Les Noëls de Clovis et de Charlemagne
Par les voies romaines, Noël nous est venu de l’Orient. Mais les apôtres des Gaules eurent la surprise d’y trouver déjà l’attente de l’aube divine. Ainsi l’affirme une tradition assez ancienne et constante pour qu’on accepte sans mépris ce qu’elle nous assure : au pays carnute, à l’ombre des chênes, près de leurs autels faits de pierres couchées, les druides maintenaient la croyance à i la Vierge qui devait enfanter ».
Les prêtres à la faucille d’or tiraient présage, dit-on, du chant du roitelet. Les Celtes lettrés, écoutant le Cygne de Mantoue, n’ont-ils pas tiré de sa quatrième églogue un espoir, en accord avec l’heureux pressentiment d’un monde près de finir ? Sans doute appliquaient-ils à leur rêve l’annonce virgilienne de l’âge d’or, comme plus tard le fera un Latin d’Espagne, Prudence, toutefois dans un sens nettement messianique :
Ecce venit nova progenies Aethere proditur alter Homo…
(Voici que viens une descendance, un autre Homme révélé par le Ciel)
Pour être de sa « race neuve » avant les autres barbares, Dieu prédestinait les hommes des Gaules. Mais l’élection ne sera manifeste qu’au jour où leur vieux sang se mêlera, pour créer une nation, au sang jeune des Saliens.
Le Noël de Clovis
La naissance chrétienne de la France ouvre les fastes de notre histoire. On en tient le récit notamment de Grégoire de Tours et de Jean de Bobbio, ou de Susa (605-665), dans sa Vita Vedastis. Quoi que raconte celui-ci, suivons l’évêque de Tours.
On sait avec quelle patience le double apostolat de Clotilde et de Rémi amena Clovis au vrai Dieu. Ses hésitations tombèrent enfin devant l’élan de ses guerriers :
— Pieux roi, s’étaient-ils écrié, nous rejetons les dieux mortels et nous sommes prêts à servir le Dieu dont Rémi prêche l’immortalité.
Reims avait connu l’éclat des triomphes romains. Elle se para, magnifique, pour le triomphe de la foi. Les rues, par où devait passer le cortège royal, étaient tendues de toiles peintes, depuis la cathédrale jusqu’au palais de la Porta Basílica; aux façades des églises pendaient des courtines blanches.

Rémi avait ordonné de préparer les saints fonts de la basilique de Notre-Dame, consacrée par le sang de saint Nicaise, martyr des Vandales en 407. Il n’est pas douteux que le baptême de Clovis eut lieu dans ce sanctuaire, puisque, à cette époque, les cathédrales seules possédaient un baptistère. Celui de Reims resplendit ce jour-là d’un tel luminaire, et les cassolettes y brûlèrent de tels nuages de parfums qu’on s’y croyait au parvis du ciel, dit Grégoire de Tours.
Au son des trompettes et des buccins de combat, au chant des hymnes, l’immense défilé des néophytes se dirigea vers la cathédrale. En tête marchaient le roi, son fils Théodoric, ses sœurs Lanthilde et Alboflède : le doux visage de cette princesse portait déjà le signe de la mort.
L’évêque mitré d’or accompagnait l’auguste famille, suivie des antrustions, ces hauts chefs guerriers liés par serment au service du roi. Du plus loin que Clovis aperçut la basilique et son atrium étincelant de lumières, il s’arrêta de stupeur et dit à Rémi : « Père saint, est-ce là le royaume du ciel que tu m’as promis ? — Non, roi, seulement l’entrée du chemin qui y conduit ».
L’anecdote est du biographe Hincmar. Un essayiste pourrait ici amplifier, tenter une reconstitution romantique et romancée; on préférera la concision du « père de notre histoire » :
« Clodovech, raconte-t-il, demanda le premier le baptême. Nouveau Constantin, il s’avance vers le bain qui doit guérir en lui la vieille lèpre et laver dans une eau nouvelle les taches qui souillaient sa vie passée. Comme il était entré pour recevoir le baptême, le saint de Dieu commença de sa bouche éloquente, disant : « Fléchis le cou, Sicambre adouci ; adore ce que tu brûlais, brûle ce que tu adorais ». Le roi, ayant confessé le Dieu tout puissant dans la Trinité, fut baptisé au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Plus de trois mille hommes de son armée furent également baptisés, de même que la sœur du roi Alboflède, qui peu de temps après s’en alla vers le Seigneur. »
Avec intention Rémi choisit pour ses rudes catéchumènes de Noël de l’an 496 comme date de leur naissance à la foi. Il pressentait la Geste que les Francs auraient à jouer à travers les âges, en soutien du règne spirituel qu’inaugura l’Enfant de Bethléem. Le convertisseur pouvait prévoir cette grandeur durable, puisque saint Avit de Vienne en exprimait aussi l’idée dans une lettre à Clovis, après l’événement qui avait étonné autant que réjoui le monde chrétien.
