La charité n’est point envieuse (1 Co 13,4)
VENDREDI (2e semaine de Carême) : Gn 37,3…28 – Mt 21.33…46
Ses frères virent que son père l’aimait plus que tous ses autres fils, ils se mirent à le détester (Gn 37,4)
Il ne faut point s’imaginer que les pharisiens et les ennemis de Jésus Christ fussent d’autres hommes que nous ; ni que l’envie qu’ils avaient conçue contre lui fût d’une autre espèce que celle qui nous est connue ; ni que l’orgueil qui en était le principe n’eût aucun rapport avec le nôtre.
Ils voulaient en être estimés, et l’être pour la vertu et pour la piété. Ils auraient applaudi aux miracles de Jésus Christ s’il avait voulu dépendre d’eux en quelque sorte, en s’appuyant de leur faveur, et s’il n’avait condamné leur ambition et leur hypocrisie. Ils se portèrent aux dernières extrémités contre lui, en suivant par degrés les pernicieux conseils que l’envie ne manque jamais de suggérer quand on n’y résiste pas.
Ils furent punis de leur malice par la terrible punition de la satisfaire ; et de leurs ténèbres volontaires, par un aveuglement surnaturel. Ces châtiments sont dus à l’envie, et quiconque en reçoit le poison doit craindre qu’il ne produise en lui les mêmes effets, quoique les circonstances extérieures soient différentes.
Car Dieu rejette avec horreur et avec mépris les envieux, dit saint Ambroise, et leur refuse la grâce, lors même qu’ils paraissent la demander, en punition de ce qu’ils la persécutent dans leurs frères dont la piété les blesse et les irrite ; et il détourne d’eux les miracles de sa miséricorde, parce que c’est l’éclat même de ces miracles qui les éblouit et les offense, quand il les fait pour les autres.
L’horreur qu’une telle injustice, frappée d’une telle malédiction, nous cause pour des moments, n’est pas le remède de l’envie, ni une preuve qu’on en soit exempt. Il faut s’en assurer par d’autres témoignages, et se demander souvent à soi-même si l’on respecte sincèrement dans les autres les dons de Dieu ;
si l’on applaudit à sa miséricorde, dès qu’on en voit des vestiges dans ceux mêmes qui paraissent moins favorables à notre égard ; si l’on en rend grâces avec eux, et pour eux ; si l’on est bien aise qu’ils soient estimés, et plus que nous ; si l’on s’afflige avec vérité et en secret de leurs fautes ;
si l’on est préparé à les couvrir lorsqu’il est inutile ou dangereux d’en donner connaissance ;
si l’on consent à n’être rien aux yeux des hommes, et si l’on connaît la justice, aussi bien que la sûreté d’un état obscur ;
enfin si l’on est véritablement appliqué à faire valoir le mérite et les talents des autres, dans les mêmes choses, où l’on pourrait espérer, ou la préférence, ou l’égalité. On ne se trompe point à de telles marques.
Mais il faut qu’elles soient vraies, autrement l’on passe successivement d’une disposition qui paraissait tranquille à une autre pleine d’agitations et d’inquiétudes. On est content pour des moments et ensuite affligé.
On croit ne rien désirer et peu de temps après on est plein de projets et de désirs. On fait au dehors quelque bien par intervalle, par humeur, selon que l’amour-propre est satisfait ou blessé ; mais, dans le fond, tout est injuste aux yeux de Dieu : car rien n’est plus véritable que cette parole de l’apôtre saint Jacques, qu’il n’y a qu’inconstance et désordre et que tout est mauvais où règne la jalousie et l’esprit de contention.
Jacques-Joseph Duguet Explication des différents caractères que saint Paul donne à la charité « La Vie Spirituelle», mars 1945, p. 175-176.