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Journée mondiale du malade: se mettre à l’école du Bon Samaritain

Journée mondiale du malade:
se mettre à l’école du Bon Samaritain

Pour la XXXIème journée mondiale du malade, célébrée le 11 février en la fête de Notre-Dame de Lourdes, voici le message du Pape François. Un message intitulé : «Prends soin de lui», la compassion comme exercice synodal de guérison, dans lequel le Pape invite à faire l’expérience de la fragilité dans une démarche d’Église.

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
POUR LA XXXIème JOURNÉE MONDIALE DU MALADE

11 février 2023

« Prends soin de lui ».
La compassion comme exercice synodal de guérison

Chers frères et sœurs !

La maladie fait partie de notre expérience humaine. Mais elle peut devenir inhumaine si elle est vécue dans l’isolement et dans l’abandon, si elle n’est pas accompagnée de soins et de compassion. Quand on marche ensemble, il arrive que quelqu’un se sente mal, qu’il doive s’arrêter en raison de la fatigue ou d’un incident de parcours.

C’est là, dans ces moments-là, que l’on se rend compte de la façon dont nous cheminons : si réellement nous cheminons ensemble ou bien si l’on est sur la même route, mais chacun pour son compte, ne s’occupant que de ses propres intérêts et laissant les autres “s’arranger” comme ils peuvent.

Par conséquent, en cette XXXIème Journée Mondiale du Malade, au beau milieu d’un parcours synodal, je vous invite à réfléchir sur le fait que c’est précisément à travers l’expérience de la fragilité et de la maladie que nous pouvons apprendre à marcher ensemble selon le style de Dieu, qui est proximité, compassion et tendresse.

Dans le Livre du prophète Ézéchiel, dans un grand oracle qui constitue un des points culminants de la Révélation, le Seigneur parle ainsi : « C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer – oracle du Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces […] je la ferai paître selon le droit » (34, 15-16).

L’expérience de l’égarement, de la maladie et de la faiblesse fait naturellement partie de notre chemin : ils ne nous excluent pas du peuple de Dieu, au contraire, ils nous placent au centre de l’attention du Seigneur, qui est Père et ne veut perdre en chemin pas même un seul de ses enfants. Il s’agit donc d’apprendre de lui, pour être véritablement une communauté qui chemine ensemble, capable de ne pas se laisser contaminer par la culture du rejet.

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L’Encyclique Fratelli tutti, comme vous le savez, propose une lecture actualisée de la parabole du Bon Samaritain. Je l’ai choisie comme point cardinal, comme pivot, pour pouvoir sortir des « ombres d’un monde fermé » et « penser et engendrer un monde ouvert » (cf. n. 56). Il existe, en effet, un lien profond entre cette parabole de Jésus et les nombreuses façons dont la fraternité est aujourd’hui niée.

En particulier, le fait que la personne malmenée et volée soit abandonnée au bord de la route représente la condition où sont laissés trop de nos frères et sœurs au moment où ils ont le plus besoin d’aide. Il n’est pas facile de distinguer entre les assauts menés contre la vie et sa dignité qui proviennent de causes naturelles et ceux qui sont, en revanche, causés par les injustices et les violences.

En réalité, le niveau des inégalités et la prévalence des intérêts de quelques-uns affectent désormais tous les milieux humains, de sorte qu’il apparaît difficile de considérer quelque expérience que ce soit comme étant “naturelle”. Toute souffrance prend place dans une “culture” et au milieu de ses contradictions.

Ce qui importe, toutefois, c’est de reconnaître la condition de solitude, d’abandon. Il s’agit d’une atrocité qui peut être surmontée avant toute autre injustice, car – comme le rapporte la parabole – il suffit d’un instant d’attention, d’un mouvement intérieur de compassion, pour l’éliminer. Deux passants, considérés comme des religieux, voient le blessé mais ne s’arrêtent pas.

Le troisième, au contraire, un Samaritain, un homme méprisé, est mû par la compassion et prend soin de cet étranger qui gît au bord de la route, le traitant comme un frère. En faisant cela, sans même y penser, il change les choses, il engendre un monde plus fraternel.

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Frères et sœurs, nous ne sommes jamais prêts pour la maladie. Et souvent nous ne sommes pas prêts non plus à admettre que nous avançons en âge. Nous craignons la vulnérabilité, et la culture envahissante du marché nous pousse à la nier. Il n’y a pas de place pour la fragilité. Et ainsi le mal, quand il fait irruption et nous assaille, nous laisse à terre, assommés.

Il peut alors arriver que les autres nous abandonnent ou qu’il nous semble devoir les abandonner, pour ne pas être un poids pour eux. Ainsi commence la solitude et le sentiment amer d’une injustice nous empoisonne car le Ciel aussi semble se fermer. De fait, nous peinons à demeurer en paix avec Dieu, quand la relation avec les autres et avec nous-mêmes se détériore.

Voilà pourquoi il est si important, notamment en ce qui touche à la maladie, que l’Église tout entière se mesure à l’exemple évangélique du Bon Samaritain, pour devenir un bon “hôpital de campagne” : sa mission s’exprime en effet en prenant soin des autres, particulièrement dans les circonstances historiques que nous traversons.

Nous sommes tous fragiles et vulnérables ; nous avons tous besoin de cette attention remplie de compassion qui sait s’arrêter, s’approcher, soigner et soulager. La condition des malades est donc un appel qui interrompt l’indifférence et freine les pas de ceux qui avancent comme s’ils n’avaient ni frères ni sœurs.

La Journée Mondiale du Malade, en effet, n’invite pas seulement à la prière et à la proximité envers les souffrants ; en même temps, elle vise à sensibiliser le peuple de Dieu, les institutions sanitaires et la société civile à une nouvelle façon d’avancer ensemble. La prophétie d’Ézéchiel citée au début contient un jugement très dur sur les priorités de ceux qui exercent un pouvoir économique, culturel et gouvernemental sur le peuple :

« Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de laine, vous avez sacrifié les brebis les plus grasses, mais vous n’avez pas fait paître le troupeau. Vous n’avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n’avez pas ramené celle qui s’égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez régies avec violence et dureté » (34, 3-4).

La Parole de Dieu est toujours éclairante et contemporaine. Non seulement pour dénoncer, mais aussi pour proposer. De fait, la conclusion de la parabole du Bon Samaritain nous suggère que l’exercice de la fraternité, qui commence par une rencontre en tête-à-tête, peut être élargi à une prise de soin organisée.

L’auberge, l’aubergiste, l’argent, la promesse de se tenir mutuellement informé (cf. Lc 10, 34-35) : tout cela fait penser au ministère des prêtres, au travail des agents sociaux et de santé, à l’engagement des familles et des volontaires grâce auxquels, chaque jour, dans chaque partie du monde, le bien s’oppose au mal.

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Les années de la pandémie ont augmenté notre sentiment de gratitude pour ceux qui œuvrent chaque jour pour la santé et la recherche. Mais il ne suffit pas de sortir d’une aussi grande tragédie collective en honorant des héros. La covid-19 a mis à dure épreuve ce grand réseau de compétences et de solidarité et a montré les limites structurelles des systèmes de bien-être (welfare) existants.

Il faut donc qu’à la gratitude corresponde la recherche active de stratégies et de ressources, dans chaque pays, pour que tout être humain ait l’assurance d’avoir accès aux soins et que le droit fondamental à la santé soit garanti.

« Prends soin de lui » (Lc 10, 35) : telle est la recommandation du Samaritain à l’aubergiste. Jésus la répète aussi à chacun de nous et, à la fin, nous exhorte ainsi : « Va, et toi aussi, fais de même ».

Comme je l’ai souligné dans Fratelli tutti, « la parabole nous montre par quelles initiatives une communauté peut être reconstruite grâce à des hommes et des femmes qui s’approprient la fragilité des autres, qui ne permettent pas qu’émerge une société d’exclusion mais qui se font proches et relèvent puis réhabilitent celui qui est à terre, pour que le bien soit commun » (n° 67).

De fait, « nous avons été créés pour une plénitude qui n’est atteinte que dans l’amour. Vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible » (n. 68).

Le 11 février 2023 aussi, tournons notre regard vers le Sanctuaire de Lourdes comme vers une prophétie, une leçon confiée à l’Église au cœur de la modernité. Il n’y a pas que ce qui a de la valeur qui fonctionne et il n’y a pas que celui qui produit qui compte. Les personnes malades sont au centre du peuple de Dieu qui avance avec elles comme prophétie d’une humanité où chacun est précieux et où personne n’est à exclure.

Je confie chacun de vous, qui êtes malades, à l’intercession de Marie, Santé des malades ; vous aussi qui prenez soin d’eux en famille, par le travail, la recherche et le volontariat ; et vous qui vous engagez à tisser des liens personnels, ecclésiaux et civils de fraternité. J’envoie à tous ma bénédiction apostolique.

Rome, Saint-Jean-de-Latran, 10 janvier 2023

PAPE FRANÇOIS


Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana

En regardant l’histoire de Moïse

En regardant l’histoire de Moïse

Ce matin, après avoir célébré la Sainte Messe en privé, le Saint-Père François s’est rendu  à la cathédrale Sainte-Thérèse de Juba pour la rencontre avec les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés et les séminaristes.

voyage du Pape au Sud-Soudan
voyage du Pape au Sud-Soudan

A son arrivée à 9h10 (8h10 à Rome), le Pape a été accueilli par l’archevêque de Juba, S.E. Mgr Stephen Ameyu Martin Mulla, et par le curé qui lui a apporté la croix et l’eau bénite. Ensemble, ils descendirent la nef centrale pour atteindre l’autel. Puis, après le chant d’entrée et le salut du Président de la Conférence épiscopale du Soudan, S.E. Mgr Yunan Tombe Trille Kuku Andali, évêque d’El Obeid, un prêtre et une religieuse ont témoigné. Le pape François a ensuite prononcé son discours.

À la fin, après la bénédiction et l’hymne final, le Saint-Père est ensuite retourné  à la nonciature apostolique de Juba où il a rencontré en privé les membres de la Compagnie de Jésus présents dans le pays.

Nous publions ci-dessous le discours que le Saint-Père a prononcé lors de la rencontre avec les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés et les séminaristes :

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
en RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO et au SOUDAN DU SUD
(Pèlerinage Œcuménique de Paix au Soudan du Sud)
[31 janvier – 5 février 2023]

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES, LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES PERSONNES
CONSACRÉES, ET LES SÉMINARISTES

DISCOURS DU SAINT-PÈRE 

<Cathédrale de Sainte-Thérèse (Djouba)
Samedi 4 février 2023

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Chers frères Évêques, prêtres et diacres,
chers consacrés, chers séminaristes, chers novices et aspirants, bonjour à tous !

Depuis longtemps, je nourri le désir de vous rencontrer ; c’est pourquoi je voudrais remercier le Seigneur aujourd’hui. J’exprime ma gratitude à Mgr Tombe Trille pour ses salutations et à vous tous pour vos salutations et votre présence ; certains d’entre vous ont fait des jours de voyage pour être ici aujourd’hui ! Je porte toujours gravés dans mon cœur des moments vécus avant cette visite : la célébration à Saint-Pierre en 2017, au cours de laquelle nous avons élevé une supplique à Dieu pour le don de la paix ; et la retraite spirituelle en 2019 avec les Leaders politiques, invités pour que, par la prière, ils prennent à cœur la ferme décision de poursuivre la réconciliation et la fraternité dans le pays. Nous avons besoin avant tout de cela: accueillir Jésus, notre paix et notre espérance.

Dans mon discours d’hier, je me suis inspiré du cours des eaux du Nil qui traverse votre pays comme s’il était sa colonne vertébrale. Dans la Bible, à l’eau sont souvent associées l’action du Dieu créateur, la compassion avec laquelle il étanche notre soif lorsque nous errons dans le désert, la miséricorde avec laquelle il nous purifie lorsque nous tombons dans les marécages du péché. Dans le baptême, Il nous a sanctifiés avec une eau qui nous « a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint » (Tt 3, 5). C’est précisément dans une perspective biblique que je voudrais regarder à nouveau les eaux du Nil. D’une part, dans le lit de ce cours d’eau, les larmes d’un peuple plongé dans la souffrance et la douleur, martyrisé par la violence se déversent ; un peuple qui peut prier comme le psalmiste : « Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions » (Ps 137, 1). Les eaux du grand fleuve, en effet, recueillent les gémissements de souffrance de vos communautés, recueillent le cri de douleur de tant de vies brisées, recueillent le drame d’un peuple en fuite, l’affliction du cœur des femmes et la peur gravée dans les yeux des enfants. On peut voir la peur dans les yeux des enfants. Mais en même temps, les eaux du grand fleuve nous ramènent à l’histoire de Moïse et, par conséquent, elles sont un signe de délivrance et de salut : des eaux, en effet, Moïse a été sauvé et, en conduisant les siens à travers la Mer Rouge, il est devenu un instrument de libération, une icône du secours de Dieu qui voit l’affliction de ses enfants, entend leur cri et descend pour les libérer (cf. Ex 3, 7). En regardant l’histoire de Moïse qui a conduit le peuple de Dieu à travers le désert, demandons-nous que signifie être ministres de Dieu dans une histoire traversée par la guerre, la haine, la violence, la pauvreté. Comment exercer le ministère sur cette terre, sur les rives d’un fleuve baigné de tant de sang innocent, alors que les visages des personnes qui nous sont confiées sont striés par les larmes de la souffrance ? Voilà la question. Et quand je parle de ministère, je le fais dans un sens large : ministère presbytéral, ministère diaconal et ministère catéchétique, d’enseignement, qu’accomplissent tant de consacrés et de laïcs.

Moïse église sainte Clotilde Paris
Moïse église sainte Clotilde Paris

Pour tenter de répondre, je voudrais m’arrêter sur deux attitudes de Moïse : la docilité et l’intercession. Je pense que ces deux choses touchent notre vie ici.

La première chose qui nous frappe dans l’histoire de Moïse est sa docilité à l’initiative de Dieu. Nous ne devons cependant pas penser qu’il en a toujours été ainsi : au début, il avait la prétention de mener seul la tentative de lutter contre l’injustice et l’oppression. Sauvé par la fille du Pharaon des eaux du Nil, il se laisse toucher par la souffrance et l’humiliation de ses frères lorsqu’il découvre son identité, si bien qu’un jour il décide de se faire justice tout seul, en frappant à mort un égyptien qui maltraite un juif. Suite à cet épisode il doit fuir et rester dans le désert de nombreuses années. Il y fait l’expérience d’une sorte de désert intérieur : il avait pensé affronter l’injustice par ses seules forces, et maintenant, en conséquence, il se retrouve comme un fugitif devant se cacher, vivant dans la solitude, éprouvant le sentiment amer de l’échec. Je me demande : quelle a été l’erreur de Moïse ? Penser qu’il était le centre, ne comptant que sur ses propres forces. Mais il était ainsi devenu prisonnier des pires méthodes humaines, comme celle de répondre à la violence par la violence.

Quelque chose de semblable se produit parfois dans notre vie de prêtres, de diacres, de religieux, de séminaristes, de consacrés, dans notre vie à tous : au plus profond, nous pensons que nous sommes le centre, que nous pouvons compter, sinon en théorie du moins en pratique, presque exclusivement sur notre talent ; ou, en tant qu’Église, que nous trouvons la réponse aux souffrances et aux besoins du peuple dans des moyens humains, comme l’argent, la ruse, le pouvoir. Au contraire, notre œuvre vient de Dieu : Il est le Seigneur et nous sommes appelés à être des instruments dociles entre ses mains. Moïse l’apprend lorsqu’un jour, Dieu vient à sa rencontre, en lui apparaissant dans « la flamme d’un buisson en feu » (Ex 3, 2). Moïse se laisse attirer, il fait place à l’émerveillement, il se met dans une attitude de docilité pour se laisser éclairer par le charme de ce feu devant lequel il pense : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » (v. 3). Voilà la docilité nécessaire à notre ministère : s’approcher de Dieu avec émerveillement et humilité. Frères et sœurs, ne perdez pas l’émerveillement de la rencontre avec Dieu ! Ne perdez pas l’émerveillement du contact avec la Parole de Dieu. Moïse s’est laissé attirer et diriger par Dieu. La primauté n’est pas à nous, la primauté est à Dieu : nous confier à sa Parole avant d’utiliser nos propres mots, accueillir docilement son initiative avant de nous concentrer sur nos projets personnels et ecclésiaux.