Quel trésor, si l’église de Reims avait pu conserver son antique cuve baptismale ! Ce reliquaire-berceau, cette crèche bien à elle, la France l’aurait vénérée presque à l’égal de l’autre. Il n’en reste qu’une pauvre vision, et fantaisiste, sur des miniatures très tardives.
Etait-elle ronde, en figure de la terre régénérée par l’eau et l’esprit ? Ou encore, octogone, en symbole des huit béatitudes, comme celle de Sainte-Thècle de Milan, où saint Ambroise fit graver des vers ? Avait-elle la forme d’une baignoire ou d’un sarcophage, du genre usité pour les baptêmes par immersion ?
La réponse a sans doute moins d’importance que la question de la sainte Ampoule, mais celle-ci semble parfaitement résolue. Grégoire de Tours ignore le prodige de la colombe apportant l’huile de l’onction à l’évêque Rémi. Ce détail fut brodé au IXe siècle par un ami du merveilleux, l’archevêque rémois Hincmar.
La vraie merveille, ce fut la réussite de Dieu avec notre peuple. Déjà, sans l’avoir cherché, Clovis recueillait le bénéfice matériel de sa conversion : en grand nombre les cités d’outre-Loire, sous l’influence de leurs évêques, se ralliaient à la monarchie franque installée à Paris. Assurément la transformation morale se fera plus lente que l’unité politique.
A lire, dans Grégoire de Tours, rien que la série des Noëls sanglants du VIe siècle, on se demande si l’Évangile avait prise vraiment sur les barbares à framée. Malgré tout, la date de 496 ouvre leur splendide mission. Comme l’écrit Godefroy Kurth, c’est bien l’hymne de la Nativité d’un grand peuple qui résonne au début de la Loi salique (550) :
« Vive le Christ qui aime les Francs ! Qu’il garde leur royaume, qu’il remplisse leurs chefs de la lumière de sa grâce, qu’il protège leur armée, qu’il leur accorde l’énergie de la foi, qu’il leur concède par sa clémence, lui, le Seigneur des seigneurs, les joies de la paix et des jours pleins de félicité ! … »
Le Noël de Charlemagne

Il y a des personnages qu’on nous présente je ne sais combien de fois plus grands qu’ils ne sont. Pour Charlemagne, nul jugement ne s’élève à sa hauteur. Quand elle atteignit à l’apogée, ce fut sous le rayonnement de l’étoile de Noël, l’an 800, à Rome.
Ce jour de la Nativité du Sauveur, Charles se rendit à Saint-Pierre pour la messe, sans se douter des intentions du pape Léon III : s’il les avait connues, avouait-il à Eginhard, il fut allé ailleurs faire ses dévotions, se contentant pour toujours du titre de patrice. Tandis qu’il était prosterné devant la Confession du Prince des Apôtres, le pontife vint lui mettre la couronne impériale sur la tête, aux cris mille fois répétés par la foule : « A Charles, Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur, vie et victoire ! »
Le pieux empereur entoura de munificence tout ce qui rappelait Bethléem et le mystère de pauvreté. Parmi les insignes basiliques de Rome, qu’il combla de largesses après son couronnement, figure Sainte-Marie-Majeure, dont le prœsepe conservait les reliques de la Crèche…
Aix-la-Chapelle conserve une sainte Chemise de la Vierge. La célèbre basilique rhénane profitait des « monstrances » septennales de son Trésor pour affirmer ses droits et sa croyance à la relique donnée par Charlemagne. Sur un avis pour l’ostension de juillet 1622, des gravures représentent la Sancta Camisia et les langes de Jésus. L’annonce, qui les concerne, dit : « L’ostension vous sera faite de ce saint vêtement que Marie Mère de Dieu revêtit dans la nuit de la Nativité du Seigneur… Il sera aussi présenté à votre culte les fasciae dont fut bandé Notre Seigneur en la même sainte nuit ».
De tous les rois venus à la Crèche, nul plus que le conquérant à barbe fleurie ne pouvait abaisser tant de gloire devant la petitesse divine. Et rien ne prouve mieux que son exemple la vertu du mystère de Bethléem, l’immense bienfait de sa douceur dans les siècles de fer. La France carolingienne sut le reconnaître : toute son âme chantait avec l’admirable mélodie qu’avait trouvée l’Eglise de Paris pour magnifier Noël et la bienheureuse Enfance : O beata Infantia !…
Maurice Vloberg
Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse