De la mort à la vie. Telle est la mystérieuse réalité où la Liturgie pascale veut nous introduire. « Voici que ton Roi vient à toi… » (Saint Matthieu 21,5). Mais le chemin qu’il a choisi est celui de la Croix. Et pour ceux qui veulent le suivre, il n’est pas d’autre chemin pour revenir au Père.
Mourir pour revivre. Seuls ceux qui s’engagent dans le goulot étroit du Calvaire connaissent, au matin de Pâques, l’éblouissante Résurrection. La Liturgie va nous le rappeler bientôt, au cours de la Veillée pascale : « Si le baptême, en nous plongeant dans sa mort, nous a ensevelis avec le Christ, c’est pour nous faire vivre d’une vie nouvelle. » (Saint Paul aux Romains 6, 4). Par la mort à la vie.
Cette assimilation aux Mystères du Christ, c’est l’Eucharistie qui la consomme. C’est pourquoi l’Eucharistie reste au centre de ce Triduum sacré.
Le Jeudi Saint d’abord. Le titre même de l’Office — Messe du Repas du Seigneur — nous renseigne sur l’orientation à donner à notre piété en ce jour. L’Église nous invite à renouveler, autour de Jésus, le repas en commun que fut la Sainte Cène : Eucharistie, sacrement de l’amour qui rassemble, qui unit, qui soude nos âmes les unes aux autres et nous tous au Christ.
Au temps de la primitive Église, c’est le matin du Jeudi Saint qu’avait lieu la Cérémonie de la «Réconciliation» , c’est-à-dire de la réintégration des pénitents. Ce souvenir devrait être présent à notre liturgie du soir. Tout nous y parle de cette unité des chrétiens dans le Christ, de l’aspiration des chrétiens à voir se consommer cette unité, et notamment le rite solennel du Lavement des pieds — éloquent symbole du service fraternel — la prescription de faire une homélie sur le Commandement d’amour laissé par le Maître à ses disciples…
Et même le Vendredi Saint. L’Eglise, dans sa nouvelle Liturgie, nous a rendu le privilège de la communion, et à l’heure même où Jésus expira. L’intention est transparente : nous ne pouvons pas entrer en participation plus étroite à la Passion du Christ qu’en communiant à son Corps. L’Eucharistie n’est-ce pas cela essentiellement : le Sacrifice de Jésus?
Ce qu’il faut nous redire ici, c’est que ce Sacrifice garde un aspect triomphant. Certes, en cette heure qui fut celle du « Prince de ce monde » (Saint Jean 14, 30), la tristesse accable l’Église. Mais elle est surtout celle que lui inspire le péché, cause de la mort du Juste. En ce qui la concerne, dans la plainte de l’Épouse déjà percent les premières rumeurs du triomphe de l’Époux.
L’antienne qui accompagne l’Adoration de la Croix est, à ce point de vue, très significative : «Seigneur, nous adorons ta Croix et nous glorifions ta sainte Résurrection. Car c’est par le bois de la Croix qu’est venue la joie pour le monde entier.» Écho du cri de victoire à peine contenu poussé par Jésus au seuil de la Passion. « C’est maintenant le jugement de ce monde; c’est maintenant que le Prince de ce monde va être jeté bas. Et Moi, élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » (Saint Jean, 12, 31-32)
Toujours le double thème des Rameaux, mais inversé : au dimanche précédent, nous honorions le Christ-Roi, mais d’une royauté réalisée par la Croix. Aujourd’hui nous honorons la Croix, mais la Croix qui a permis au Christ de prendre possession de son Royaume. Certes avec la Passion, nos cœurs peuvent être émus par le pathétique récit du drame. Cependant la Liturgie demande de ne pas laisser dans l’ombre l’aspect triomphant d’un Sacrifice que le Christ, Maître de la vie et de la mort, a assumé librement…
Passées ces heures sombres qu’illuminent déjà les premières clartés de la Résurrection, l’Église va s’enfermer dans le silence de l’attente. Le Samedi Saint est un jour liturgiquement vide. L’Épouse en deuil attend le retour de l’Époux. Mais comme Marie attendit le matin de Pâques : dans la certitude de la Résurrection.
Quelques heures encore et elle chantera : « Voici l’heureuse nuit où le Christ, brisant les liens de la mort, a surgi du tombeau, vivant et vainqueur. » (Chant de l’Exultet à la Veillée pascale).