LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS – XVe JOUR.
ENTRÉE DE JÉSUS A JÉRUSALEM.
Ecce ascendimus Jerosolymam, et consummabuntur omnia quae scripta sunt per prophetas de Filio hominis.
Nous allons à Jérusalem, et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l’homme, sera accompli. Luc. 18.
1er Point.
Jésus faisait sa demeure habituelle dans la Galilée, et se contentait de venir à Jérusalem aux fêtes principales, parce qu’il savait que les pontifes et les autres autorités judaïques qui se trouvaient dans cette ville, avaient conspiré contre lui, et cherchaient les moyens de le faire mourir.
Ce n’est pas que cet adorable Sauveur ne fût assez puissant pour dissiper les ténébreuses machinations dans le peuple juif, et rendre inutiles ses tentatives sacrilèges : mais comme son unique occupation était d’accomplir la volonté de son Père, et que, d’un autre côté, sa vie ne devait être qu’une chaîne continuelle de persécutions, d’inquiétudes et de dangers, il se contentait de recourir à des précautions humaines pour se soustraire à la perfidie de ses ennemis.
C’était particulièrement aux solennités pascales que le Fils de Dieu s’empressait de venir à Jérusalem et dans le temple. Il assistait avec exactitude à toutes les cérémonies prescrites par la loi de Moïse. Quoiqu’elles ne fussent que la figure de ce qu’il devait opérer dans la suite ; et il choisissait ordinairement cette époque pour enseigner dans la ville sainte sa doctrine céleste, et y publier sa divinité en opérant des miracles.
Lors donc qu’il vit s’approcher la Pâque où il devait consommer son sacrifice, et abolir toutes les figures de l’ancienne loi, il se disposa à venir en Judée. Mais quelle intelligence humaine est capable de se représenter tout ce qui se passa dans son âme divine au moment où il se décida à entreprendre ce voyage ?
Il connaissait toutes les humiliations, tous les tourments qui l’attendaient à Jérusalem. Il savait qu’à peine entré dans cette ville, il y serait livré à la fureur d’une populace ameutée contre lui et impatiente de sa mort. Mais tant de pensées affligeantes ne rebutent point sa charité : il n’est venu sur la terre que pour racheter les hommes, et son amour ne consentira jamais à laisser imparfait un si grand, un si admirable ouvrage.
Non, mon Père ! dut-il s’écrier en cette occasion, non je ne me déroberai point à la malice des hommes puisqu’elle ne peut rien entreprendre sur moi qui ne soit l’effet de votre volonté : j’accomplirai dans toute sa plénitude le ministère pour lequel vous m’avez envoyé.
Je sais que ce corps dont vous m’avez revêtu doit être immolé pour le salut du monde sur l’autel de votre justice ; je suis prêt à endurer toutes les douleurs, tous les opprobres nécessaires pour réparer l’outrage fait à votre majesté infinie, et c’est dans cette disposition que je vais m’avancer vers la ville où doit être consommé ce sacrifice propitiatoire.
Au milieu de mes souffrances, j’aurai la consolante certitude que l’homme ne sera point perdu sans ressource. Voilà tout ce que mon amour ambitionne ; voilà le seul triomphe qu’il me tarde de recueillir.
Contemplons maintenant Jésus en route pour Jérusalem ; il marche à la mort, et cependant il ne témoigne aucun trouble, aucune inquiétude : son visage porte l’empreinte du calme et de la sérénité, et, comme pour faire voir qu’il s’avance vers une mort volontaire, il ressuscite sur son chemin le frère de Marthe, enseveli depuis quatre jours.
l va éprouver toutes les tortures que la rage et la barbarie pourront imaginer, et cependant sa charité ne se repose point : il empêche ses disciples de faire descendre le feu du Ciel sur une ville qui n’avait pas voulu le recevoir. Vous ne savez pas encore, leur dit-il, par quel esprit vous devez agir : le Fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les hommes, mais pour les sauver.
Enfin il arrive aux portes de Jérusalem, et comme c’est pour la dernière fois qu’il va paraître dans cette ville, et qu’il est sur le point d’y accomplir les mystères les plus importants, il permet que son entrée soit accompagnée d’une pompe éclatante, et porte tous les caractères d’un véritable triomphe.
Une multitude immense accourt à sa rencontre avec des palmes à la main, publiant hautement qu’il est le Roi, le vrai Fils de David, et le Messie attendu depuis le commencement des siècles. Les uns coupaient des branches d’arbres, et les jetaient sur le chemin par lequel il devait passer ; les autres étendaient leurs habits par terre, et se prosternant devant lui, s’écriaient :Béni soit le roi d’Israël, qui vient au nom du Seigneur !
Les enfants se joignaient à ces cris de joie, et le témoignage sincère de cet âge innocent faisait voir combien ces transports étaient véritables.
« Lorsque les rois de la terre font leur entrée dans quelque ville, dit un auteur célèbre, on ordonne au peuple de parer les rues, et la joie est, pour ainsi dire, commandée. Ici tout se fait par le seul ravissement du peuple. Rien au » dehors ne frappait les yeux.
Ce roi pauvre et doux était monté sur un ânon » humble et paisible monture ; ce n’était point sur ces chevaux fougueux, attelés à un chariot, dont la fierté attire les regards ; on ne voyait ni satellites, ni gardes, ni l’image des villes vaincues, ni leurs dépouilles, ni leurs rois captifs ; les palmes qu’on portait devant lui »marquaient d’autres victoires :
Tout l’appareil des triomphes ordinaires était banni de celui-ci ; mais on voyait à la place les malades qu’il avait guéris, et les morts qu’il avait ressuscites : la personne du Roi et le souvenir de ses miracles faisaient toute la recommandation de cette fête. »
O mon âme ! tu ne peux t’empêcher de déplorer ici l’aveuglement de la nation juive, qui demandera dans peu de jours la mort de ce même Jésus qu’elle reconnaît aujourd’hui pour son Roi et son Sauveur.
Combien de fois n’as-tu pas outragé indignement ce Dieu de bonté, après avoir protesté que ta fidélité et ton amour pour lui ne s’affaibliraient jamais 1 Combien de fois ne t’es-tu pas associée aux ennemis de son nom et de sa doctrine, après avoir chanté ses louanges et célébré ses grandeurs avec le peuple fidèle!
IIe Point.
Mais d’où vient qu’en approchant de Jérusalem, le Fils de Dieu laisse échapper quelques soupirs ?. Pourquoi des larmes inondent-elles son visage ? Ah ! sans doute, c’est qu’à l’aspect de cette ville, l’image des tourments et de la mort qu’il y doit endurer est venue se présenter à son esprit ? Non, mon âme, Jésus est moins sensible aux supplices qu’on lui prépare, qu’aux malheurs dont sera accablée la ville qu’il vient d’apercevoir.
Il voudrait détourner d’elle les innombrables calamités que son imagination lui représente ; il voudrait la faire sortir de cet aveuglement profond et obstiné qui doit un jour causer sa ruine. Jérusalem ! Jérusalem ! s’écrie-t-il d’une voix entrecoupée, si tu savais ce qui peut te procurer la paix ! si, du moins en ce jour qui t’est encore donné, tu tournais tes regards vers celui d’où peut venir ton salut !
Mais non ; tout cela est caché à tes yeux. Oh ! quel déluge de maux va fondre sur toi ! encore quelques années, et l’heure de ta destruction sonnera, et le soleil éclairera pour la dernière fois les somptueux édifices répandus dans ton enceinte. Des armées nombreuses partiront de l’occident, et viendront te cerner de toutes parts.
Tes murailles seront renversées, tes tours abattues, tes habitants passés au fil de l’épée, et ton temple ruiné jusque dans ses fondements ; tes places publiques seront inondées du sang qui coulera sous le fer de tes vainqueurs, et ces horribles châtiments seront le prix de ton obstination à fermer les yeux à la lumière qui t’est envoyée.
O malheureuse Jérusalem ! avec quelle effrayante ponctualité elles se sont accomplies, les paroles prophétiques que Jésus vient de faire entendre ! Qu’est devenue ton ancienne splendeur ? Assise maintenant dans la solitude, tu pleures amèrement ton infidélité, et personne ne vient apporter des consolations à tes douleurs.
O justice impénétrable des décrets éternels! il y a des siècles que le Fils de Dieu a pleuré sur cette ville ingrate, et la malédiction du Ciel la poursuit et cette cité malheureuse semble n’être debout que pour attester la réprobation qui pèse sur elle.
Le silence de mort qui règne dans son enceinte, n’est interrompu que par le souffle des vents et les mugissements du tonnerre : les campagnes qui l’environnent sont livrées à une affreuse stérilité. Le soleil semblait se lever à regret sur ces contrées de désolation, où ses rayons n’éclairaient plus que des ruines effrayantes, que des collines arides et solitaires.
0 mon âme ! qu’elles étaient dignes des larmes du Sauveur les calamités dont la malheureuse Jérusalem devait être accablée ! mais prends-y garde ; l’infidélité et la punition de cette ville sont peut-être une image de ce qui t’est arrivé et de ce qui t’arrivera dans la suite.
En pleurant sur Jérusalem, le Fils de Dieu pleurait aussi sur les âmes rebelles à la grâce : il traçait le tableau de leurs misères, et publiait le sort funeste qui les attend si elles ne mettent à profit le petit nombre des jours que le Ciel laisse encore à leur disposition. Écoute, pour t’en convaincre, la comparaison effrayante qu’établit à ce sujet le même auteur dont on a déjà cité quelques paroles :
« L’âme pécheresse, dit-il, cernée de j» tous côtés par ses mauvaises habitudes, ne laissera plus aucun passage à la grâce et au pain de vie. Elle périra de faim ; elle sera accablée sous le poids de ses iniquités, et il ne restera plus pierre sur pierre. Étrange état de cette âme ! renversement universel de tout l’édifice intérieur ! plus de raison ni de partie haute : tout est abruti, tout est corps, tout est sens, tout est abattu entièrement à terre.
Qu’est devenue cette belle architecture qui portait l’empreinte de la Divinité ? il n’y a plus rien ; il n’y a plus pierre sur pierre, ni suite, ni liaisons dans cette âme ; nulle pièce ne tient à une autre, et le désordre y est universel. Pourquoi ? parce que le principe en est ôté : Dieu, sa crainte, la conscience, ces premières impressions qui font sentir à la créature raisonnable qu’elle a un souverain. Ce fondement renversé, que peut-il rester en son entier ?
Pleure donc, ô mon âme ! pleure, ô spirituelle Jérusalem ! pleure ta perte, du moins en ce jour où le Seigneur te visite d’une manière si admirable : si jusqu’ici tu as été insensible à ta propre perte, pleure aujourd’hui, et tu vivras ! ne perds aucun moment de grâce, parce que tu ne sais jamais si ce ne sera pas le dernier qui te sera donné !»
PRIÈRE.
Adorable Jésus, victime volontaire pour les péchés du monde ! que votre dévouement est digne de l’admiration et de la reconnaissance des chrétiens ! vous vous avancez vers Jérusalem avec la même assurance que vous fîtes paraître lorsque vous montâtes sur le Thabor : il semble que vous ignoriez tous les complots qui s’ourdissent contre vous, toutes les ignominies et toutes les tortures qui vous attendent dans cette ville coupable.
C’est que l’amour que vous nous portez est plus fort que la mort; vous savez que notre salut ne peut être accompli autrement : il n’en faut pas davantage à votre charité pour lui faire braver avec joie toutes les douleurs. Ai-je jamais payé de retour, ô mon Dieu ! cet amour infini que vous manifestez aujourd’hui pour les hommes? suis-je dans la disposition de tout sacrifier plutôt que de vous déplaire ?
Combien de fois vos larmes n’ont-elles pas coulé sur moi, comme elles coulèrent autrefois sur Jérusalem ! combien de fois n’avez-vous pas pleuré en voyant mon insensibilité, ma froideur, mon indifférence et mon aveuglement !
Que je comprenne du moins en ce jour, divin Jésus! tout le malheur de mon état : que je connaisse le prix des ineffables sacrifices que vous vous êtes imposés par amour pour moi ; que je mette à profit les jours que votre miséricorde me donne encore ;
Et que je travaille sérieusement à sortir de l’abime profond où mes iniquités m’ont enseveli. Je vous demande humblement cette grâce, mon doux Rédempteur ! et j’ai la confiance que vous me l’accorderez, puisque vous ne refusez jamais rien à la prière d’un cœur contrit et humilié.
RÉSOLUTIONS.
l.° Je ne murmurerai jamais lorsqu’on m’imposera des sacrifices pénibles à ma nature : je prierai le Seigneur de les accepter en expiation de mes fautes ; et je m’y soumettrai avec docilité et promptitude.
2.° Je ne différerai plus de mettre à exécution les inspirations salutaires de la grâce ; je regarderai tous les moments que Dieu m’accorde comme autant de faveurs spéciales ; et j’éviterai de les employer à des occupations frivoles.