LA MÈRE DE L’ÉGLISE

LA MÈRE DE L’ÉGLISE

Vierge Marie - chapelle du Ré Profond 49 St Sigismond
Vierge Marie – chapelle du Ré Profond 49 St Sigismond

On voit Marie revenant du Calvaire avec Jean dans un tragique silence. Une statue ambulante pourrait servir à figurer cette Reine des martyrs. Mais ayant tout goûté de la souffrance, la Mère douloureuse aura ce qu’il faut pour devenir la Mère des consolations.

Les trois jours passent, et voici que s’inaugure, après la Résurrection, la brève survie terrestre à laquelle l’Ascension viendra mettre un terme.

Durant ce temps de vie entre terre et ciel, Jésus apparut-il à sa Mère ? Notre cœur penche à le croire; nous aimons contempler celle que la douleur n’a pu abattre, enfin prosternée par cette immense joie. Mais le fait n’est pas sûr. L’Évangile ne dit rien de tel. Les manifestations de Jésus entrent dans le plan que révèle toute sa vie : elles sont utilitaires.

Il s’agit du salut. Il s’agit de nous, et nous serions mal venus de nous en plaindre, fût-ce par sensibilité filiale. On vous oublie, Marie, dès que votre consolation ne confère point à l’œuvre. Ici, les apparitions sont des témoignages ; elles visent les Apôtres troublés et le monde incrédule; elles n’ont point affaire à vous, ô céleste.

Jésus dira à Thomas : « Bienheureux ceux qui ont cru sans avoir vu » : de l’avoir cru ressuscité sans l’avoir vu, vous, humble fidèle unie à tous les fidèles, n’est-ce pas une des raisons pour lesquelles « toutes les générations vous appelleront bienheureuse » ?

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Ce souci exclusif de l’œuvre, qui peut-être a privé Marie d’une consolation, lui a demandé en tout cas un incomparable sacrifice : celui de survivre. Que fera-t-elle en ce monde, sans Jésus? N’est-il pas tout pour elle, et peut-il se concevoir, entre ce monde et son cœur, d’autre attache?

Cela est vrai. Pourtant l’œuvre subsiste, et le divin Ouvrier ne survit-il pas avec elle ? Marie n’est plus de ce monde; mais l’Église que Jésus a fondée n’en est pas davantage. « Notre fréquentation est au ciel », dit l’Apôtre. Si le chrétien vit au ciel dans la mesure de sa foi et de son amour, la Vierge peut tout ensemble garder l’intimité de Jésus et une proximité bienfaisante à l’égard de son œuvre.

Ainsi le devez-vous, Mère, à qui le corps mystique de votre Fils n’appartient pas moins que l’autre. A son berceau vous avez veillé : vous n’abandonnerez pas le berceau de son Église. Elle a besoin de vous pour conserver l’inspiration de son départ, diriger ses premières démarches, fixer l’esprit de son Christ, traverser sans faiblir les premières épreuves.

S’il y a une jeune humanité qui console Dieu et qui, au retour des gibets où le suspend l’inconscience pécheresse, garde le culte saint et prépare les lendemains réparateurs, ne devez-vous pas en être?

Du reste, l’attestation est là. On lit dans les Actes des Apôtres : « Ils persévéraient tous dans un même esprit, dans la prière, avec quelques femmes et Marie, Mère de Jésus, et ses frères. » (Actes, i, ili.) C’est la première vision de l’Église autour de la Vierge-Mère.

A la Pentecôte, quand l’Église naît définitivement par la grâce de sa Confirmation, Marie est là qui d’une certaine manière l’engendre, en raison de ses rapports solidaires avec Celui qui en est la tête et Celui qui en est l’âme. Du Christ et de l’Esprit, elle-même reçoit sans doute alors sa Confirmation. Ses dons de sagesse et d’amour se précisent, en vue de son rôle qui prend en cet instant une forme sociale.

Voilà sa Vie Publique à elle. Cette vie s’inaugure, comme celle de son Fils, par une manifestation de l’Esprit.

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Quelle grâce, pour notre Église au berceau, que cette maternelle présence I C’est comme un Évangile vivant, en attendant que s’écrive l’autre. Marie atteste les mystères de la Naissance et de la Vie cachée ; elle communique de la vie prêcheresse la moelle vivifiante et l’esprit secret.

Par elle, Jésus peut dire, même après son départ vers son Père : « Encore un peu de temps et vous me reverrez. » Bienheureuse concession, dont on ne peut mesurer le prix par l’intelligence, mais que pèse le cœur.

L’Eucharistie, le Paraclet, Marie; la « Présence réelle », la présence en l’esprit, et la présence du Christ en une douce effigie qu’on peut bien appeler son autre moi humain, son double : quoi de plus précieux et quoi de plus délicat comme trésor spirituel accordé à l’institution naissante?

Ce ne sera qu’un commencement. L’Église déployée, la place unique de Marie au cœur de cette société des âmes, moins visible et moins sensible à nos cœurs de chair, n’en est que plus marquée et plus solennelle.

