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La paix qui naît de la fraternité permet de surmonter les crises

La paix qui naît de la fraternité permet de surmonter les crises

Le message du Pape François pour la 56e Journée mondiale de la paix célébrée le 1er janvier parle de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine, deux crises majeures qui doivent interpeller l’humanité. Seuls la fraternité et la compassion, inspirées par l’amour de Dieu, peuvent nous aider à tracer des sentiers de paix.
MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
POUR LA CÉLÉBRATION DE LA
LVe JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX
1er JANVIER 2023
Personne ne peut se sauver tout seul.
Repartir après la Covid-19 pour tracer ensemble des sentiers de paix

« Pour ce qui est des temps et des moments de la venue du Seigneur, vous n’avez pas besoin, frères, que je vous en parle dans ma lettre. Vous savez très bien que le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit » (Première Lettre de Saint Paul aux Thessaloniciens 5, 1-2).

1. L’Apôtre Paul invitait par ces mots la communauté de Thessalonique à rester ferme dans l’attente de la rencontre avec le Seigneur, les pieds et le cœur sur terre, capable de porter un regard attentif sur la réalité et les événements de l’histoire.

C’est pourquoi, même si les événements de notre existence semblent tragiques et que nous nous sentons poussés dans le tunnel sombre et pénible de l’injustice et de la souffrance, nous sommes appelés à garder le cœur ouvert à l’espérance, en faisant confiance à Dieu qui se rend présent, nous accompagne avec tendresse, nous soutient dans notre fatigue et, surtout, guide notre chemin.

C’est pourquoi saint Paul exhorte constamment la communauté à veiller, en recherchant le bien, la justice et la vérité : « Ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres » (5, 6).

C’est une invitation à rester en éveil, à ne pas nous enfermer dans la peur, la souffrance ou la résignation, à ne pas céder à la distraction, à ne pas nous décourager, mais à être au contraire comme des sentinelles capables de veiller et de saisir les premières lueurs de l’aube, surtout aux heures les plus sombres.

Un trésor fragile, la fraternité

2. La Covid-19 nous a plongés dans la nuit, déstabilisant notre vie ordinaire, chamboulant nos plans et nos habitudes, bouleversant l’apparente tranquillité des sociétés, même les plus privilégiées, entrainant désorientation et souffrance, causant la mort de beaucoup de nos frères et sœurs.

Entrainé dans un tourbillon de défis imprévus et dans une situation qui n’était pas très claire, même du point de vue scientifique, le monde de la santé s’est mobilisé pour soulager la douleur de nombre de personnes et tenter d’y remédier, tout comme les Autorités politiques qui ont dû prendre des mesures importantes en termes d’organisation et de gestion de l’urgence.

En plus des manifestations physiques, la Covid-19 a provoqué, parfois à long terme, un malaise général qui a grandi dans le cœur de nombreux individus et familles, avec des effets considérables alimentés par de longues périodes d’isolement et diverses restrictions de liberté.

En outre, nous ne pouvons pas oublier la manière dont la pandémie a touché certains aspects sensibles de l’ordre social et économique, faisant ressortir des contradictions et des inégalités. Elle a menacé la sécurité de l’emploi de nombreuses personnes et aggravé la solitude de plus en plus répandue dans nos sociétés, notamment celle des plus faibles et des pauvres.

Pensons, par exemple, aux millions de travailleurs clandestins dans de nombreuses régions du monde, qui sont restés sans emploi et sans aucun soutien durant tout le confinement.

Les individus et la société progressent rarement dans des situations générant un tel sentiment de défaite et d’amertume : ce dernier affaiblit les efforts dépensés pour la paix et provoque des conflits sociaux, des frustrations et des violences de toutes sortes. En ce sens, la pandémie semble avoir bouleversé même les parties les plus paisibles de notre monde, faisant ressortir d’innombrables fragilités.

