MYSTÈRE DE MARIE V:PLEINE DE GRÂCE

Dans le récit de l’Annonciation, l’ange de Dieu s’adresse à «une jeune fille nommée Marie», et l’appelle, non par son nom propre, mais par un qualificatif exceptionnel que St Luc traduit par le mot grec «kekharitoméné». Ce mot veut dire «graciée», «comblée des faveurs divines» ou encore «privilégiée». La traduction qui nous est la plus familière «pleine de grâce» manifeste clairement qu’il s’agit d’une désignation personnelle substituée au nom propre et qualifiant tout l’être de Marie.

«Réjouis-toi, pleine de grâce», que de conséquences on tirera de cette idée de plénitude, de totalité des dons de Dieu en Marie ! «Pleine de grâce», cela ne veut-il pas dire que tout est grâce en Marie, et puisque la grâce n’est rien d’autre que le principe intérieur de la vie spirituelle, de la relation véritable avec Dieu, tout ce qui compose la physionomie spirituelle de la Vierge ne sera-t-il pas l’effet de la libéralité de Dieu ?

Ce thème de la «plénitude de grâce» sera donc l’objet de notre première partie. Luther, parlant de la Sainte Vierge, invitait ses auditeurs à glorifier le regard de Dieu sur Marie plus que Marie elle-même, et la grâce divine dans sa source plus que dans ses effets. Ce en quoi il ne faisait qu’obéir à la pensée de Marie chantant dans son Magnificat : «Le Seigneur fit pour moi des merveilles, Saint est Son Nom».

Dans une seconde partie, notre méditation reviendra au niveau de notre vie terrestre, et nous nous demanderons quel est le message que l’Immaculée adresse aux hommes de notre temps. Cette jeune fille nommée Marie, appartient en toute vérité au monde des humains et nous pouvons croire en toute sincérité qu’elle est présente à tous nos problèmes les plus actuels et les plus ardus à résoudre. Elle est bien de chez nous, terrestre et chrétienne, la première rachetée par le sang de son Fils, et comme telle, elle a vraiment un message à nous transmettre. Ce message est une Personne humaine et divine à la fois : Jésus, son Fils.

En conclusion, nous nous demanderons quelle place nous devons faire à Marie, Immaculée et Pleine de grâce, dans notre vie de tous les jours.

I. — LES MERVEILLES DE DIEU EN MARIE

Dans l’A.T. aussi bien que dans le N.T. les «mirabilia Dei» (« merveilles de Dieu ») sont toutes ordonnées à la glorification du Fils de Dieu incarné qui Lui-même glorifie son Père en Lui réconciliant tous les hommes dans le Royaume éternel. Les merveilles divines contemplées en Marie ne font pas exception à cette loi de l’économie du salut. C’est pour le Christ, pour le donner au monde et non pas seulement pour le désigner du doigt comme Jean-Baptiste, que Marie a été voulue, choisie par Dieu et ornée de la plénitude de grâce. «Rassure-toi, Marie, lui dit l’ange, tu as gagné la faveur de Dieu», élevant ainsi la sainteté de Marie à un niveau de sublimité qui échappe à nos vues trop courtes.

1° L’Elue de Dieu :

La première grâce de Marie, qui conditionne toutes les autres, c’est d’avoir été choisie, «élue» par Dieu. Sa sainteté hors mesure prend sa source dans l’Ineffable colloque des Trois Personnes Divines. La volonté d’incarnation comportait inexorablement la venue de Dieu par voie de naissance dans le sein d’une femme. Ainsi Marie était déjà dans la pensée de Dieu bien avant la création du monde. «Dès le début, avant tous les siècles, Il m’a créée» (Ecclésiatique 24, 14).

Instrument indispensable pour le grand dessein d’Amour, le rôle qui lui était assigné en faisait après le Christ le personnage le plus important de l’Histoire du salut et par là de l’Histoire tout court.

2° « Enceinte du Verbe de Dieu ».

Cette expression est de St Ambroise de Milan. Elle a le mérite, dans sa brutalité, de projeter un «flash» incandescent sur la raison d’être fondamentale du mystère marial : mère consciente et consentante de Dieu se faisant homme. Ici se noue la Plénitude de grâce annoncée par le messager divin. Dieu, ce Dieu qui hante les rêves des hommes et les oblige malgré eux à se poser le problème de sa présence au milieu de nous, le Dieu vivant est venu en Marie pour prendre chair de sa chair.

Au cœur de l’Histoire des hommes, il y eut donc cet instant prodigieux où, dans le sein d’une jeune juive, l’Humanité entra en contact avec Dieu. En cet instant — par la Puissance de l’Éternel et le «fiat» de la Vierge — la Personne du Verbe s’unit à un corps et à une âme d’homme. Si Dieu crée chaque être humain avec amour, quelle ne dut pas être l’intensité de ce feu divin pour celle à qui il proposait de devenir la Mère de son Fils ?

« Mon cœur exulte de joie en Dieu mon Sauveur ».

En mettant le «Magnificat» sur les lèvres de Marie, Luc nous a livré l’expression véridique de son état d’âme. Pur cri d’adoration et d’action de grâce, tressaillement de joie et de victoire ! Cette vie nouvelle qu’elle sent bouger en elle, c’est son fils… et c’est aussi le Fils de Dieu. Les paroles de l’ange s’éclairent chaque jour un peu mieux : «Le Seigneur est avec toi». C’est parce que «le fruit de son sein est béni qu’elle est bénie entre les femmes». « Grâce incréée qui est Dieu même faisant de Marie non seulement l’instrument par lequel Il se donne au monde, mais surtout le premier être humain à qui Il pourra se communiquer avec la plénitude de son Amour Divin. La maternité de Marie est un don inouï qui entraîne pour elle la grâce d’être mère selon tout son être, chair et esprit. Il fallait pour cela que la foi, l’espérance et la charité grandissent en elle pour la rendre semblable à son Fils et apte à s’unir à Lui dans une union d’un amour indicible.

4° « La Toute-Pleine de Grâce ».

La sainteté de Marie est un grand mystère qui n’a cessé et ne cessera jamais d’attirer et de séduire les âmes qui ont le goût de Dieu, ou simplement celui du beau, du pur, de l’authentique. Nous en avons déjà vu le point de départ à l’origine des siècles dans le choix de Dieu, et son épanouissement merveilleux au jour de l’incarnation.

En adjoignant à ces deux aspects fondamentaux le privilège de l’Immaculée Conception, nous obtenons une trilogie mariale de grâces bien propre à faire naître en nos cœurs une admiration sans mesure.

L’Immaculée ! Ici encore admirons, pour la seule joie de nos cœurs, la gratuité absolue des dons de Dieu.

Le 8 décembre 1854, le pape Pie IX publiait dans la Bulle «Ineffabilis» la définition dogmatique de ce privilège : «Au premier instant de sa Conception, par la grâce et le privilège de Dieu tout-puissant, et en considération des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, la Vierge Marie fut préservée et exemptée de toute tâche de la faute originelle.»

C’est évidemment un mystère qui relève uniquement de la volonté de Dieu. C’est le mystère d’un Dieu qui a donné libre cours à son amour. Il faut penser à cet extraordinaire texte d’Osée (2,21-22) où le peuple adultère devient une fiancée sans tache :

«Je te fiancerai à moi pour toujours. Je te fiancerai par la justice et par le droit, par la tendresse et par l’amour. Je te fiancerai à moi par la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur.»

Marie, fiancée de Dieu ! Marie, Mère de Dieu !

Marie, aimée comme une fiancée. Marie, aimée comme une Mère.

En appelant Marie à l’existence et en la choisissant comme fiancée et comme Mère, Dieu n’a pas pu ne pas vouloir qu’elle soit telle, qu’Il puisse en la regardant, mettre au large son Cœur plein d’Amour. Le Verbe Divin aime sa Mère d’un amour infini. Pouvait-II supporter qu’il y ait un seul instant, si bref soit-il, où fut vraiment séparée de Lui celle qui serait sa Mère ?

Une telle exigence d’Amour, seule une Mère Immaculée, totalement belle selon les catégories divines et humaines, totalement transparente à la Volonté du Père, totalement exempte de la moindre trace de péché, même du Péché Originel et de ses conséquences, pouvait la satisfaire.

Marie Immaculée, «c’est la Femme, dans sa splendeur originelle, la créature, enfin, dans la grâce restituée !»

II. — MARIE, UNE FEMME BIEN DE CHEZ NOUS

La destinée religieuse de toute l’humanité fut confiée par Dieu aux mains d’un seul homme que la Bible désigne sous le terme d’Adam. La grâce lui fut donnée comme une source qui devait se déverser de générations en générations pour que les hommes puissent vivre en paix et amitié avec Dieu. Il en était le médiateur moralement et religieusement responsable. Il n’a pas su remplir ce rôle de médiateur. Son échec fut un échec à la source qu’il avait l’honneur d’être et rendit radicalement impossible la vocation surnaturelle des hommes à l’unité. «Par la désobéissance d’un seul, la multitude a été pécheresse.» (Romains 5, 19).

Par la faute du médiateur, les hommes naissent dans un état de séparation d’avec leur Créateur. Cette situation est un état réel de péché qui s’inscrit dans la nature même par la naissance. Notre puissance d’aimer et de vouloir éprouve comme un besoin quasi-invincible de se recroqueviller sur elle-même contredisant ainsi l’ouverture aux autres et à Dieu. Quelles que soient leurs options religieuses ou philosophiques, politiques ou scientifiques, les hommes possèdent tous ce dénominateur commun que l’Église appelle «Péché Originel».

L’universalité de ce péché posait forcément la question de la sainteté «immaculée» de Marie.

