LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS – Xe JOUR.
SERMON SUR LA MONTAGNE.
Videns autem Jesus turbas, ascendit in montent, et cum sedisset, accesserunt ad eum discipuli ejus, et aperiens os suum, docebat eos.
Jésus, voyant la foute qui le suivait, monta sur une montagne où il s’assit : et ses disciples s’étant approchés de lui, il commença à les instruire. Matthieu 5.
ler Point.
Le bruit des merveilles opérées par le Fils de Dieu étant déjà répandu dans toutes les parties de la Judée, il arrivait de tous côtés une multitude de peuple qui se pressait autour de lui pour l’entendre, et pour s’assurer si tout ce qu’on rapportait de lui était vrai. Jésus se voyant ainsi accablé par une foule nombreuse, se retira sur une montagne où, suivant l’Évangéliste saint Luc, il passa toute la nuit en prière.
Lorsque le jour fut venu, il appela tous ses disciples, et en choisit parmi eux douze auxquels il donna le nom d’apôtres, qui signifie envoyés : il les appela ainsi, parce qu’il devait un jour les envoyer par toute la terre annoncer l’heureuse nouvelle du salut. C’est après avoir fait ce choix qu’il s’avança avec ses disciples vers la foule du peuple qui l’attendait, et qu’il commença ce célèbre discours sur la montagne, dans lequel il retrace un abrégé de la doctrine évangélique.
Il y pose d’abord les fondements du véritable bonheur, en expliquant quels sont ceux que nous devons regarder comme les plus heureux sur la terre. Mais que son langage est différent du langage des hommes ! combien l’idée que nous avons du bonheur est opposée à celle qu’il nous en donne !
Heureux les pauvres d’esprit, s’écria-t-il en commençant, parce que le royaume des Cieux est à eux. Suivant saint Augustin et la plupart des Pères, les pauvres d’esprit que le Fils de Dieu met les premiers au rang des bienheureux sur la terre, sont ceux qui possèdent l’humilité.
O mon âme ! Jésus-Christ pouvait-il nous peindre en des termes plus énergiques l’excellence de cette vertu? S’il la fait servir en quelque sorte de base à ses prédications, n’est-ce pas pour nous faire entendre qu’elle est en elle-même la base et le fondement de toutes les autres vertus? Mais combien ces paroles nous paraîtront touchantes, si nous considérons qu’elles sortent de la bouche d’un Dieu fait homme!
Si la vie du Fils de Dieu n’a été qu’une continuelle instruction pour nous, s’il nous a tracé le modèle de toutes les vertus, ne devons – nous pas penser avec saint Augustin que l’humilité a été celle dont il nous a donné le plus souvent l’exemple ? Apprenez de moi, dit-il en un autre lieu, que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes.
O doctrine salutaire ! ô vertu céleste ! qui ne vous trouverait belle, quand Jésus lui-même appelle heureux ceux qui vous pratiquent ? Et qui oserait s’élever, quand le Fils de Dieu s’humilie ?
Oui, s’écrie saint Bernard, les langes qui enveloppèrent notre Sauveur au moment de sa naissance sont plus précieux que toutes les pourpres; la crèche est plus glorieuse que tous les trônes des rois; la pauvreté de Jésus-Christ est plus riche que tous les trésors du monde : car qu’y a-t-il de plus riche et de plus précieux que l’humilité, puisque c’est avec elle que s’achète et s’acquiert le royaume des Cieux ?
Après avoir proclamé le bonheur des humbles, Jésus-Christ établit un nouveau degré de béatitude que le Ciel semblait s’être réservé de faire connaître à la terre par la voie de son Rédempteur.
Avant la venue du Fils de Dieu parmi les hommes, les sages du monde, les instituteurs des nations avaient bien enseigné que l’adversité était pour l’homme une occasion de manifester sa patience et son courage ; ils avaient bien dit que celui-là était véritablement estimable qui savait s’élever au-dessus des flots de la tribulation par la grandeur de son âme et la fermeté de son caractère.
Plusieurs d’entre eux avaient même appliqué ces principes à leur conduite avec toute l’austérité dont la nature humaine paraissait capable ; mais aucun n’avait osé faire entendre ces étonnantes paroles : Heureux ceux qui pleurent ! Cet oracle sacré du Sauveur porte l’empreinte de la Divinité ; Il n’y a qu’une religion descendue du Ciel, qui puisse dire à ses enfants : Réjouissez-vous ; vous qui pleurez.
En effet, qu’on adresse aujourd’hui ce langage aux partisans des voluptés terrestres, comment en sera-t-il accueilli? leur dire qu’ heureux sont ceux qui pleurent, n’est-ce pas comme si on leur disait : Heureux ceux qui ne le sont pas ? Mais pourquoi donc Jésus-Christ appelle-t-il heureux sur la terre ceux qui ne cessent d’y répandre des larmes?
O mon âme! ne le comprends-tu pas en ce moment ? c’est que les véritables enfants de Dieu ne doivent point borner leurs espérances aux joies du siècle : c’est que la terre qu’ils habitent n’est qu’un lieu d’exil et de combat où il leur est ordonné de conquérir les palmes qui doivent un jour composer leurs couronnes.
C’est que ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie ; c’est qu’après les souffrances et les afflictions de cette vie, le Père des miséricordes nous prépare un lieu de rafraîchissement et de paix ; c’est enfin parce que des consolations éternelles succéderont à des douleurs et à des larmes passagères .
Aussi tous les fidèles serviteurs de Dieu ont toujours embrassé avec ardeur la voie des tribulations ; toujours ils les ont regardées comme des témoignages de la bonté du Seigneur, et comme un signe de sa prédilection à leur égard. Heureux, s’écrie Tertullien, celui que le Seigneur entreprend de corriger, et contre lequel il daigne se mettre en colère !
Saint Jean – Chrysostome, dans son Homélie 8me sur les épîtres de saint Paul aux Éphésiens, donne la plus haute idée du bonheur des souffrances : Il est plus glorieux, dit-il, d’être prisonnier pour Jésus-Christ, que d’être apôtre, que d’être docteur, que d’être évangéliste. Celui qui aime Jésus-Christ, sent ce que je dis.
Celui qui aime Dieu passionnément et qui brûle de son amour, sait quel est le prix des liens d’un martyr : il aimerait mieux être enchaîné dans un cachot pour Jésus-Christ, que d’être élevé au plus haut des Cieux.
Sa prison, ses fers, ses tourments, sa mort, tout cela lui semble plus honorable et plus magnifique que d’être assis sur les douze trônes d’Israël, que d’avoir rang parmi les anges, que d’être une de ces bienheureuses intelligences qui gouvernent les globes célestes, ou qui assistent devant le trône de Dieu.
Quand ce qu’il souffre ne lui mériterait rien, souffrir seulement de grands maux pour celui qu’il aime, lui tiendrait lieu d’une grande récompense.
IIe Point.
Après avoir annoncé à ses disciples qu’ils seraient bienheureux lorsque le monde les persécuterait par rapport à lui, Jésus leur enseigna qu’on ne pouvait être heureux en cette vie qu’en méprisant les honneurs et les plaisirs ; qu’en s’attachant à l‘amour de la justice, de la paix, de la miséricorde, de la douceur, de la patience et de la pureté.
Il leur apprit ensuite qu’il n’était pas venu pour détruire la loi de Moïse, mais pour l’accomplir et la rendre plus parfaite ; il leur développa les devoirs de la charité à l’égard du prochain, leur démontra l’imperfection de la loi ancienne à ce sujet, leur défendit de jamais se venger, et leur adressa ces paroles si méconnues aujourd’hui : Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient.
Comment ce précepte est-il maintenant observé? Dirait-on, en considérant la conduite des chrétiens de ce siècle, qu’ils sont les disciples de celui qui a dit : Aimez vos ennemis ?
Où êtes-vous, beaux jours de l’Église, où tous les enfants de Dieu étaient unis entre eux par les liens de la plus étroite charité, où tous ne formaient qu’un cœur et qu’une âme, et présentaient le spectacle d’une grande société dont tous les membres se regardaient comme des frères ?
Il semble que nous ne servions plus aujourd’hui le même Dieu : le joug aimable de la charité s’est éloigné de nous ; un funeste esprit de discorde et de vengeance a gagné tous les cœurs, et divisé le plus grand nombre des chrétiens.
Moi-même n’ai-je pas souvent conservé contre mon prochain des sentiments de haine ou d’aigreur ? n’ai-je pas cherché les moyens de lui rendre au centuple les légers torts qu’il m’avait faits ? n’ai-je pas peut-être refusé quelquefois de lui pardonner, alors même qu’il m’en conjurait avec instance ?
O honte ! nous voyons des païens se faire honneur de savoir oublier une injure ; et sous la religion de Jésus-Christ, qui est une religion de charité et d’amour, on nous voit pleins de fiel et de désirs de vengeance ! Ah ! que nous penserions et que nous agirions différemment, si nous nous occupions souvent des exemples que nous a laissés notre divin modèle.