3. Après trois années, l’heure est venue de prendre le temps de nous interroger, d’apprendre, de grandir et de nous laisser transformer, tant individuellement que communautairement ; un temps privilégié pour se préparer au « jour du Seigneur ». J’ai déjà eu l’occasion de répéter qu’on ne sort jamais identiques des moments de crise : on en sort soit meilleur, soit pire.

Aujourd’hui, nous sommes appelés à nous demander : qu’avons-nous appris de cette situation de pandémie ? Quels chemins nouveaux devons-nous emprunter pour nous défaire des chaînes de nos vieilles habitudes, pour être mieux préparés, pour oser la nouveauté ? Quels signes de vie et d’espérance pouvons-nous saisir pour aller de l’avant et essayer de rendre notre monde meilleur ?

Après avoir touché du doigt la fragilité qui caractérise la réalité humaine ainsi que notre existence personnelle, nous pouvons dire avec certitude que la plus grande leçon léguée par la Covid-19 est la conscience du fait que nous avons tous besoin les uns des autres, que notre plus grand trésor, et aussi le plus fragile, est la fraternité humaine fondée sur notre filiation divine commune, et que personne ne peut se sauver tout seul.

Le socle de la paix

Il est donc urgent de rechercher et de promouvoir ensemble les valeurs universelles qui tracent le chemin de cette fraternité humaine. Nous avons également appris que la confiance dans le progrès, la technologie et les effets de la mondialisation n’a pas seulement été excessive, mais s’est transformée en un poison individualiste et idolâtre, menaçant la garantie souhaitée de justice, de concorde et de paix.

Dans notre monde qui court très vite, les problèmes généralisés de déséquilibres, d’injustices, de pauvretés et de marginalisations alimentent très souvent des troubles et des conflits, et engendrent des violences voire des guerres.

Tandis que, d’une part, la pandémie a fait émerger tout cela, nous avons fait d’autre part des découvertes positives :
un retour bénéfique à l’humilité ; une réduction de certaines prétentions consuméristes ;
un sens renouvelé de la solidarité qui nous incite à sortir de notre égoïsme pour nous ouvrir à la souffrance des autres et à leurs besoins ;
un engagement, parfois vraiment héroïque, de tant de personnes qui se sont dépensées pour que tous puissent mieux surmonter le drame de l’urgence.

Il a résulté de cette expérience une conscience plus forte qui invite chacun, peuples et nations, à remettre au centre le mot « ensemble ». En effet, c’est ensemble, dans la fraternité et la solidarité, que nous construisons la paix, que nous garantissons la justice et que nous surmontons les événements les plus douloureux.

En effet, les réponses les plus efficaces à la pandémie ont été celles qui ont vu des groupes sociaux, des institutions publiques et privées, des organisations internationales, s’unir pour relever le défi en laissant de côté les intérêts particuliers. Seule la paix qui naît de l’amour fraternel et désintéressé peut nous aider à surmonter les crises personnelles, sociales et mondiales.

Le fléau de la guerre en Ukraine

4. Dans le même temps, au moment où nous osions espérer que le pire de la nuit de la pandémie de Covid-19 avait été surmonté, une nouvelle calamité terrible s’est abattue sur l’humanité. Nous avons assisté à l’apparition d’un autre fléau : une guerre de plus, en partie comparable à la Covid-19 mais cependant motivée par des choix humains coupables.

La guerre en Ukraine sème des victimes innocentes et répand l’incertitude, non seulement pour ceux qui sont directement touchés, mais aussi pour tout le monde, de manière étendue et indiscriminée, y compris pour tous ceux qui, à des milliers de kilomètres de distance, souffrent des effet collatéraux – il suffit de penser aux problèmes du blé et du prix du carburant.

Ce n’est certes pas l’ère post-Covid que nous espérions ou attendions. En effet, cette guerre, comme tous les autres conflits répandus de par le monde, est une défaite pour l’humanité entière et pas seulement pour les parties directement impliquées.

Alors qu’un vaccin a été trouvé pour la Covid-19, des solutions adéquates n’ont pas encore été trouvées pour la guerre. Le virus de la guerre est certainement plus difficile à vaincre que ceux qui affectent l’organisme humain, car il ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur, du cœur humain, corrompu par le péché (cf. Évangile de Marc 7, 17-23).

5. Que nous est-il donc demandé de faire ? Tout d’abord, de nous laisser changer le cœur par l’urgence que nous avons vécue, c’est-à-dire permettre à Dieu, à travers ce moment historique, de transformer nos critères habituels d’interprétation du monde et de la réalité.

Nous ne pouvons plus penser seulement à préserver l’espace de nos intérêts personnels ou nationaux, mais nous devons y penser à la lumière du bien commun, avec un sens communautaire c’est-à-dire comme un « nous » ouvert à la fraternité universelle.

Nous ne pouvons pas continuer à nous protéger seulement nous-mêmes, mais il est temps de nous engager tous pour guérir notre société et notre planète, en créant les bases d’un monde plus juste et plus pacifique, effectivement engagé dans la poursuite d’un bien qui soit vraiment commun.

Se lever pour relever les défis

Pour y parvenir et vivre mieux après l’urgence de la Covid-19, nous ne pouvons pas ignorer un fait fondamental : les nombreuses crises morales, sociales, politiques et économiques que nous vivons sont toutes interconnectées.

Ce que nous considérons comme étant des problèmes individuels sont en réalité causes ou conséquences les unes des autres. Nous sommes appelés à relever les défis de notre monde, avec responsabilité et compassion.

Nous devons réexaminer la question de la garantie de la santé publique pour tous ;
promouvoir des actions en faveur de la paix pour mettre fin aux conflits et aux guerres qui continuent à faire des victimes et à engendrer la pauvreté ;
prendre soin, de manière concertée, de notre maison commune et mettre en œuvre des mesures claires et efficaces pour lutter contre le changement climatique ;
combattre le virus des inégalités et garantir l’alimentation ainsi qu’un travail décent pour tous, en soutenant ceux qui n’ont pas même un salaire minimum et se trouvent en grande difficulté.

Le scandale des peuples affamés nous blesse. Nous devons développer, avec des politiques appropriées, l’accueil et l’intégration, en particulier des migrants et de ceux qui vivent comme des rejetés dans nos sociétés.

Ce n’est qu’en nous dépensant dans ces situations, avec un désir altruiste inspiré par l’amour infini et miséricordieux de Dieu, que nous pourrons construire un monde nouveau et contribuer à édifier le Royaume de Dieu qui est un Royaume d’amour, de justice et de paix.

En partageant ces réflexions, je souhaite qu’au cours de la nouvelle année, nous puissions marcher ensemble en conservant précieusement ce que l’histoire peut nous apprendre.

Je présente mes meilleurs vœux aux Chefs d’État et de Gouvernement, aux Responsables des Organisations internationales, aux Leaders des différentes religions. À tous les hommes et femmes de bonne volonté, je leur souhaite de construire, jour après jour en artisans de la paix, une bonne année ! Que Marie Immaculée, Mère de Jésus et Reine de la Paix, intercède pour nous et pour le monde entier.

Du Vatican, le 8 décembre 2022

Pape François


Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana

PRIER LE CHAPELET

PRIER LE CHAPELET

chapelet
chapelet

Voici revenu le mois  de mai.
Et ce retour cyclique  ramène notre pensée
sur ce bon vieux chapelet,
qui se cache modestement au fond d’une poche ou d’un sac,
s’il n’a pas été relégué au fond d’un tiroir,
à côté de la croix de première communion
ou de quelques reliques de famille.
Oui, il est bien passé de mode, notre vénérable chapelet !
Car la mode sévit, même dans la dévotion.

Et si tenace que l’Église a quelque peine,
sur ce point comme sur bien d’autres,
à ramener ses filles et ses fils à la sagesse.
Ses interventions en faveur du chapelet ne se comptent pas.
Que devons-nous y lire, dans cette insistance de l’Église ?

Souci un peu vain d’empêcher que ne meure complètement une vieille dévotion,
respectable somme toute pour tout ce qu’elle incarne pour nous
de souvenirs et de leçons passées ?
Ou une préoccupation éducatrice de ne pas laisser se perdre, dans la vie chrétienne,
une forme de prière plus utile, plus actuelle que jamais ?

Faisons un peu d’histoire

L’histoire de la prière du Chapelet remonte au Moyen-âge. À l’époque, ceux qui ne pouvaient pas prier les 150 psaumes de l’office des moines, parce qu’ils ne connaissaient pas le latin, ont pris l’habitude de prier 150 fois une prière dédiée à la Vierge Marie tout en méditant différents épisodes de la vie du Christ, appelés Mystères.

C’est grâce aux religieux dominicains que cette prière s’est répandue dans toute l’Église, mais c’est le Pape Saint Pie V qui lui a donné sa forme actuelle, complétée récemment par le Pape Jean-Paul II qui a ajouté aux quinze mystères joyeux, douloureux et glorieux, la méditation de cinq autres mystères appelés mystères lumineux.

Le nom de rosaire, vient du mot « rose », chaque prière est comme une des roses de la couronne de la Vierge Marie. Lors des grandes apparitions récentes de la Vierge Marie, celle-ci a encouragé la prière du chapelet. A Fatima en 1917, Marie s’est présentée comme « Notre Dame du Rosaire ».

À la suite de nombreux Papes, dont Léon XIII et Paul VI, le Pape Jean-Paul II nous a rappelé la valeur de la prière du rosaire : « Cependant, la raison la plus importante de redécouvrir avec force la pratique du Rosaire est le fait que ce dernier constitue un moyen très valable pour favoriser chez les fidèles l’engagement de contemplation du mystère chrétien comme une authentique « pédagogie de la sainteté »: « Il faut un christianisme qui se distingue avant tout dans l’art de la prière »

Alors que dans la culture contemporaine, même au milieu de nombreuses contradictions, affleure une nouvelle exigence de spiritualité, suscitée aussi par les influences d’autres religions, il est plus que jamais urgent que nos communautés chrétiennes deviennent «d’authentiques écoles de prière ».

La lettre Apostolique « Rosarium Virginis Mariae »

A l’occasion de l’audience générale du mercredi 16 octobre 2002, Jean-Paul II a proclamé sa XXV° année de pontificat « Année du Rosaire ». Puis il a signé et promulgué la Lettre Apostolique « Rosarium Virginis Mariae », dont voici un extrait :
« 4. Pour la tâche exigeante, mais extraordinairement riche de contempler le visage du Christ avec Marie, existe-t-il un meilleur moyen que la prière du Rosaire ? Nous devons cependant redécouvrir la profondeur mystique contenue dans la simplicité de cette prière, si chère à la tradition populaire.
Dans sa structure, en effet, cette prière mariale est surtout une méditation des mystères de la vie et de l’oeuvre du Christ. En répétant l’invocation de l’Ave Maria, nous pouvons approfondir les événements essentiels de la mission du Fils de Dieu sur terre, qui nous ont été transmis par l’Evangile et par la Tradition.
Pour que cette synthèse de l’Evangile soit plus complète et offre une plus grande inspiration, j’ai proposé, dans la Lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae, d’ajouter cinq autres mystères à ceux actuellement contemplés dans le Rosaire, et je les ai appelés « mystères lumineux ». Ils comprennent la vie publique du Sauveur, du Baptême dans le Jourdain jusqu’au début de la Passion.
Cette suggestion a pour but d’amplifier l’horizon du Rosaire, afin qu’il soit possible à celui qui le récite avec dévotion, et non de façon mécanique, de pénétrer encore plus profondément dans le contenu de la Bonne Nouvelle et de conformer toujours sa propre existence à celle du Christ. »

Le rosaire se situe donc dans la meilleure et dans la plus pure tradition de la contemplation chrétienne. Développé en Occident, il est une prière typiquement méditative dont justement le caractère répétitif permet de se laisser entraîner vers la contemplation des mystères de la vie du Christ.

Actualité du Chapelet

Actuel plus que jamais, s’il est vrai que notre monde frénétique risque de sauter comme un tonneau de poudre surchauffé, s’il ne revient pas à plus de bon sens et si nous n’arrivons pas à nous refaire des cœurs d’enfants.

Du temps que je pense à tout cela, chantent à ma mémoire des textes exquis écrits à la gloire du chapelet. Devant mes yeux passent des images mille fois contemplées :

Soeur Catherine Labouré, après les apparitions, récitant avec ferveur son chapelet au milieu de ses vieillards à l’hospice de Reuilly ;
la petite Bernadette à genoux devant une grotte, au creux de laquelle la « Dame » lui sourit, le Rosaire suspendu tout le long de sa robe ;
et ces foules de Lourdes ou de la rue du Bac répétant des milliers de fois le jour leurs Ave Maria déterminés ;
et cette mère, à qui le souci quotidien de huit enfants n’a pas fait oublier son chapelet ;
et ce médecin rencontré un jour au coin d’une rue et qui, entre deux malades, égrenait une dizaine au creux de la main ;
et, autour d’un défunt dont on achève la dernière toilette, ce geste qui enlace ses mains d’un chapelet, peut-être celui de sa première communion ;
et tous ces chrétiens qui m’entourent, que j’estime et que je vois user de leur chapelet, et dans les luttes de la vie l’enrouler autour de leurs journées de luttes, comme Psichari monta au dernier assaut, son chapelet enroulé autour du poignet,  comme Ingrid Bétancourt, au sortir de plusieurs années de séquestration dans la jungle.

Tout cela, n’est-ce donc qu’illusion d’âmes sentimentales, ronronnement de bavards, gestes à l’usage d’âmes enrubannées de bleu et sans prise efficace sur le christianisme de choc dont le témoignage est nécessaire à notre époque de fer ?

Et que, « dans le mécanisme du salut, l’Ave Maria soit le dernier recours » (Péguy) – même à côté du Pater, c’est-à-dire du Notre père, car si le Pater garde ses exigences, l’Ave Maria, lui, ne nous parle que de pitié – n’y a-t-il là que rêverie de poète ?

Je ne sais quelle voix, montée des profondeurs de moi-même, proteste là contre et me dit que le chapelet reste, en mes mains, une arme efficace, et que ces petits grains que mes doigts pétrissent renferment une présence maternelle – à l’image lointaine des grains de blé pressés qui, devenus hostie, cachent une vivante présence.

Ma vie suit la même courbe que celle de Marie – depuis l’appel lointain de l’Annonciation (quel chrétien n’a pas eu son annonciation ?), jusqu’au sacrifice du Calvaire, en attendant la résurrection glorieuse que Dieu me réserve.

Tout au long de cette courbe de ma vie terrienne, je puis mettre mes pas dans les pas de ma Mère et vivre des événements qu’elle a vécus avant moi pour que je puisse les vivre avec elle, en essayant de l’imiter comme un enfant répète les gestes maternels.

« Cette prière que l’orgueil dédaigne, ce chapelet que tous les doigts peuvent user, paraissent tout simples à une Eglise fondée sur 1’humilité et sur la fraternité. » (Sertillanges) Je dois, en ce mois de mai, essayer de la comprendre.

Il faut toujours prier sans jamais se lasser.

C’est souvent à propos du chapelet qu’on avance ce faux dilemme : prier bien ou prier beaucoup? Comme si prier beaucoup – prière vocale s’entend – frappait la prière de médiocrité! Il est vrai qu’à première vue l’Évangile lui-même paraît poser ce dilemme : « Dans vos prières, ne multipliez pas les paroles comme font les païens; ils s’imaginent que leur verbiage les fera mieux exaucer. »

J’entendais un jour un prédicateur de retraite déclarer avec feu à son auditoire qui béait de contentement : « Mieux vaut une dizaine de chapelet bien dite qu’un chapelet mal dit. » C’est vrai et c’est faux. Mais je crois que c’est plus faux que vrai. Car à ce compte on pourrait ajouter: mieux vaut un Ave Maria bien dit qu’une dizaine mal dite; et aussi : mieux vaut une pensée fervente qu’un Ave Maria médiocre.