Jésus est le Chef; les apôtres et leurs successeurs sont ses représentants; les fidèles sont les membres; Marie, associée au Chef, Mère du Chef non pas seulement selon la chair, mais par vocation spirituelle, se trouve être, par lui, Mère de la troupe qu’il préside, Mère de sa fraternelle Assemblée.

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N’oublions pas que c’est elle, la première, lorsque Dieu voulut se donner, qui voulut librement le recevoir, et que le ciel attendit d’elle, en quelque sorte, l’agrément de sa créature. Par son Fiat, fut inaugurée cette diffusion du divin dont l’Église est l’organe.

Elle a donc à l’égard de l’Église un caractère de source, de principe; elle en est vraiment la Mère, et ce qui nous fait voir en elle comme le côté humain du salut, c’est précisément cette proximité spirituelle avec l’institution qui sauve.

Marie, unie au Cœur humano-divin qui anime l’Église, est, conjointement avec lui, le cœur de l’Église. Tous les hommes sont un en elle comme ils sont un en lui, et ils vont, sous cette double influence inégale et cette double conduite, à la vie éternelle.

La liturgie en fait foi. Marie est toujours associée à Jésus dans les invocations rituelles. Au cœur même du Saint-Sacrifice, dans le Canon, son nom revient par deux fois. Tout au long de l’office canonial, on l’invoque. Elle est toujours en tête du cortège des saints, quand on les fait défiler devant nous.

Marie est la « Reine du clergé ». La vie sociale de l’Église lui fait une place assez apparente, et des monuments de toute espèce, nous l’avons rappelé, en fournissent l’attestation.

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Enfin, la douce présidence de Marie est doublée, en faveur de l’Église, d’un rôle de défense inattendu au premier abord, mais tout simple. On s’étonnerait à tort de l’entendre qualifier, à l’instar de l’Épouse du Cantique, « terrible comme une armée rangée en bataille ».

L’Épouse était redoutable aux ennemis de l’amour en considération de son charme ; Marie, pour la même raison, est redoutable au mal. Son charme spirituel est sa force. Sa beauté, l’attirance de ses vertus et de son cœur, la féminité de son accueil jointe à la majesté de sa personne et à l’éminence d’un rang qui la fait toute-puissante pour l’intercession : voilà les armes dont elle dispose.

Le bruit de son nom clément ferme la gueule des bêtes méchantes et criardes; l’eurythmie de sa démarche, quand elle s’avance dans les domaines que visite l’esprit de foi, rassure la cité des âmes plus que la tour flanquée de boucliers qui faisait la sécurité de la Sion antique.

« Tour de David », elle l’est, cette fille du psalmiste guerrier et mystique. L’Église, audacieusement, et en dépit de ce que certains croient des évidences, chante à cette puissance pacifique : « Seule, tu as détruit toutes les hérésies dans l’univers entier. »

Et c’est vrai. Les hérésies, ces divisions entre hommes et ces coupures entre l’homme et Dieu, trouvent leur ruine dans les vertus que Marie représente, dans le nœud de vérités que son cas personnel manifeste au centre de la foi, dans la sainteté dont elle est le plus parfait modèle uniquement humain.

Et comme cette sainteté, ces vertus et ces vérités essentielles sont garanties en perpétuelle possession par elle et par son Fils, solidairement, à l’Église dont ils sont à eux deux le cœur, les hérésies n’y peuvent prévaloir; leur attaque est brisée d’avance; ces « portes de l’enfer » ne résistent pas à la candeur de la Vierge très pure et très prudente.

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« Secours des chrétiens », comme on l’appelle encore, elle vient en aide aux chrétiens dans toutes les crises qui les secouent, dans tous les périls qui les menacent, à l’encontre de tous les ennemis qui sont les siens mêmes. Elle écarte, elle calme, au besoin elle jugule, de sa paisible main.

A coup sûr, on ne peut demander que Marie soit victorieuse sans nous là où il s’agit d’une libre victoire pour nous; il faut que le chrétien coopère; mais si le salut individuel dépend de chacun, le salut de l’Église ne dépend que de ses hautes sauvegardes. Marie, portant son Fils, porte avec lui la vérité, la paix et la béatitude; elle chasse toute erreur et dissipe toute crainte.

Elle n’abandonne pas plus l’Église qu’elle n’abandonne son Fils; elle ne laissera pas choir l’édifice plus que l’Enfant. Elle est l’Arche de l’Alliance, et cette arche est ferme.

Reste à prendre sa part, encore une fois, de ce que Marie procure à l’Église par sa maternité agissante. Mais ce n’est pas sans elle que nous est réclamé ce concours. La « Reine de tous les saints » est aussi la Reine des aspirants à la sainteté, voire de ceux qui attendent la sanctification la plus nécessaire.

Le « Refuge des pécheurs » est à nous. Marie admet que nous lui disions : Mère de l’Église qui par Jésus et par vous est la « Sainte Église », faites que cette sainteté où nous fûmes plongés par le baptême nous imprègne et nous transfigure, qu’au besoin elle nous ressuscite.

Priez pour nous « Sainte Mère de Dieu » ; veillez sur nous, soyez-nous un canal de grâce, « Mère de la divine grâce » ; dirigez nos vœux, nos pas, nos cœurs là où vous êtes vous-même, Mère des saints du ciel.

P. Sertillanges

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse