennent sur notre site, nous allons publier ce MOIS DE SAINT JOSEPH chaque jour. Il est certes ardu, mais d’un enseignement très profond.
Journée mondiale du malade:
se mettre à l’école du Bon Samaritain
Pour la XXXIème journée mondiale du malade, célébrée le 11 février en la fête de Notre-Dame de Lourdes, voici le message du Pape François. Un message intitulé : «Prends soin de lui», la compassion comme exercice synodal de guérison, dans lequel le Pape invite à faire l’expérience de la fragilité dans une démarche d’Église.
MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
POUR LA XXXIème JOURNÉE MONDIALE DU MALADE
11 février 2023
« Prends soin de lui ».
La compassion comme exercice synodal de guérison
Chers frères et sœurs !
La maladie fait partie de notre expérience humaine. Mais elle peut devenir inhumaine si elle est vécue dans l’isolement et dans l’abandon, si elle n’est pas accompagnée de soins et de compassion. Quand on marche ensemble, il arrive que quelqu’un se sente mal, qu’il doive s’arrêter en raison de la fatigue ou d’un incident de parcours.
C’est là, dans ces moments-là, que l’on se rend compte de la façon dont nous cheminons : si réellement nouscheminons ensemble ou bien si l’on est sur la même route, mais chacun pour son compte, ne s’occupant que de ses propres intérêts et laissant les autres “s’arranger” comme ils peuvent.
Par conséquent, en cette XXXIème Journée Mondiale du Malade, au beau milieu d’un parcours synodal, je vous invite à réfléchir sur le fait que c’est précisément à travers l’expérience de la fragilité et de la maladie que nous pouvons apprendre à marcher ensemble selon le style de Dieu, qui est proximité, compassion et tendresse.
Dans le Livre du prophète Ézéchiel, dans un grand oracle qui constitue un des points culminants de la Révélation, le Seigneur parle ainsi : « C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer – oracle du Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces […] je la ferai paître selon le droit » (34, 15-16).
L’expérience de l’égarement, de la maladie et de la faiblesse fait naturellement partie de notre chemin : ils ne nous excluent pas du peuple de Dieu, au contraire, ils nous placent au centre de l’attention du Seigneur, qui est Père et ne veut perdre en chemin pas même un seul de ses enfants. Il s’agit donc d’apprendre de lui, pour être véritablement une communauté qui chemine ensemble, capable de ne pas se laisser contaminer par la culture du rejet.
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L’Encyclique Fratelli tutti, comme vous le savez, propose une lecture actualisée de la parabole du Bon Samaritain. Je l’ai choisie comme point cardinal, comme pivot, pour pouvoir sortir des « ombres d’un monde fermé » et « penser et engendrer un monde ouvert » (cf. n. 56). Il existe, en effet, un lien profond entre cette parabole de Jésus et les nombreuses façons dont la fraternité est aujourd’hui niée.
En particulier, le fait que la personne malmenée et volée soit abandonnée au bord de la route représente la condition où sont laissés trop de nos frères et sœurs au moment où ils ont le plus besoin d’aide. Il n’est pas facile de distinguer entre les assauts menés contre la vie et sa dignité qui proviennent de causes naturelles et ceux qui sont, en revanche, causés par les injustices et les violences.
En réalité, le niveau des inégalités et la prévalence des intérêts de quelques-uns affectent désormais tous les milieux humains, de sorte qu’il apparaît difficile de considérer quelque expérience que ce soit comme étant “naturelle”. Toute souffrance prend place dans une “culture” et au milieu de ses contradictions.
Ce qui importe, toutefois, c’est de reconnaître la condition de solitude, d’abandon. Il s’agit d’une atrocité qui peut être surmontée avant toute autre injustice, car – comme le rapporte la parabole – il suffit d’un instant d’attention, d’un mouvement intérieur de compassion, pour l’éliminer. Deux passants, considérés comme des religieux, voient le blessé mais ne s’arrêtent pas.
Le troisième, au contraire, un Samaritain, un homme méprisé, est mû par la compassion et prend soin de cet étranger qui gît au bord de la route, le traitant comme un frère. En faisant cela, sans même y penser, il change les choses, il engendre un monde plus fraternel.
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Frères et sœurs, nous ne sommes jamais prêts pour la maladie. Et souvent nous ne sommes pas prêts non plus à admettre que nous avançons en âge. Nous craignons la vulnérabilité, et la culture envahissante du marché nous pousse à la nier. Il n’y a pas de place pour la fragilité. Et ainsi le mal, quand il fait irruption et nous assaille, nous laisse à terre, assommés.
Il peut alors arriver que les autres nous abandonnent ou qu’il nous semble devoir les abandonner, pour ne pas être un poids pour eux. Ainsi commence la solitude et le sentiment amer d’une injustice nous empoisonne car le Ciel aussi semble se fermer. De fait, nous peinons à demeurer en paix avec Dieu, quand la relation avec les autres et avec nous-mêmes se détériore.
Voilà pourquoi il est si important, notamment en ce qui touche à la maladie, que l’Église tout entière se mesure à l’exemple évangélique du Bon Samaritain, pour devenir un bon “hôpital de campagne” : sa mission s’exprime en effet en prenant soin des autres, particulièrement dans les circonstances historiques que nous traversons.
Nous sommes tous fragiles et vulnérables ; nous avons tous besoin de cette attention remplie de compassion qui sait s’arrêter, s’approcher, soigner et soulager. La condition des malades est donc un appel qui interrompt l’indifférence et freine les pas de ceux qui avancent comme s’ils n’avaient ni frères ni sœurs.
La Journée Mondiale du Malade, en effet, n’invite pas seulement à la prière et à la proximité envers les souffrants ; en même temps, elle vise à sensibiliser le peuple de Dieu, les institutions sanitaires et la société civile à une nouvelle façon d’avancer ensemble. La prophétie d’Ézéchiel citée au début contient un jugement très dur sur les priorités de ceux qui exercent un pouvoir économique, culturel et gouvernemental sur le peuple :
« Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de laine, vous avez sacrifié les brebis les plus grasses, mais vous n’avez pas fait paître le troupeau. Vous n’avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n’avez pas ramené celle qui s’égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez régies avec violence et dureté » (34, 3-4).
La Parole de Dieu est toujours éclairante et contemporaine. Non seulement pour dénoncer, mais aussi pour proposer. De fait, la conclusion de la parabole du Bon Samaritain nous suggère que l’exercice de la fraternité, qui commence par une rencontre en tête-à-tête, peut être élargi à une prise de soin organisée.
L’auberge, l’aubergiste, l’argent, la promesse de se tenir mutuellement informé (cf. Lc 10, 34-35) : tout cela fait penser au ministère des prêtres, au travail des agents sociaux et de santé, à l’engagement des familles et des volontaires grâce auxquels, chaque jour, dans chaque partie du monde, le bien s’oppose au mal.
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Les années de la pandémie ont augmenté notre sentiment de gratitude pour ceux qui œuvrent chaque jour pour la santé et la recherche. Mais il ne suffit pas de sortir d’une aussi grande tragédie collective en honorant des héros. La covid-19 a mis à dure épreuve ce grand réseau de compétences et de solidarité et a montré les limites structurelles des systèmes de bien-être (welfare) existants.
Il faut donc qu’à la gratitude corresponde la recherche active de stratégies et de ressources, dans chaque pays, pour que tout être humain ait l’assurance d’avoir accès aux soins et que le droit fondamental à la santé soit garanti.
« Prends soin de lui » (Lc 10, 35) : telle est la recommandation du Samaritain à l’aubergiste. Jésus la répète aussi à chacun de nous et, à la fin, nous exhorte ainsi : « Va, et toi aussi, fais de même ».
Comme je l’ai souligné dans Fratelli tutti, « la parabole nous montre par quelles initiatives une communauté peut être reconstruite grâce à des hommes et des femmes qui s’approprient la fragilité des autres, qui ne permettent pas qu’émerge une société d’exclusion mais qui se font proches et relèvent puis réhabilitent celui qui est à terre, pour que le bien soit commun » (n° 67).
De fait, « nous avons été créés pour une plénitude qui n’est atteinte que dans l’amour. Vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible » (n. 68).
Le 11 février 2023 aussi, tournons notre regard vers le Sanctuaire de Lourdes comme vers une prophétie, une leçon confiée à l’Église au cœur de la modernité. Il n’y a pas que ce qui a de la valeur qui fonctionne et il n’y a pas que celui qui produit qui compte. Les personnes malades sont au centre du peuple de Dieu qui avance avec elles comme prophétie d’une humanité où chacun est précieux et où personne n’est à exclure.
Je confie chacun de vous, qui êtes malades, à l’intercession de Marie, Santé des malades ; vous aussi qui prenez soin d’eux en famille, par le travail, la recherche et le volontariat ; et vous qui vous engagez à tisser des liens personnels, ecclésiaux et civils de fraternité. J’envoie à tous ma bénédiction apostolique.