Le fait de nous laisser docilement modeler nous fait vivre le ministère d’une manière renouvelée. Devant le Bon Pasteur, nous comprenons que nous ne sommes pas des chefs tribaux, mais des pasteurs compatissants et miséricordieux ; non pas les maîtres du peuple, mais des serviteurs s’abaissant pour laver les pieds des frères et sœurs ; nous ne sommes pas une organisation mondaine qui administre des biens terrestres, mais nous sommes la communauté des enfants de Dieu. Frères et sœurs, faisons donc comme Moïse sous le regard de Dieu : enlevons nos sandales avec un humble respect (cf. v. 5), dépouillons-nous de notre présomption humaine, laissons-nous attirer par le Seigneur et cultivons la rencontre avec Lui dans la prière ; approchons-nous chaque jour du mystère de Dieu, pour qu’il nous émerveille, pour qu’Il brûle les broussailles de notre orgueil et de nos ambitions démesurées et fasse de nous d’humbles compagnons de route de ceux qui nous sont confiés.

Purifié et illuminé par le feu divin, Moïse devient un instrument de salut pour les siens qui souffrent ; la docilité envers Dieu le rend capable d’intercéder pour ses frères. Voilà la deuxième attitude dont je voudrais vous parler aujourd’hui : l’intercession. Moïse a fait l’expérience d’un Dieu compatissant, qui ne reste pas indifférent au cri de son peuple et descend pour le délivrer. C’est magnifique : descendre. Dieu descend pour le libérer. Dieu, par condescendance envers nous, descend parmi nous au point de prendre notre chair en Jésus, de faire l’expérience de notre mort et de nos enfers. Il descend toujours pour nous relever et ceux qui le vivent sont amenés à l’imiter. C’est ainsi que fait Moïse, qui “descend” au milieu des siens : il le fera plusieurs fois au cours de la traversée du désert. En effet, dans les moments les plus importants et les plus difficiles, il monte et descend de la montagne de la présence de Dieu afin d’intercéder pour le peuple, c’est-à-dire de se mettre à l’intérieur de son histoire pour le rapprocher de Dieu. Frères et sœurs, intercéder, « ne signifie pas simplement “prier pour quelqu’un”, comme nous le pensons souvent. Étymologiquement, cela signifie “faire un pas au milieu”, faire un pas pour se mettre au milieu d’une situation » (C.M. Martini, Un grido di intercessione, Milan, 29 janvier 1991). Parfois, on n’obtient pas beaucoup, mais il faut le faire : un cri d’intercession. Intercéder, c’est donc descendre pour se mettre au milieu du peuple, pour “devenir des ponts” qui le relient à Dieu.

Il est demandé aux pasteurs de développer justement cet art de “marcher au milieu”. Ce doit être la spécialité des pasteurs, de marcher au milieu : au milieu de la souffrance, au milieu des larmes, au milieu de la faim de Dieu et de la soif d’amour des frères et sœurs. Notre premier devoir n’est pas d’être une Église parfaitement organisée – n’importe quelle entreprise peut le faire -, mais une Église qui, au nom du Christ, se tient au milieu de la vie souffrante du peuple et se salit les mains pour les gens. Nous ne devons jamais exercer le ministère en recherchant le prestige religieux et social, – que c’est laid de  » faire carrière  » -mais en marchant au milieu et ensemble, en apprenant à écouter et à dialoguer, en collaborant entre nous ministres et laïcs. Je voudrais ici répéter ce mot important : ensemble. Ne l’oublions pas : ensemble. Évêques et prêtres, prêtres et diacres, pasteurs et séminaristes, ministres ordonnés et religieux – toujours dans le respect de la merveilleuse spécificité de la vie religieuse : essayons de surmonter entre nous la tentation de l’individualisme, des intérêts partisans. Il est bien triste que des pasteurs ne soient pas capables de communion, ne réussissent pas à coopérer, voire s’ignorent mutuellement ! Cultivons le respect mutuel, la proximité, la coopération concrète. Si cela ne se produit pas entre nous, comment pouvons-nous le prêcher aux autres ?

Revenons à Moïse et, afin d’approfondir l’art de l’intercession, regardons ses mains. L’Écriture nous offre trois images à cet égard : Moïse avec le bâton à la main, Moïse avec les mains tendues, et Moïse avec les mains levées vers le ciel.

La première image, celle de Moïse avec le bâton à la main, nous montre qu’il intercède par la prophétie. Avec ce bâton, il accomplit des prodiges, des signes de la présence et de la puissance de Dieu au nom duquel il parle, dénonçant avec force le mal dont souffre le peuple et demandant au Pharaon de le laisser partir. Frères et sœurs, pour intercéder en faveur de notre peuple, nous sommes également appelés à élever la voix contre l’injustice et la prévarication, qui écrasent les gens et utilisent la violence pour gérer les affaires à l’ombre des conflits. Si nous voulons être des pasteurs qui intercèdent, nous ne pouvons pas rester neutres face à la douleur causée par les injustices et les violences, car là où une femme ou un homme est lésé dans ses droits fondamentaux, le Christ lui-même est offensé. J’ai été heureux d’entendre dans le témoignage du Père Luka que l’Église ne cesse d’exercer un ministère à la fois prophétique et pastoral. Merci ! Merci car, s’il y a une tentation dont nous devons nous prémunir, c’est bien celle de laisser les choses telles qu’elles sont et de ne pas nous intéresser aux situations par peur de perdre des privilèges et des commodités.

Deuxième image : Moïse avec les mains tendues. L’Écriture nous dit qu’il, « étendit les bras sur la mer » (Ex 14, 21). Ses mains tendues sont le signe que Dieu est sur le point d’agir. Ensuite, Moïse tiendra les tables de la Loi dans ses mains (cf. Ex 34, 29) pour les montrer au peuple Ses mains tendues indiquent la proximité de Dieu qui est à l’œuvre et qui accompagne son peuple. En effet, pour libérer du mal, la prophétie ne suffit pas, il faut tendre les bras à ses frères et sœurs, soutenir leur marche. Caresser le troupeau de Dieu. Nous pouvons imaginer Moïse montrant le chemin et saisissant les mains des siens pour les encourager à avancer. Après quarante ans, devenu vieux, il reste proche des siens : voilà la proximité. Et cela n’a pas été une tâche facile : il a souvent dû relancer un peuple découragé et fatigué, affamé et assoiffé, parfois même capricieux, qui s’abandonnait aux murmures et à la paresse. Et pour accomplir cette tâche, il a dû aussi lutter contre lui-même, car il a parfois connu des moments d’obscurité et de désolation, comme celui où il a dit au Seigneur : « Pourquoi traiter si mal ton serviteur ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux que tu m’aies imposé le fardeau de tout ce peuple ? […] Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi » (Nb 11, 11.14). Regardez la prière de Moïse : il est épuisé. Pourtant, Moïse n’a pas reculé : toujours proche de Dieu, il ne s’est jamais éloigné des siens. Nous aussi, nous avons ce devoir : tendre la main, relever nos frères, leur rappeler que Dieu est fidèle à ses promesses, les exhorter à avancer. Nos mains ont été “ointes de l’Esprit” non seulement pour les rites sacrés, mais pour encourager, aider, accompagner les personnes à sortir de ce qui les paralyse, les enferme, les rend craintives.

Enfin – troisième image – les mains levées vers le ciel. Lorsque le peuple tombe dans le péché et se fabrique un veau d’or, Moïse remonte sur la montagne – pensons à toute cette patience ! – et prononce une prière qui est une véritable lutte avec Dieu pour qu’il n’abandonne pas Israël. Il va jusqu’à dire : « Ce peuple a commis un grand péché : ils se sont fait des dieux en or. Ah, si tu voulais enlever leur péché ! Ou alors, efface-moi de ton livre, celui que tu as écrit. » (Ex 32, 31-32). Il se range du côté du peuple jusqu’au bout, élève la main en sa faveur. Il ne pense pas à se sauver seul, il ne vend pas le peuple pour ses propres intérêts ! Il intercède. Moïse intercède, Moïse lutte avec Dieu ; il garde les bras levés en prière pendant que ses frères se battent dans la vallée (cf. Ex 17, 8-16). Soutenir les luttes du peuple par la prière devant Dieu, implorer le pardon, administrer la réconciliation en tant que canaux de la miséricorde de Dieu qui pardonne les péchés : tel est notre devoir d’intercesseurs !

Bien-aimés, ces mains prophétiques tendues et levées requièrent un effort, cela n’est pas facile. Être prophète, accompagnateur, intercesseur, montrer par sa vie le mystère de la proximité de Dieu avec son peuple peut même coûter la vie. Beaucoup de prêtres, de religieuses et de religieux – comme Sœur Regina nous l’a dit à propos de ses sœurs – ont été victimes de violences et d’attaques dans lesquelles ils ont perdu la vie. En réalité, ils ont offert leur existence pour la cause de l’Évangile, et leur proximité avec leurs frères et sœurs est un merveilleux témoignage qu’ils nous laissent et qui nous invite à poursuivre leur chemin. Nous pouvons rappeler Saint Daniel Comboni qui, avec ses frères missionnaires, a réalisé une grande œuvre d’évangélisation sur ces terres : il disait que le missionnaire doit être prêt à tout pour le Christ et l’Évangile, et qu’il faut des âmes audacieuses et généreuses qui sachent souffrir et mourir pour l’Afrique.

Je tiens donc à vous remercier pour ce que vous faites au milieu de tant d’épreuves et d’efforts. Merci, au nom de toute l’Église, pour votre dévouement, votre courage, vos sacrifices, votre patience. Merci ! Je vous souhaite, chers frères et sœurs, d’être toujours des pasteurs et des témoins généreux, armés seulement de la prière et de la charité ; pasteurs témoins, qui se laissent docilement surprendre par la grâce de Dieu et deviennent des instruments de salut pour les autres ; pasteurs et prophètes de proximité qui accompagnent le peuple, des intercesseurs aux bras levés. Que la Sainte Vierge vous protège. En ce moment, pensons en silence à nos frères et sœurs qui ont donné leur vie dans ce ministère pastoral ici, et remercions le Seigneur de nous avoir été proches. Nous remercions le Seigneur pour leur proximité martyriale. Prions en silence.

Merci pour votre témoignage. Et si vous avez un peu de temps, priez pour moi. Merci.


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Texte traduit et présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

Rencontre avec les évêques du Congo

Voyage apostolique de Sa Sainteté François en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud (Pèlerinage œcuménique de paix au Soudan du Sud) (31 janvier – 5 février 2023)

– Rencontre avec les évêques au siège de la Conférence épiscopale nationale du Congo

Ce matin, 3 février, après avoir célébré la Sainte Messe en privé, le Saint-Père François a pris congé du personnel et des bienfaiteurs de la Nonciature apostolique de Kinshasa et s’est rendu au siège de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui regroupe les évêques des 48 circonscriptions ecclésiastiques du pays, pour la rencontre avec les évêques.

A 8h30, introduit par le mot de bienvenue du Président de la Conférence épiscopale, l’Archevêque métropolitain de Kisangani, S.E. L’Archevêque Marcel Utembi Tapa, le Pape a prononcé son discours. A la fin de la rencontre, il a récité avec tous le Notre Père et la bénédiction. Ensuite, le pape s’est rendu à l’aéroport international N’djili de Kinshasa pour son départ de la République démocratique du Congo.

Nous publions ci-dessous le discours que le Saint-Père a prononcé lors de la rencontre avec les évêques de la CENCO :

Chers frères Évêques, bonjour !

Je suis heureux de vous rencontrer et je vous remercie de tout cœur pour votre accueil chaleureux. Merci à Mgr Utembi Tapa pour les salutations qu’il m’a adressées et de vous avoir donné la parole à travers les siennes. Je vous suis reconnaissant de la manière dont vous annoncez courageusement la consolation du Seigneur, en marchant au milieu du peuple, en partageant leurs peines et leurs espérances.

Il m’a été agréable de passer ces jours-ci dans votre pays, qui, avec sa grande forêt, est le « cœur vert » de l’Afrique, un poumon pour le monde entier. L’importance de ce patrimoine écologique nous rappelle que nous sommes appelés à protéger la beauté de la création et à la défendre contre les blessures causées par l’égoïsme prédateur. Mais cette immense étendue de verdure qu’est votre forêt est aussi une image qui parle à notre vie chrétienne : en tant qu’Église, nous avons besoin de respirer l’air pur de l’Évangile, chasser l’air pollué de la mondanité, garder le cœur juvénile de la foi. C’est ainsi que j’imagine l’Église africaine et c’est ainsi que je vois cette Église congolaise : une Église jeune, dynamique, joyeuse, animée par la soif missionnaire, par l’annonce que Dieu nous aime et que Jésus est le Seigneur. Votre Église est présente dans l’histoire concrète de ce peuple, enracinée en profondeur dans la réalité, actrice dans la charité ; une communauté capable d’attirer et de contaminer par son enthousiasme et, comme le font vos forêts, avec beaucoup d' »oxygène ». Merci, d’être un poumon qui donne du souffle à l’Église universelle !

C’est laid de commencer un paragraphe par le mot « malheureusement », mais je dois le faire ! Malheureusement, je suis bien conscient que la communauté chrétienne de ce pays présente également une autre physionomie. Votre visage jeune, lumineux et beau est en effet marqué par la douleur et la fatigue, parfois par la peur et le découragement. C’est le visage d’une Église qui souffre pour son peuple, c’est un cœur qui bat au rythme de la vie du peuple avec ses joies et ses tribulations. C’est une Église signe visible du Christ qui, aujourd’hui encore, est rejeté, condamné et méprisé dans les nombreux crucifiés du monde, et qui pleure nos propres larmes. C’est une Église qui, comme Jésus, veut aussi sécher les larmes du peuple, en s’évertuant à prendre sur elle les blessures matérielles et spirituelles des gens, et en faisant couler sur elles l’eau vive qui guérit du côté du Christ.

Avec vous, frères, je vois Jésus souffrant dans l’histoire de ce peuple, peuple crucifié, peuple opprimé, frappé par une violence qui n’épargne pas, marqué par la souffrance des innocents; un peuple contraint de vivre dans les eaux troubles de la corruption et de l’injustice qui polluent la société, et qui souffre de la pauvreté en tant de ses enfants. Mais je vois en même temps un peuple qui n’a pas perdu l’espérance, qui embrasse avec enthousiasme la foi et se tourne vers ses pasteurs, qui sait revenir au Seigneur et se remettre entre ses mains afin que la paix à laquelle il aspire, étouffée par l’exploitation, l’égoïsme partisan, par les poisons des conflits et des vérités manipulées, puisse enfin advenir comme un don d’en haut.

On en vient à se demander : comment exercer le ministère dans cette situation ? En pensant à vous, pasteurs du Peuple saint de Dieu, l’histoire de Jérémie m’est venue à l’esprit, un prophète appelé à vivre sa mission à un moment dramatique de l’histoire d’Israël, au milieu des injustices, des abominations et des souffrances. Il a dépensé sa vie à proclamer que Dieu n’abandonne jamais son peuple et fait émerger des projets de paix, même dans les situations qui semblent perdues et irrécupérables. Mais cette annonce consolante de la foi, Jérémie l’a vécue d’abord dans sa personne, il a le premier fait l’expérience de la proximité de Dieu. Ce n’est que de cette manière qu’il a pu apporter aux autres une courageuse prophétie d’espérance. Votre ministère épiscopal vit aussi entre ces deux dimensions dont je voudrais vous parler : la proximité de Dieu et la prophétie pour le peuple.

Avant tout, je voudrais vous dire : laissez-vous toucher et réconforter par la proximité de Dieu. Il est proche de nous. La première parole que le Seigneur adresse à Jérémie est celle-ci : «Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais» (Jr 1, 5). C’est une déclaration d’amour que Dieu grave dans le cœur de chacun d’entre nous, que personne ne peut effacer et qui, au milieu des tempêtes de la vie, devient une source de réconfort. Pour nous, qui avons reçu l’appel à être les pasteurs du Peuple de Dieu, il est important de nous appuyer sur cette proximité du Seigneur, en nous « structurant dans la prière », en nous tenant pendant des heures devant Lui. Ce n’est qu’ainsi que le peuple qui nous est confié se rapproche du Bon Pasteur, et ce n’est qu’ainsi que nous devenons vraiment des pasteurs, car sans Lui nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15, 5). Nous serions des entrepreneurs, des « maîtres », mais nous ne suivrions pas l’appel du Seigneur. Sans Lui, nous ne pouvons rien faire. Qu’il ne nous arrive pas de nous considérer comme autosuffisants, et encore moins de voir dans l’épiscopat la possibilité d’accéder à une position sociale et d’exercer un pouvoir. Cet horrible esprit de  » carriérisme « . Et surtout : que n’entre pas l’esprit mondain qui nous fait interpréter le ministère selon les critères de nos intérêts lucratifs personnels, qui nous rend froids et détachés dans l’administration de ce qui nous est confié, qui nous pousse à nous servir de la fonction au lieu de servir les autres, et à ne plus nous soucier de la relation indispensable, humble et quotidienne, de la prière. N’oublions pas que la mondanité est le pire qui puisse arriver à l’Église, c’est le pire. J’ai toujours été touché par la fin du livre du cardinal de Lubac sur l’Église, les trois ou quatre dernières pages, où il dit : la mondanité spirituelle est le pire qui puisse arriver, pire encore que l’époque des papes mondains et concubins. C’est pire. Et la mondanité est toujours à l’affût. Soyons attentifs !

Chers frères évêques, soignons notre proximité avec le Seigneur afin d’être ses témoins crédibles et les porte-paroles de son amour auprès du peuple. C’est à travers nous qu’il veut l’oindre de l’huile de la consolation et de l’espérance ! Vous êtes la voix avec laquelle Dieu veut dire aux Congolais : «Tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu » (Dt 7, 6). L’annonce de l’Évangile, l’animation de la vie pastorale, la conduite du peuple ne peuvent se réduire à des principes éloignés de la réalité de la vie quotidienne, mais doivent toucher les blessures et communiquer la proximité divine, afin que les personnes découvrent leur dignité de fils de Dieu et apprennent à marcher la tête haute, sans jamais s’incliner devant les humiliations et les oppressions. Par vous, ce peuple a la grâce de s’entendre dire des paroles semblables à celles que le Seigneur adressa à Jérémie : « Tu es un peuple béni, avant de te former dans le ventre de ta mère, j’ai pensé à toi, je t’ai connu, je t’ai aimé ». Si nous cultivons la proximité avec Dieu, nous serons poussés vers le peuple et nous éprouverons toujours de la compassion pour ceux qui nous sont confiés. Cette attitude de compassion, qui n’est pas un sentiment, c’est un souffrir avec. Réconfortés et fortifiés par le Seigneur, nous devenons à notre tour des instruments de consolation et de réconciliation pour les autres, pour guérir les blessures de ceux qui souffrent, apaiser la peine de ceux qui pleurent, relever les pauvres, libérer les personnes de nombreuses formes d’esclavage et d’oppression. C’est dire que la proximité de Dieu fait de nous des prophètes pour le peuple, capables de semer la Parole qui sauve dans l’histoire blessée de cette terre.

Et pour approfondir ce deuxième point, la prophétie pour le peuple, regardons à nouveau l’expérience de Jérémie. Après avoir reçu la Parole aimante et consolante de Dieu, il est appelé à être «prophète pour les nations» (Jr 1, 5), envoyé pour apporter la lumière dans les ténèbres, pour témoigner dans un contexte de violence et de corruption. Et Jérémie, qui dévore la Parole du Seigneur, car elle est pour lui joie et allégresse du cœur (cf. Jr 15, 10), confesse que cette même Parole sème en lui une inquiétude irrépressible et le pousse à aller vers les autres pour qu’ils soient touchés par la présence de Dieu. Il écrit: «Elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir» (Jr 20, 9). Nous ne pouvons pas garder la Parole de Dieu pour nous seuls, nous ne pouvons pas contenir sa puissance : elle est un feu qui brûle notre apathie et allume en nous le désir d’éclairer ceux qui sont dans les ténèbres. La Parole de Dieu est un feu qui brûle à l’intérieur et qui nous pousse à sortir ! Voilà notre identité épiscopale: brûlés par la Parole de Dieu, en sortie vers le peuple de Dieu, avec zèle apostolique !

Mais – nous pouvons nous demander – en quoi consiste cette annonce prophétique de la Parole, cette ardeur? Le Seigneur dit au prophète Jérémie : «Voici, je mets dans ta bouche mes paroles! Vois: aujourd’hui, je te donne autorité sur les nations et les royaumes, pour arracher et renverser, pour détruire et démolir, pour bâtir et planter» (Jr 1, 9-10). Ce sont des verbes forts : d’abord arracher et renverser, pour finalement bâtir et planter. Il s’agit de collaborer à une histoire nouvelle que Dieu veut construire dans un monde de perversion et d’injustice. Vous aussi, donc, vous êtes appelés à continuer à faire entendre votre voix prophétique pour que les consciences se sentent interpellées et que chacun devienne acteur et responsable d’un avenir différent. Il faut donc arracher les plantes vénéneuses de la haine et de l’égoïsme, de la rancœur et de la violence ; renverser les autels consacrés à l’argent et à la corruption ; bâtir une coexistence basée sur la justice, la vérité et la paix ; et, enfin, planter les graines de la renaissance pour que le Congo de demain soit vraiment ce dont le Seigneur rêve : une terre bénie et heureuse, plus jamais violentée, opprimée ni ensanglantée.