« Voyez, s’écrie saint Cyprien, quel est l’esprit du Seigneur Jésus, et jusqu’où va sa patience : il est adoré dans le Ciel, et il n’est pas encore vengé sur la terre, quoique ce soit à lui proprement que la vengeance appartienne. » Et saint Paulin, traitant le même sujet, se sert de ces belles paroles : Repousser une injure par une autre injure, c’est se venger en homme ; mais c’est se venger en Dieu, que d’aimer jusqu’à notre ennemi.» (Epist. 2.)
Enfin Jésus-Christ donne à ses disciples quelques instructions sur la prière : touchante et admirable pratique qui met l’homme en rapport avec la Divinité ; qui fait descendre sur la terre les grâces et les miséricordes renfermées dans les trésors du Père céleste, qui suspend et arrête les foudres éternelles lorsque le Dieu de toute justice se dispose à les lancer sur les hommes.
O mon âme ! n’est-ce pas une preuve ineffable de bonté que Dieu nous donne en nous permettant de le prier ? Mais que dis-je ? se contente-t-il de nous le permettre ? non, il nous l’ordonne ; et il daigne aujourd’hui nous enseigner lui-même à nous bien acquitter de ce devoir.
Ah! si nous connaissions toute l’étendue de nos besoins, si nous avions le sentiment de notre indigence et de notre misère, pourrions-nous nous lasser d’importuner le Ciel par d’ardentes supplications ? Mais si nous nous adressons quelquefois à Dieu, nous n’avons point recours à lui avec les sentiments qu’il exige de nous.
« Il semble, dit saint Jean Chrysostome, que nous n’attendions rien de lui lorsque nous le prions : ou plutôt, à voir notre lâcheté et notre indolence. On dirait que nous ne désirons pas d’obtenir, que nous négligeons les choses que nous semblons demander. Cependant Dieu veut qu’on désire vivement ce qu’on lui demande; et bien, loin de trouver mauvais que nous l’importunions, il nous sait gré en quelque façon de notre importunité.»
« Car enfin c’est le seul débiteur qui se sente obligé des instances qu’on lui fait ; c’est le seul qui rende ce qu’on ne lui a point prêté. Plus il voit que nous le pressions, plus il est libéral ; il donne même ce qu’il ne doit point. Que si nous demandons » lâchement, il diffère ses libéralités, non qu’il n’ait pas envie de donner, mais parce qu’il veut être pressé, et que la violence qu’on lui fait lui est agréable. »
« Approchons-nous donc de lui à temps, à contretemps, continue ce Père : mais que dis-je ? il ne peut jamais y avoir de contretemps à cet égard ; c’est lui être importun que ne s’adresser pas à lui continuellement ; nous prions toujours à temps celui qui souhaite toujours d’accorder des grâces. » (Homil. 28 in cap. 6. Matth.)
PRIÈRE.
Qui suis-je donc par moi-même, ô mon Dieu ! pour me dispenser de la prière ? n’ai-je point de vices à combattre, point de vertus à acquérir ? J’ai dit quelquefois, lorsqu’on m’exhortait à m’adresser à vous, que je ne savais que vous demander : malheureux que je suis ! si je désirais sincèrement mon salut, ne dirais-je pas au contraire que j’ignore ce que je n’ai pas à vous demander?
Mais je ne puis même vous prier sans le secours de votre grâce : daignez donc, ô mon Dieu ! m’inspirer les sentiments qui pourront rendre mes prières agréables à vos yeux; et puisque votre divin Fils a bien voulu nous enseigner lui-même cette sainte pratique, permettez que je vous adresse en ce moment les paroles qu’il apprit autrefois à ses disciples : .
Notre Père, qui es aux Cieux ; que ton nom soit sanctifié ; que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au Ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ; pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal. Ainsi soit-il.
RÉSOLUTIONS.
l.° Je ne conserverai jamais aucun sentiment de haine contre le prochain; je repousserai jusqu’à la pensée de la vengeance ; et si j’ai quelques ennemis, je vais travailler dès ce moment à me réconcilier avec eux.
2.° Lorsque je m’adresserai à Dieu pour le prier, et particulièrement lorsque je réciterai l’Oraison Dominicale, je m’exciterai au recueillement et à la ferveur ; je me pénétrerai de la grandeur de mes besoins et de la libéralité du maître dont je sollicite les bienfaits ; et je combattrai sans relâche les distractions que le démon pourra me susciter.