Foi et liberté de l’adulte spirituel
MERCREDI (5° semaine de Carême) Dn 3,14…95 – Jn 8,31-42
La vérité vous fera libres (Jn 8,32)
Le chrétien, dans l’Église, a les droits et les devoirs d’une personne, parmi lesquels les droits et les devoirs de la liberté ne sont certainement pas les derniers. Considérons-les tant du point de vue de la liberté intérieure, qualité ou perfection intime d’une personne, que du point de vue de la liberté extérieure.
Le point essentiel est, pour les fidèles, le devoir de devenir, et le droit correspondant à devenir, des chrétiens adultes, des hommes libres. Ces deux termes sont pratiquement équivalents. Est libre, en effet, ce qui a en soi le principe de sa propre démarche, qui ne subit pas d’autre poids que celui de sa propre inclination.
« Est libre ce qui se détermine soi-même », répète saint Thomas d’Aquin à la suite d’Aristote. Mais l’adulte — je parle évidemment de l’adulte moral ou spirituel, auquel n’atteignent pas toujours les adultes d’âge — est l’homme qu’il n’y a plus à avertir, à pousser, à surveiller, pour qu’il agisse.
Quand nous étions enfants, nous allions à la messe parce qu’on nous disait d’y aller. Beaucoup d’hommes, même adultes d’âge, y vont parce que la pression sociale, ou celle de la loi, affectée de blâmes et de sanctions, les y poussent. L’adulte spirituel y va parce qu’il sait ce qu’il fait, et porte en soi, dans son être spirituel, à l’état personnalisé, des convictions qui l’y font aller. Ainsi, il y va librement.
C’est un programme immense que celui d’un christianisme ou d’une foi adulte. Au négatif, il comporte un passage de représentations ou de comportements enfantins, mécaniques, légalistes, plus ou moins dominés par des tabous ou des attitudes craintives qui ressemblent plus à celles de la religiosité païenne qu’à celles de la foi au Dieu vivant, au Dieu qui est, qui était et qui vient (Ap 1,4)…
Le secret le plus profond d’un christianisme adulte réside dans la vitalité de la foi — pas n’importe quelle attitude « religieuse » — et dans la foi au « Dieu vivant » — pas en quelque Satrape céleste, Axiome éternel, Grand Architecte ou Être suprême…
Notre époque a tout particulièrement besoin de chrétiens adultes.
S’il est vrai, comme l’a écrit joliment le Père Mersch, que « c’est faute de squelette que certains animaux doivent s’entourer de carapaces », on peut, en constatant que partout les cadres sociologiques du catholicisme ancien sont mis en question, ébranlés ou disloqués par la société moderne et les événements, conclure qu’il est urgent de donner spirituellement un solide squelette à nos chrétiens.
Si une chrétienté doit se refaire et vivre aujourd’hui, ce ne pourra plus être, sauf survivances, comme la chrétienté ancienne, à partir des lois, des cadres sociaux, de la faveur positive des pouvoirs publics, de la pression sociale enfin, mais bien à partir des convictions personnelles, du témoignage et du rayonnement de chrétiens qui soient tels par le dedans…
Il nous faut de véritables adultes, qui soient libres, libérés par la Vérité (cf. Jn 8,32).
Yves Congar Si vous êtes mes témoins Le Cerf 1959 p. 38-41