Mais attention, il ne s’agit pas d’une action politique. La prophétie chrétienne s’incarne dans de multiples actions politiques et sociales, mais telle n’est pas la tâche des évêques et des pasteurs en général. Elle est d’annoncer la Parole pour éveiller les consciences, pour dénoncer le mal, pour réconforter ceux qui sont affligés et sans espérance.  » Consolez, consolez mon peuple  » : cette devise qui revient, revient, est une invitation du Seigneur : consolez le peuple. « Consolez, consolez mon peuple ». Il s’agit d’une annonce faite non seulement de mots mais aussi de proximité et de témoignage : proximité, tout d’abord, avec les prêtres – les prêtres sont ceux qui sont les plus proches d’un évêque -, écoute des agents pastoraux, encouragement de l’esprit synodal pour travailler ensemble. Et le témoignage, parce que les pasteurs doivent être crédibles, avant tout, en toutes choses, et en particulier dans le fait de cultiver la communion, dans la vie morale et dans l’administration des biens. Il est essentiel, en ce sens, de savoir construire l’harmonie sans se mettre sur des piédestaux, sans rudesses, mais en donnant le bon exemple du soutien et du pardon mutuel, en travaillant ensemble comme des modèles de fraternité, de paix et de simplicité évangéliques. Qu’il n’arrive jamais, alors que le peuple souffre de la faim, que l’on puisse dire de vous : « Ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce» (Mt 22, 5). Non, le commerce, s’il vous plaît, laissons-le en dehors de la vigne du Seigneur ! Un pasteur ne peut pas être un homme d’affaires, il ne peut pas ! Nous sommes pasteurs et serviteurs du peuple de Dieu, pas des administrateurs de biens, pas des hommes d’affaires, des pasteurs ! L’administration de l’évêque doit être celle du berger : devant le troupeau, au milieu du troupeau, derrière le troupeau. Devant le troupeau pour montrer le chemin ; au milieu du troupeau pour sentir le troupeau, pour ne pas le perdre ; derrière le troupeau pour aider ceux qui vont plus lentement, et aussi pour laisser le troupeau seul pendant un moment et voir où il trouve des pâturages. Le berger doit se déplacer dans ces trois directions.

Chers frères évêques, j’ai partagé avec vous ce que je portais dans mon cœur : cultiver la proximité avec le Seigneur afin d’être des signes prophétiques de sa compassion pour le peuple. Je vous prie de ne pas négliger le dialogue avec Dieu et de ne pas laisser le feu de la prophétie s’éteindre, à cause de calculs ou de compromis avec le pouvoir, ni à cause d’une vie tranquille et routinière. Face au peuple qui souffre et face à l’injustice, l’Évangile exige que nous élevions la voix. Quand nous élevons notre voix selon Dieu, nous risquons. C’est ce qu’a fait l’un de vos frères, le serviteur de Dieu Mgr Christophe Munzihirwa, un pasteur courageux et une voix prophétique, qui a gardé son peuple en offrant sa vie. La veille de sa mort, il avait envoyé un message à tous en disant : «En ces jours, que pouvons-nous encore faire ? Restons fermes dans la foi. Ayons confiance que Dieu ne nous abandonnera pas et que, de quelque part, une petite lueur d`espérance naîtra pour nous. Dieu ne nous abandonnera pas si nous nous engageons à respecter la vie de nos voisins, quel que soit le groupe ethnique auquel ils appartiennent». Le lendemain, il a été tué sur la place de la ville, mais sa graine, plantée dans cette terre, avec celle de beaucoup d’autres, portera du fruit. Il est bon de se souvenir, avec gratitude, des grands pasteurs qui ont marqué l’histoire de votre pays et de votre Église, de ceux qui vous ont évangélisés et précédés dans la foi. Frères, ils sont vos racines qui vous fortifient dans l’ardeur évangélique. Je pense à tout le bien que reçu par le fait d’avoir connu le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya.

Bien-aimés, n’ayez pas peur d’être des prophètes d’espérance pour le peuple, des voix concordantes de la consolation du Seigneur, des témoins et des messagers joyeux de l’Évangile, des apôtres de la justice, des Samaritains de la solidarité, des témoins de la miséricorde et de la réconciliation au milieu des violences déclenchées, non seulement par l’exploitation des ressources et les conflits ethniques et tribaux, mais aussi et surtout par la puissance obscure du malin, l’ennemi de Dieu et de l’homme. Mais ne vous découragez jamais : le Crucifié est ressuscité, Jésus est victorieux, bien plus, il a déjà vaincu le monde (cf. Jn 16, 33) et il veut briller en vous, dans votre précieux travail, dans votre ensemencement fécond de paix ! Frères, je veux vous remercier pour votre service, pour votre zèle pastoral, pour votre témoignage.

Et, maintenant que je suis arrivé au terme de ce voyage, je tiens à vous exprimer toute ma gratitude, ainsi qu’à ceux qui l’ont préparé ici. Vous avez eu la patience d’attendre un an, vous êtes bons ! Merci pour cela ! Vous avez dû travailler deux fois, car la première fois la visite a été annulée, mais je sais que vous êtes miséricordieux envers le Pape! Merci beaucoup! En juin prochain, vous célébrerez le Congrès eucharistique national à Lubumbashi. Jésus est vraiment présent et à l’œuvre dans l’Eucharistie ; là, il restaure et guérit, console et unit, illumine et transforme ; là, il inspire, soutient et rend votre ministère efficace. Que la présence de Jésus, le pasteur doux et humble, vainqueur du mal et de la mort, transforme ce grand pays et soit toujours votre joie et votre espérance ! Je vous bénis de tout cœur.

Je voudrais ajouter une seule chose : j’ai dit  » soyez miséricordieux « . La miséricorde. Pardonnez toujours. Quand un croyant vient se confesser, il vient demander le pardon, il vient demander la caresse du Père. Et nous, d’un doigt accusateur : « Combien de fois ? Et comment l’avez-vous fait ?… ». Non, pas ça. Pardonnez. Toujours. « Mais je ne sais pas…, parce que le code me dit… ». Le code nous devons l’observer, car il est important, mais le cœur du pasteur va au-delà ! Prenez le risque. Pour le pardon, prenez des risques. Toujours. Pardonnez toujours dans le Sacrement de la Réconciliation. Et ainsi vous sèmerez le pardon pour l’ensemble de la société.

Je vous bénis de tout mon cœur. Et s’il vous plait, continuez à prier pour moi, car cette charge est un peu difficile ! Mais je me confie à vous. Merci.


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