D’un côté, l’appartenance à la Société humaine rendait Marie profondément solidaire de tous les hommes, de toute leur nature, de toute leur histoire, de tout leur destin. Alors, pourquoi la soustraire à ce péché originel qui n’est pas un acte mais un état-source de toutes nos souffrances ou, du moins, d’une très grande partie ?

Mais d’autre part, comment ne pas considérer qu’elle a été créée par le Christ, et que sa venue au monde est déjà l’incarnation commencée ?

— La première des rachetés:

Il est vrai, tout au long de l’Histoire de l’Eglise, les théologiens ont débattu ce problème difficile. De part et d’autre, l’amour, le respect, la vénération pour la Vierge Marie étaient de même qualité, avaient la même profondeur. Enfin au XIX° siècle, l’Église a jugé opportun de conclure par la Bulle « Ineffabilis ». Elle l’a fait dans un esprit de synthèse.

De par sa naissance, de par sa vie, de par sa vocation de Mère du Sauveur des hommes, Marie est vraiment humaine, parfaitement solidaire de toute l’Humanité et de chacun des êtres humains. A ce titre, elle «aurait dû» partager leur sort.

Mais à l’universalité du Péché Originel, Dieu a opposé l’universalité de la Rédemption. Nous n’avons qu’un seul Sauveur, le Christ s’offrant à son Père pour le salut de tous les hommes. «Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous, afin qu’en Lui nous devenions justice de Dieu.» (Romains 8,3) C’est une loi absolue qui ne souffre pas d’exception. En Marie, comme pour tous les rachetés, la grâce, qui est victoire sur la mort et le péché, n’est pas «sa» victoire, mais «celle de son Fils». A la solidarité par voie de naissance avec l’ensemble des hommes s’ajoute cette nouvelle solidarité par voie de grâce qui fait de Marie la première des rachetés.

— L’éminente Sainteté de Marie.

Ayons bien garde, cependant d’oublier la singularité de la rédemption de la Vierge. Notre propre rédemption s’opère à partir d’un état de péché qui même après le baptême laisse en nous une propension à nous éloigner de Dieu. Pour Marie, les fruits de rédemption ont joué avant même sa naissance, dans ce que nous pourrions convenir d’appeler le «décret de son Election», de telle sorte qu’ «elle est née dans la grâce», dans cette vie de lumière divine dont elle n’avait connaissance d’ailleurs que par la foi. Sa rédemption est donc une rédemption préservatrice. C’est là le côté sublime et absolument privilégié de son rachat, car prévenir le péché est un événement autrement significatif que de l’expier et de le pardonner quand il est réellement présent. Le motif profond de cette préservation tient dans l’intensité d’amour du Fils pour sa Mère. Les conséquences de ce privilège dans la vie et la sainteté de Marie sont indicibles et ne peuvent que nous remplir d’amour et de reconnaissance pour un Dieu qui a fait, pour une simple créature comme nous, de si grandes choses, au point que toutes les générations l’appelleront «bienheureuse».

CONCLUSION

que nous venons de dire n’est qu’une pauvre ébauche de ce sujet inépuisable qu’est l’éminente sainteté de Marie. Plus que jamais nous avons besoin de la contempler, car sa beauté spirituelle est le reflet de la splendeur de Dieu et l’image de la beauté à laquelle tout homme est appelé.

Glorifier Marie, c’est donner à l’homme d’aujourd’hui toutes ses chances d’un exhaussement incomparable de sa vie terrestre par une rencontre de plus en plus profonde avec le Christ. Nos péchés ne sont-ils pas justement ce qui, en nous, n’est pas du Christ ? Et Marie n’est-elle pas le seul être qui n’ait jamais eu en elle que ce qui vient du Christ ?

C’est en Marie que l’union du Verbe incarné à l’humanité commence. Elle inaugure donc le temps de la communion, de l’ «amitié» avec Dieu fait homme, communion et amitié qui deviennent les caractéristiques essentielles de l’attitude religieuse chrétienne. Pour tout chrétien l’unique modèle à suivre et la source originelle où il faut aller puiser les eaux vives de la vie demeurent le Christ. Mais c’est de la manière de recevoir le Christ, de communier à Lui dans la foi, que la Vierge est le modèle propre.

Ce qui est vrai pour tout chrétien, l’est à un degré encore plus impératif pour ceux qui, dans l’Église, portent en eux la marque du dessein profond que Dieu a révélé si parfaitement en Marie. Ici nous pensons plus spécialement aux prêtres, aux religieux et  religieuses qui ont consacré toute leur vie à «engendrer» et faire croître le Christ dans les cœurs. Suivant le mot de Sainte Thérèse de Lisieux, ils sont le «cœur de la sainte Eglise», participant à sa maternité spirituelle, en imitant celle de Marie. Il est donc clair qu’elles trouveront en la Vierge Marie la plus haute réalisation de leur vocation : recevoir le Christ et en vivre pour le donner.