LE MYSTÈRE
Dans toute recherche, quelle qu’elle soit, il y a la dimension du mystère qu’il faut admettre. Les choses ont une participation à l’infini du mystère de Dieu.
Il n’y a pas que Dieu qui soit mystérieux, en fait nous sommes entourés de partout par le mystère, celui de notre être, de notre vie, de notre pensée, le mystère de notre personnalité, de notre histoire, le mystère de l’autre, de tous ces êtres qui nous entourent, même ceux que nous aimons le plus, restent infiniment obscurs pour nos yeux, le mystère de ce que c’est qu’aimer, de ce qu’est la vie. Et le mystère de Dieu n’est que le point d’orgue, ou la source, la totalité, le résumé de ces mystères qui nous enserrent de toutes parts.
Reconnaître le mystère est un préalable indispensable à toute recherche, à tout essai de compréhension, à toute analyse de notre vie, des évènements, du réel. Si nous n’admettons pas d’abord cette infinité de la réalité, nous ne comprendrons jamais rien, parce que la première chose à comprendre c’est que notre esprit ne peut pas étreindre la totalité du réel, à plus forte raison, il ne peut pas étreindre le mystère des mystères qui est celui de Dieu.
La réaction de Job est tout à fait fondamentale, il y a un moment où il faut savoir mettre la main devant sa bouche et cesser de poser des questions qui voudraient acculer le réel à nous répondre, acculer Dieu à nous répondre. Il faut savoir s’arrêter dans un silence qui est non pas un silence de démission, d’ignorance, mais un silence d’adoration. L’adoration est fondamentale si nous voulons entrer en contact avec Dieu et essayer de l’entendre et écouter sa voix. Il faut d’abord adorer, c’est-à-dire se sentir dépassé et envahi par un infiniment plus grand que nous, en réalité Dieu lui-même.
Ne considérons pas le sens du mystère comme une échappatoire, comme une manière de nous débarrasser des problèmes. C’est la première clé pour ouvrir les questions que nous posons, et surtout leurs réponses. C’est la clé fondamentale, il faut que nous ayons le sens que nous sommes de toutes parts plongés et nous-mêmes pétris par le mystère. C’est en ce sens que nous abordons le Mystère de Marie.
MARIE DANS LE PROJET DE DIEU
La nouvelle série de nos conférences mensuelles va, cette année, nous présenter une suite de méditations sur le « Mystère Marial » envisagé dans la lumière du Christ Sauveur. Il convient que notre premier regard sur la Vierge Marie, Notre Mère bien-aimée, puisse nous offrir comme une vision d’ensemble sur cette vocation extraordinaire d’une jeune fille appelée à devenir la Mère de l’Unique Rédempteur des hommes.
De là, la question posée à nos esprits et à nos cœurs pour les entraîner, autant que possible, dans une merveilleuse contemplation : « Quel est donc le rôle que Dieu a confié à Marie dans la réalisation de son plan d’amour sur l’Humanité ? » Ce rôle tient en deux mots, « Mère de Jésus », que Saint Jean, dans son style apocalyptique, a traduit par cette incomparable image: « Un grand signe a paru dans le Ciel; une femme vêtue de soleil et couronnée d’étoiles ! »
Marie n’est pas le soleil divin, mais Elle en reçoit tellement de rayons qu’Elle inonde de lumière tous ceux qui regardent vers le ciel. La Mère de Jésus n’est pas rédemptrice, mais Elle fut la première à recevoir en ce monde, au nom même de l’humanité, le Sauveur du monde, Jésus Fils de Dieu.
La Vierge pure n’est pas « TOUT », mais par son « fiat », et d’une manière très réelle, Elle a permis à la Volonté Souveraine et Absolue du TOUT de se déployer dans la forme exacte qui avait été décidée dans les profondeurs de la Sainte Trinité.
Marie n’a voulu être que la « Servante », mais dans le plan de Dieu cette Servante est Mère et Reine. Les dimensions du « Mystère Marial » sont aussi vertigineuses que celles des grands mystères du Salut des hommes, et nul croyant ne saurait s’en passer sans encourir de graves dommages pour sa vie spirituelle. Pour mieux en cerner les contours, nous suivrons les trois grandes étapes de la vie de Marie, avant le Christ, avec le Christ et après la Résurrection, étapes que nous désignerons sous ces titres :
1°) L’attente du Sauveur. – 2°) « Et le Verbe s’est fait chair ». – 3°) Le temps de la communion.
