Marie,
Seriez-vous absente ? oubliée ?
Mais comment « la mère de mon Seigneur » (comme disait votre vieille cousine Élisabeth) pourrait-elle être absente de ma vie ?
Mais d’abord, laissez-moi régler un petit, tout petit point de protocole.
Je n’ai pas de difficulté à dire « tu » à Dieu :
il est tellement au-dessus de tout pronom personnel,
le silence seul l’exprime.
Mais à vous, Marie, je ne me décide pas à vous dire « tu ».
Pourquoi ? Je ne sais.
Mais un « vous » si plein de toutes les tendresses humaines,
si riche de toutes mes admirations.
J’aime vous regarder dans votre humanité quotidienne,
jeune fille et femme, inconnue de tous, mère attentive, épouse soigneuse,
vraie fille d’Israël qui
« assise dans sa maison aussi bien que marchant sur la route, couchée aussi bien que debout »
redit la prière la plus chère à la piété de votre race :
« Dieu notre Dieu est le seul : Tu aimeras ton Dieu de tout toute ton âme et de tout ton pouvoir. » (Dt 6, 5)
Femme semblable à toutes les femmes, Dieu vous donne d’être là toujours disponible quand le cœur demande « Où es-tu ? »
Mais j’aime aussi vous voir
telle que les peintres et les sculpteurs de tous les siècles vous représentent,
Marie couronnée au tympan des cathédrales, la femme aux douze étoiles,
la Vierge des icônes au manteau de pourpre royale
et du retable de l’Agneau Mystique, si jeune.
Avec votre poète Claudel, j’aime vous dire :
« Souveraine des Anges, Reine des Docteurs…
ne quittez pas ce vêtement de gloire
ces franges d’or qui ne sont autres
que les rayons de votre gloire qui vient de l’intérieur. »
Mais avec Thérèse de l’Enfant Jésus s’exprimant sans mots superflus je m’émerveille :
« Elle est plus mère que reine. »
Oui, tout le reste est fioritures
devant les trois mots : « Mère de Dieu ».
Ils sont le fil qui de siècle en siècle
relie en un seul tissu toute la Tradition de l’Église.
« Mère de mon Seigneur », disait Élisabeth.
« L’enfant avec Marie sa mère », écrit saint Matthieu.
«Né d’une femme », ajoute saint Paul.
« Marie Theotokos », c’est-à-dire « Mère de Dieu », crieront les habitants d’Éphèse, en l’an 431, quand le Concile eut affirmé le dogme.
«Né de la Vierge Marie », chante le Credo. Car Jésus n’est véritablement homme que si vous êtes véritablement sa mère.
Le réalisme du Verbe de Dieu fait chair va jusque là.
« Jésus ayant aimé les siens jusqu’à l’extrême », dit saint Jean pour signifier la Passion, mais ce « jusqu’à l’extrême» était vrai dès le jour où Dieu a pris corps en vous, dès votre oui à l’ange.
« Mère de Dieu », ces trois mots,
je n’aurai jamais trop d’heures de silence pour les contempler.
Comme ces plantes du désert qui attendent des jours, des années peut-être, une pluie pour germer,
il nous faut les redire jusqu’à ce que votre fils les féconde en nous.
Tous les âges s’étonnent !
« Celui que le cosmos chante et ne peut contenir,
en votre sein, il est présent »,
« Vierge mère, fille de votre fils,
humble et haute plus qu’aucune créature. »
Que dirai-je de plus ?
Ceci, qui pour moi est souverainement essentiel :
« Femme, voilà ton fils,
Fils, voilà ta mère »,
ces ultimes paroles que me dit Jésus en croix aujourd’hui à moi sont dites.
Déjà réalisées à l’instant de l’Annonciation, Marie, avez-vous pressenti, alors, que «le Fils du Très-Haut », « le Fils de Dieu »,
celui dont « le règne n’aura pas de fin» était à ce point lié à l’humanité,
Vous, nourrie des Écritures ?
Et c’est pourquoi avec de nouveau la Tradition entière,
ajoutant ma voix à la multitude qui accomplit votre prophétie :
« Oui, désormais tous les âges me diront bienheureuse »
(et nul ne vous connaissait alors),
je redis sans me lasser la prière des pécheurs et des saints :
« Sainte Marie, Mère de Dieu,
priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. »
Marie, je vous ai priée avant même de croire à votre Fils « au cas où… »
et vous m’avez écouté.
Vous m’avez été secourable,
si souvent vous m’avez relevé.
Vous qui avez façonné le Christ,
refaites en moi son image,
sainte Marie, Mère de Dieu…
D’après Jean Madiran