C’est avec ces pieuses âneries qu’on finirait par rendre impossible toute piété d’Église. Car le jour où nous tendrions à l’amour sur cette seule piste de la prière intérieure, que deviendrait cette prière totale qui nous tourne vers Dieu avec notre cœur, notre corps, notre imagination, et qui appuie notre élan intérieur sur des gestes, des mots, des attitudes ?

Quand nous prions, c’est tout, en nous, qui doit prier : notre cœur, certes, mais aussi nos lèvres, nos mains, notre corps tout entier, ce compagnon de l’âme pour le bien comme pour le mal, pour la souffrance comme pour la joie, pour le péché comme pour le mérite, pour le temps comme pour l’éternité.

Mieux vaut prier bien que prier beaucoup : un aphorisme qui mène ainsi à l’absurde ne peut être la vérité. Il eût été facile de renchérir sur la déclaration de ce bon prédicateur en mal d’éloquence, en citant saint Paul qui disait aux habitants de Corinthe : « Dans l’assemblée, j’aime mieux dire cinq mots avec mon intelligence que dix mille en langue. » Pour autant, Paul condamnait-il les longues oraisons, qu’elles fussent vocales ou mentales ?

Le Chapelet, prière complète

Il existe une image scoute exquise de simplicité. Gravée par fra Nodet, elle représente un dizainier serti de dix rayons et, sur ces rayons, cette seule inscription dix fois répétée : «Bonjour, maman!»

Tel est le chapelet, humble prière d’enfant sans prétention redisant cinquante fois de suite à la Vierge : Je vous salue, Marie ! Paroles bénies qui nous sont tout droit venues du ciel, le jour de l’Annonciation – jour inouï où pour l’homme tout a commencé – et auxquelles l’Église a ajouté les mots de supplication que ne cessera de répéter jusqu’à la fin des temps l’humanité pécheresse.

Ne serait-il que cela, mon chapelet m’est cher. Tant qu’un homme ne l’oublie pas, c’est le signe qu’il garde en lui cette jeunesse du cœur qui défie l’usure des années. Mais il est plus que cela, mon chapelet. Il est une prière complète. On sait que trois éléments sont nécessaires à son efficacité : l’emploi de la couronne de grains, la récitation des Ave, la méditation des mystères. Faute de quoi, le chapelet cesse d’être lui-même.

Car il est fait pour l’homme tout entier : corps, imagination, esprit, cœur et volonté. Il commence par occuper le corps et l’imagination. Ça, c’est une trouvaille de l’Eglise. Si souvent, notre prière manque d’ailes, parce que l’alourdissent le corps et ses servitudes, l’imagination et ses sarabandes !

Le chapelet mâte le corps et occupe l’imagination. Pendant que je prie ainsi, le corps a son rôle. Mes doigts s’activent et bousculent les grains qui se suivent. Ils paraissent tirer en avant mon âme paresseuse et l’incitent à persévérer dans sa prière.

Oui, c’est cela : le va-et-vient des lèvres et des doigts, où un regard superficiel ne voit qu’une répétition fastidieuse n’est que cette persévérance que nous recommande l’Évangile. Nous répétons sans fin à une Mère ce qu’elle sait déjà, mais ce qu’une mère veut, sans fin, s’entendre dire : que nous l’aimons et que nous comptons sur elle.

Aimer : mot si simple mais inépuisable ! Il ne sait que se répéter sans fin et n’a jamais fini de nous livrer son secret. Même la répétition des mêmes formules, loin de rendre le chapelet inutile et ennuyeux, possède une admirable vertu que révèle l’expérience, pour exciter la confiance dans la prière et faire comme une douce violence au cœur maternel de Marie.

Et durant que s’affairent ainsi nos lèvres et nos doigts, une part est faite à l’imagination, cette grande folle qui envahit tout si nous ne l’occupons pas. Et cette part est belle. Car devant mon regard intérieur, voici que passent et repassent les grands épisodes évangéliques qui jalonnent la route rédemptrice suivie par Jésus et sa Mère. C’est comme un album de famille que je feuillette. Les mots que je dis ne gênent pas ma vision intérieure. C’est elle, au contraire, qui ajoute aux mots je ne sais quel frémissement venu du cœur.

« Si quelqu’un veut se mettre à ma suite, qu’il prenne sa croix. » (Matthieu, xvi, 24). Je fais, en imagination, ce chemin de croix qui, parti de l’Annonciation, aboutit au Calvaire, pour rebondir sur la Résurrection. Au vrai, n’est-ce pas toute ma vie, ce chemin de croix? Et qu’est-ce que «suivre Jésus», si ce n’est monter sur la croix avec Lui ?

Or, pendant que je bouscule mes Ave, voici que, en filigrane des scènes évangéliques que je contemple, se dessinent les lignes de cet « Évangile du glaive » qui me jette à la suite de Jésus. C’est ce que nous  appelons le « fruit du Mystère ». La prudence hardie de l’Annonciation, la charité empressée de la Visitation, l’obéissance aveugle de la Purification, le courage devant l’épreuve du Portement de croix, la joie de la Résurrection… tous ces « fruits » que m’offre ma Mère, je dois les transplanter dans ma vie d’homme. Car Dieu ne nous donne rien que nous n’ayons à conquérir ou, après coup, à mériter.

Partie de mes Ave inlassablement répétés et soutenue par la vision intérieure de ce que furent, pour mon exemple, Jésus et Marie, ma prière va donc s’inscrire en résolutions de vie dans ma volonté d’homme. Une fois roulé dans son étui mon humble chapelet, je sais ce qu’il me reste à faire, si je suis un chrétien logique.

Quelques-unes des objections que l’on fait au chapelet, peut-être viennent-elles de la peur de cette terrible logique qu’une pareille prière met dans notre vie. On sait que Foch disait son chapelet tous les jours. « Même aux jours de bataille? » lui demanda une fois quelqu’un. Le grand soldat répondit simplement : « Ces jours-là, n’en avais-je pas besoin encore plus que les autres jours? »

Terminons avec ces paroles de  Benoît XVI

Place Saint-Pierre, samedi 31 mai 2008

« Chers frères et sœurs,
Tout nous invite donc à tourner notre regard avec confiance vers Marie.

Ce soir aussi, nous nous sommes adressés à Elle avec l’ancienne et toujours actuelle pieuse pratique du chapelet. Le chapelet, lorsqu’il n’est pas une répétition mécanique de formules traditionnelles, est une méditation biblique qui nous fait reparcourir les événements de la vie du Seigneur en compagnie de la Bienheureuse Vierge, en les conservant, comme Elle, dans notre cœur.

Au cours du mois de mai, il existe dans de nombreuses communautés chrétiennes la belle habitude de réciter de manière plus solennelle le chapelet en famille et dans les paroisses.

Que cette bonne habitude ne cesse pas; qu’elle se poursuive même avec un plus grand zèle, afin que, à l’école de Marie, la lampe de la foi brille toujours plus dans le cœur des chrétiens et dans leurs maisons. »

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

LA FORCE TRANSFORMATRICE DE LA PRIÈRE 2

LETTRE DE CARÊME 2020

« LA FORCE TRANSFORMATRICE DE LA PRIÈRE » 2

 

Il m'a envoyé porter l'Évangile aux pauvres
Il m’a envoyé porter l’Évangile aux pauvres

En effet, la prière transforme ma hiérarchie de valeurs et ma relation aux personnes, aux objets, aux lieux et au temps. Mes priorités deviennent différentes de celles du monde même si j’y vis. La lettre dite à Diognète propose une description des premiers chrétiens qui devrait également s’appliquer à moi :

« Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils n’emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Leur doctrine n’a pas été découverte par l’imagination ou par les rêveries d’esprits inquiets ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine d’origine humaine.

Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils prennent place à une table commune, mais qui n’est pas une table ordinaire. Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois.

Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On ne les connaît pas, mais on les condamne ; on les tue et c’est ainsi qu’ils trouvent la vie. Ils sont pauvres et font beaucoup de riches. Ils manquent de tout et ils ont tout en abondance. On les méprise et, dans ce mépris, ils trouvent leur gloire. On les calomnie, et ils y trouvent leur justification. On les insulte, et ils bénissent. On les outrage, et ils honorent. Alors qu’ils font le bien, on les punit comme des malfaiteurs. Tandis qu’on les châtie, ils se réjouissent comme s’ils naissaient à la vie ». « Office des lectures, mercredi de la cinquième semaine du Temps pascal, chapitre 5, ‘Les chrétiens dans le monde’. »

Les chrétiens décrits ci-dessus n’auraient jamais pu survivre, rester fidèles, surmonter d’incroyables souffrances et persécutions et être témoins en tout temps jusqu’à la mort si leur vie de prière n’avait pas été une relation profonde avec l’Amour de leur vie. Jésus était leur tout et a donc guidé tous leurs choix. Cela implique de le connaître et « d’entrer en son esprit », selon les conseils que saint Vincent a donnés à ses confrères :

« Dans les occasions, nous nous demandions à nous-mêmes : « Comment est-ce que Notre-Seigneur a jugé de telle et telle chose ? Comment s’est-il comporté en telle ou telle rencontre ? Qu’a-t-il dit et qu’a-t-il fait sur tels et tels sujets ? » et qu’ainsi nous ajustions toute notre conduite selon ses maximes et ses exemples. Prenons donc cette résolution, Messieurs, et marchons en assurance dans ce chemin royal, dans lequel Jésus-Christ sera notre guide et notre conducteur ; et souvenons-nous de ce qu’il a dit, que « le ciel et la terre passeront, mais que ses paroles et ses vérités ne passeront jamais » (cf. Matthieu 24,35). Bénissons Notre-Seigneur, mes frères, et tâchons de penser et de juger comme lui, et de faire ce qu’il a recommandé par ses paroles et par ses exemples. Entrons en son esprit pour entrer en ses opérations ; car ce n’est pas tout de faire le bien, mais il le faut bien faire, à l’imitation de Notre-Seigneur, duquel il est dit : Bene omnia fecit, qu’il a bien fait toutes choses (cf. Marc 7, 37). Non, ce n’est pas assez de jeûner, d’observer les règles, de s’occuper aux fonctions de la Mission ; mais il le faut faire dans l’esprit de Jésus-Christ, c’est-à-dire avec perfection, pour les fins et avec les circonstances que lui-même les a faites ». ( Coste XI, 52-53 ; conférence 35, « Sur la prudence »)

Un exemple de Jésus que je devrais adopter concerne sa prière. Jésus priait souvent en se retirant dans un lieu de solitude où il pouvait rester seul avec Dieu le Père. Tout au long de l’histoire et aujourd’hui encore, de nombreux saints et autres chrétiens ont pris et prennent du temps sur leurs engagements et leurs services quotidiens pour partir au « désert » afin d’être seuls avec Jésus.

En plus de la prière, communautaire ou individuelle, que je pratique déjà de manière quotidienne, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle, puis-je trouver d’autres moyens d’aller au « désert » pour approfondir ma relation intime avec Jésus ? Le désert peut être un lieu où je vais physiquement ou un état d’esprit qui ne soit pas un lieu concret. Où puis-je trouver ce désert ? Combien de fois puis-je y aller ? Combien de temps puis-je y rester ?

Puisse notre prière devenir un cadeau que nous nous offrons les uns aux autres. Soyons témoins de la « force transformatrice de la prière ».

Votre frère en saint Vincent,
Tomaž Mavrič, CM,
Supérieur général

 Rome, le 19 février 2020