I. – L’ATTENTE DU SAUVEUR
Dans l’Ancien Testament, certains passages sont retenus par la Tradition de l’Église comme des textes annonçant la venue de la Vierge Marie, Mère De Dieu. Le prophète Michée annonce « celle qui doit enfanter » (Michée 5,2), et Isaïe parle du « signe » que le Seigneur enverra à son Peuple : « Voici, la Vierge est enceinte, elle enfantera un fils et lui donnera le nom d’Emmanuel » Isaïe 7, 14.
Il y a également le texte de la Genèse qui annonce la victoire définitive de la race de la femme sur celle du serpent: une promesse de salut au delà le péché commis par le premier couple humain (cf. Genèse 3, 15). La tradition a reconnu dans cette femme la Vierge Marie, et dans la race de la femme, le Christ, Fils de Marie.
Au terme de la Bible, dans le livre de l’Apocalypse, et comme en écho de ce texte de la Genèse, saint Jean décrit une vision qu’il reçoit: « un signe grandiose apparut dans le ciel: une Femme! Le soleil l’enveloppe, la lune mise sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête » (Apocalypse 12, 1).
C’est ainsi que l’on représente la Vierge Marie; de même que par elle est né le Sauveur du monde, de même est-ce par elle qu’il reviendra dans la gloire lorsque, à la fin des temps, il portera la victoire définitive dans le grand combat de Dieu et de l’humanité contre le mal.
Si l’Ancien Testament peut être relu comme annonçant la Vierge Marie; si l’Apocalypse, à travers la Femme qui enfante, nous donne une image de la mission de Marie, celle-ci n’apparaît comme telle que dans le Nouveau Testament. On peut bien dire sans erreur que la toute première apparition mariale attestée est son apparition en Israël, sa venue au monde. Avec, toutefois, un silence étrange : rien n’est dit de la naissance de Marie. On ne parle de Marie qu’avec la conception de Jésus.
Dans les évangiles fondamentalement, Marie est la Mère de Jésus. Saint Jean ne la nomme jamais par son prénom: elle est la « mère de Jésus » (Jean 2, 1). Dans l’évangile de Luc, sainte Élisabeth, en parlant de Marie s’exclame: « Comment se fait-il que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? » (Luc 1, 43).
Par sa naissance et sa petite enfance jusqu’à la visite de l’ange Gabriel, Marie appartient à l’Ancien Testament. Comme toutes les petites filles de Palestine, Elle a reçu une éducation exclusivement biblique. Cependant, tout ce qui Lui était dit ou enseigné était reçu, accueilli, dans une psychologie enfantine certes, mais d’une transparence admirable et d’une délicatesse parfaite.
Le privilège de l’Immaculée Conception la prédisposait à comprendre l’histoire d’Israël à des profondeurs de sens que nous ne saurions imaginer. S’il est vrai que le péché n’est pas autre chose que la séparation d’avec Dieu, l’absence de péché et de toute concupiscence laissait place à des préoccupations intérieures totalement tournées vers Dieu et Son désir d’avoir un peuple bien à Lui :
« Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ! »
Le secret de sa vie intérieure avant l’Annonciation, Marie nous l’a livré en révélant aux premiers disciples sa réponse aux paroles de l’ange : « Voici la Servante du Seigneur ! ». En effet, ce terme porte en lui toute la richesse spirituelle de l’Ancien Testament, pour qui il désigne, de façon précise, la synthèse d’une vie consacrée. Le Seigneur est monarque absolu qui créa tout et dirige tout selon sa Volonté.
Le Serviteur ou la Servante est celui ou celle qui accepte cette Volonté comme allant de soi, et qui met sa joie à y conformer sa vie. Là est la porte qui donne accès à la vie profonde de Marie pour qui la moindre parole de Dieu était nourriture plus délicieuse que les plats les plus délicats.
Pour qui veut imiter Marie et progresser en connaissance du Dieu Amour, il est indispensable de creuser ce terme de « Servante de Dieu » à la lumière du « Magnificat » où l’on entend le chant d’action de grâce des « pauvres de Dieu » et à celle du Sermon sur la montagne où le Christ a résumé, à l’intention des chrétiens de tous les temps, le comportement foncier de « l’anawah », le « pauvre en esprit », qui attend dans la paix et la confiance la venue de Dieu.
Par son insertion dans le peuple d’Israël, et surtout par la pureté de son être, Marie ne pouvait être que tournée vers le Messie attendu, expression la plus fondamentale de la Volonté de Salut de Dieu.
Par la grâce de son élection privilégiée, Elle s’élève au-dessus de tous les êtres humains ; seule parfaitement agréable à Dieu, Elle est non seulement le vivant achèvement de la foi d’Israël et son appel vers le Messie, mais la « représentante et l’avocate de l’humanité ».
II. – ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR !
… le « fiat » de Marie.
La visite de l’ange Gabriel constitue l’évènement central de l’économie du salut, le point le plus profond où va se souder le nœud indestructible de l’Alliance nouvelle entre Dieu et l’homme. Dans ce dialogue, la salutation de l’ange et ses explications appartiennent encore à la période préparatoire. Le « fiat » est la porte qui s’ouvre sur la grande lumière annoncée par les Prophètes. « Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; sur ceux qui habitaient les obscurs parages de la mort, une lumière s’est levée ». (Isaïe 9, 1)
Le désir messianique de Marie se trouve comblé par la proposition divine : « Veut-Elle devenir la Mère du Messie ? » L’Amour rédempteur de Dieu rencontre en Marie le désir de rédemption de toute l’humanité. Saint Bernard s’écriait dans un sermon : « O femme ! Répondez cette parole que le ciel et la terre attendent avec impatience… Voici que le Désiré des nations frappe à la porte. »
… Que la terre enfante son Sauveur !
Par son « fiat » Marie devient médiatrice de l’Incarnation. Elle est bien plus que le tabernacle dans lequel va s’opérer l’union entre le Verbe Divin et la nature humaine. C’est par son être physique et personnel que l’humanité et même l’Univers donnent à Dieu de quoi être un homme. Tout ce qui dans le Christ sera humain procède de Marie. En Elle se rassemble toute la création pour produire son fruit suprême : « Cieux, répandez votre rosée, et que la terre enfante son Sauveur ! » De sorte que c’est toute l’Humanité et toute la création que Dieu rencontre dans le sein généreux de cette jeune Israélite qui est fille d’Adam et fille de la Terre.
Il importe maintenant de bien voir la place que Marie occupe à ce point de jonction entre l’histoire des hommes et l’histoire du salut. Par ses racines humaines, la Vierge de l’Annonciation est fille d’Adam et, à ce titre, baigne tout entière dans une humanité entraînée par la dialectique du péché.
Par son ascendance directe, Elle appartient au peuple d’Israël en qui les interventions de Dieu deviennent de plus en plus efficaces, mais sur une ligne de plus en plus restreinte, et dans un ordre de plus en plus accueillant à la Parole.de Dieu. Depuis l’exil, la grâce s’est concentrée progressivement sur une élite, les « pauvres de Dieu » qui sont le « reste » spirituel du peuple élu, et, finalement, sur la fleur d’Israël, la Vierge de Nazareth.
Mais par voie d’élection divine, la « Fille de Sion » est devenue tellement belle aux yeux de Dieu, tellement séparée du péché et de la laideur, qu’Elle a été jugée digne de donner sa chair à Celui qui, sur la Croix, lui donnera la « Vie Nouvelle », faisant de Marie par anticipation la « première des rachetées », et, par conséquent, la plus noble représentante de cette humanité qu’Il est venu « régénérer » de sa propre Vie.
… « Cieux, répandez votre rosée ».
Ambassadrice des hommes pour accueillir le Verbe en terre humaine, Marie est aussi la voie par où Dieu descend au milieu des hommes. Le Verbe ne saurait être séparé de Sa Volonté Souveraine de Salut. Son nom terrestre sera Jésus, c’est-à-dire Sauveur. « Voici que je viens, ô Dieu, pour faire Ta Volonté ». (Hébreux 10, 5.) Marie conçoit le Sauveur comme son propre enfant, mais Elle le conçoit au profit de tous les hommes, pour le Royaume de Dieu, dont Elle la première bénéficiaire.
On comprend dès lors que la part active de Marie dans la conception de l »Enfant-Divin est collaboration à la rédemption des hommes. « Recevoir un enfant » de la part de Dieu devint pour Elle « donner l’Enfant-Dieu au monde ». De par sa libre acceptation de la maternité de Celui qui est déjà, au commencement, Tête du genre humain, Marie est fondamentalement la Mère de l’humanité sauvée.
Ainsi il apparaît clairement que le rôle de la Vierge dans l’économie du salut plonge ses racines dans le « fiat » de l’Annonciation. A l’exemple de Marie, dont le rôle est accueil et consentement dans la foi, le croyant reçoit le salut de Dieu dans la mesure où il l’accueille généreusement et y consent par un engagement de tout son être. A combien plus forte raison, les religieux ne doivent-ils pas garder au fond du cœur une liaison intime, toute filiale, avec leur Mère Immaculée ? Oui mieux qu’Elle saurait les souder au Christ pour qu’avec Lui, leur vie quotidienne devienne un « fiat » plein de joie et d’ardeur à la Volonté du Père ?
… A l’ombre de la Croix.
Jamais mère n’a été en communion d’amour avec son fils aussi parfaitement, aussi totalement, que Marie avec Jésus agonisant sur la Croix. Purifié par de longues années d’intimité, creusé en tous sens par un perfectionnement spirituel souvent douloureux, l’amour maternel de Marie « s’est épanoui en une union d’âme et de cœur qui la configure à Jésus comme l’épouse à l’Époux ».
Au pied de la croix, le fusion des deux volontés pousse la mère en quelque sorte à absorber, à s’incorporer toutes les souffrances de son fils et à ne vouloir que l’accomplissement de la volonté du Christ, nous sauver en vivant en nous. La Passion de Jésus devient en Marie une Compassion.
Est-ce suffisant pour qu’on puisse parler d’une collaboration efficace de la Vierge Mère à la Rédemption opérée par le « SERVITEUR SOUFFRANT » ?
La réponse nous est donnée par Saint Thomas : « Quand la créature fait ce que veut Dieu, il est juste que par une réciprocité d’amour, Dieu fasse tout ce que veut sa créature en exauçant les vœux qu’elle forme pour le salut du prochain ». Cette sorte de mérite qu’on appelle le « droit de l’amitié », peut être acquis par chaque chrétien, mais il l’est par Marie à un degré suréminent et universel en raison de sa charité unique et universelle. C’est ce « droit de l’amitié », ce mérite de l’amour, dans lequel il faut voir un effet de la grâce et du mérite du Christ, qui nous permet de découvrir une participation personnelle de Marie à cela même qu’accomplit Jésus pour le genre humain en mourant pour lui.
III. – LE TEMPS DE LA COMMUNION
De même que le Père a glorifié le Fils, Son Unique Médiateur, de même Il voulut glorifier la Mère, la « première des rachetées », sans attendre l’Heure où l’Épouse du Christ, rassemblement de tous les rachetés, s’élèvera dans la Gloire et la Lumière de l’Époux. Établie Mère et Épouse au sein de la Bienheureuse Trinité, Marie ne cesse pas d’être la représentante et le modèle de l’Église dont Elle porte en tout son être les prémices glorieuses.
Jusqu’à l’Incarnation Dieu était lointain. En recevant Dieu dans le don suprême du Verbe Incarné, la Vierge avait inauguré une attitude entièrement nouvelle de la créature envers le Créateur : l’attitude de la communion, de l’Amitié avec le Seigneur. L’entrée de Marie dans la Gloire n’a fait qu’intensifier cette union faite de connaissance, d’amour et de tendresse.
Tous les chrétiens sont appelés à imiter Marie et à demander sa Toute Puissante Intercession. Mais il est bon de souligner ici que certains états de vie sont désignés par l’Église pour être signes, à un degré éminent, du dessein profond que Dieu a si parfaitement manifesté en Notre Mère. Saint Augustin montrait en Marie le modèle des « vierges consacrées », affirmant avec force que la fécondité primordiale est celle de l’esprit et de la foi et se traduit par la charité et les œuvres. N’y a-t-il pas là matière à examen et à résolution ?
IV. – CONCLUSION
On peut se poser la question suivante :
Pourquoi Dieu a-t-il élu Marie ? Une réponse paraît très bonne et je voudrais la donner à votre méditation. L’Amour Rédempteur de Dieu est une Bonté paternelle et maternelle à la fois. Dieu veut vraiment la présence de ce sens maternel, comme élément irremplaçable dans l’économie de la grâce.
D’après les textes que voici :
– Jérémie 31, 3 : « De loin Dieu se montre à moi: Je t’aime d’un amour éternel; C’est pourquoi je te conserve ma bonté. »
– Isaïe 49, 15-16 : « Une femme oublie -t-elle l’enfant qu’elle allaite ? N’a-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles ? Quand elle l’oublierait , Moi je ne t’oublierai point. Voici, je t’ai gravée sur mes mains; Tes murs sont toujours devant mes yeux. »
L’amour de Dieu pour les hommes tel qu’il apparaîtra dans le Sauveur sera un amour de Mère. Cette manifestation n’est possible qu’à un être féminin, maternel, et Dieu a élu Marie pour représenter cet aspect maternel en sa personne. C’est, semble-t-il, le motif foncier d’une collaboration opérée par une femme, une mère. La collaboration de Marie est essentiellement de nature maternelle. Simplement, elle est la mère du Christ. Mère du Christ, et cependant son amour maternel s’épanouit en une union qui configure aussi Marie comme épouse mystique de l’Alliance. Nous sommes là au cœur du mystère de Marie.