LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS – XXIIe JOUR.
BARABBAS EST PRÉFÉRÉ A JÉSUS.
Tolle hunc, et dimitte nobis Barabbam.
Prenez cet homme, et délivrez-nous Barabbas. Luc. 23.
D’après LE MOIS DE JÉSUS – Malines 1839
Ier Point.
Pilate comprit bientôt qu’il ne parviendrait jamais, malgré toutes ses interrogations, à convaincre le Sauveur des crimes dont ses ennemis l’accusaient.
C’est pourquoi il fit appeler les princes des prêtres, les magistrats et le peuple, et leur représenta qu’ayant interrogé Jésus en leur présence, il ne l’avait point trouvé coupable ; qu’Hérode, à qui il l’avait renvoyé, en avait porté le même jugement, et que, par conséquent, il était injuste de faire mourir un homme dans lequel on ne trouvait rien qui fût digne de mort.
Si Pilate eût toujours soutenu, comme il le fait en ce moment, les intérêts de la justice, s’il n’eût point cédé à une lâche complaisance et aux considérations d’une politique odieuse, il n’aurait point participé au déicide commis par les Juifs, et il aurait pu dire avec plus de raison : je suis innocent de la mort de ce juste.
Mais les représentations des princes des prêtres et les cris de la populace eurent bientôt abattu sa fermeté : image effrayante d’une âme pusillanime qui ressent les premiers traits de la tentation ?
Lorsque le démon s’approche de cette âme pour la séduire, il la trouve d’abord fortifiée contre ses attaques : la foi qui n’est pas éteinte en elle, lui fait envisager avec indignation et avec effroi les pièges qui lui sont tendus : elle forme les plus belles résolutions.
Elle est disposée à combattre de toutes ses forces l’ennemi de son repos et de sa vie, elle veut que la justice triomphe, et se rappelant toutes les douceurs qu’elle a goûtées depuis qu’elle s’est engagée sous l’empire de la vertu : non, s’écrie-t-elle, je ne sacrifierai jamais de si pures délices à de profanes et criminelles jouissances.
Je ne souffrirai point que mon ennemi me ravisse les biens précieux dont la grâce m’a enrichie ; je ne lui donnerai point la mort, à cet aimable Jésus, qui n’a cessé d’être pour moi un principe de salut et de vie.
Mais toutes ces bonnes dispositions ne tardent pas à s’affaiblir ; l’esprit de ténèbres redouble ses assauts, et cette âme infortunée commence bientôt à changer de langage. Le péché ne lui paraît plus aussi effrayant ; la vertu semble se dépouiller pour elle de ses amabilités et de ses douceurs : son goût pour les exercices de piété diminue.
Le zèle qu’elle faisait paraître pour les intérêts de la religion, se refroidit insensiblement ; les préceptes évangéliques lui paraissent plus austères que jamais ; peu à peu elle retranche de ses pratiques de dévotion toutes celles qu’elle peut omettre sans crimes.
Een un mot, on peut la comparer à un voyageur qui, après s’être avancé rapidement dans la bonne route, considère les sentiers dont il s’écarte, avec une sorte de curiosité qui rend sa marche plus lente et plus timide.
Cependant cette âme n’abandonne pas les routes de la vertu aux premières attaques que lui livre le tentateur ; elle veut faire auparavant quelques retours sur elle-même ; elle interroge en quelque façon le péché, pour savoir si elle sera plus heureuse sous son empire.
Mais une fois arrivée à ce point, toutes ses bonnes dispositions s’évanouissent, et sa conduite offre le tableau de celle que Pilate continue de tenir à l’égard du Sauveur. C’était la coutume de délivrer aux fêtes de Pâques un criminel dont on laissait le choix aux Juifs ; et ces furieux qui demandaient à Pilate la mort de Jésus, demandaient en même temps qu’on leur accordât le privilège ordinaire.
Or il y avait dans les prisons un voleur insigne, nommé Barabbas, qui était aussi accusé d’homicide. Pilate jeta les yeux sur lui, et résolut de proposer sa délivrance au peuple Juif. Mais quel affreux spectacle va s’offrir !
Jésus, l’innocent Jésus est mis en comparaison avec ce criminel : Pilate déclare aux Juifs qu’ils ont à choisir entre les deux hommes qu’il leur présente, ajoutant qu’il délivrera l’un ou l’autre suivant leurs désirs. Lequel, leur dit-il, voulez-vous que je renvoie, de Jésus ou de Barabbas ?
Mais quoi, juge inique et sacrilège, il n’y a qu’un instant que vous disiez au peuple : Je ne trouve rien de criminel en Jésus, et maintenant vous le mettez en comparaison avec le plus coupable des hommes ! Vous êtes persuadé de son innocence, et vous ne craignez pas de le faire passer pour un criminel !
0 mon âme! reconnais ici l’image de ta conduite lorsque tu es sur le point de succomber aux attaques du démon. Avant d’abandonner tout – à – fait les voies de la justice, n’établis-tu pas une sorte de comparaison entre l’amour de Dieu et l’amour du monde, entre les délices de la ferveur et les plaisirs des sens, entre la vertu et le péché, entre Jésus et Barabbas ?
Rappelle-toi ces déplorables époques où retenue d’un côté par la grâce, et entraînée de l’autre par les sollicitations de l’esprit impur, tu t’enfonçais volontairement dans les ténèbres d’une dangereuse incertitude. Sensible aux charmes de la vertu, tu ne pouvais t’éloigner d’elle sans déplaisir ; mais séduite par les trompeuses amorces du vice, tu éprouvais une envie secrète d’en savourer les jouissances.
Tu voulais te maintenir dans l’amitié de Dieu, et tourmentée par des passions que tu ne combattais pas assez, tu voulais accorder quelque chose à tes penchants corrompus. Tu convenais que la piété était une source féconde de paix et de consolations, et tu te montrais ambitieuse des voluptés sensuelles, source féconde de remords, d’inquiétudes et de désespoirs.
Tu flottais, en un mot, incertaine entre le bien et le mal ; tu comparais tour-à-tour Dieu avec le monde, et le monde avec Dieu ; et cette funeste irrésolution, qu’une foi vive eût bientôt dissipée, était pour le tentateur un signe certain de succès et de triomphe.
IIe Point.
Quelque envenimée que fût la malice des Juifs à l’égard du Fils de Dieu, on devait s’attendre qu’au seul nom de Barabbas, tous les esprits frissonneraient d’indignation ; et Pilate qui proposait sa délivrance, ne doutait point que le peuple juif n’en fût révolté.
Mais il eut recours à ce nouvel expédient pour empêcher la mort du Sauveur dont il reconnaissait l’innocence; comme si le moyen le pins court et le plus efficace n’eût pas été d’imposer silence à ces furieux, en les menaçant d’une rigoureuse punition s’ils ne se retiraient.
Aussi cette dernière tentative en faveur de Jésus n’eut pas plus de succès que les précédentes : elle ne servit qu’à faire éclater davantage l’inaltérable patience du Fils de Dieu et Fin-concevable fureur de la nation juive.
Lors donc que Pilate demanda pour la seconde fois au peuple qui des deux il voulait qu’on délivrât, de Jésus ou de Barabbas, ils se mirent tous à crier : Ôtez-nous celui-ci, et donnez-nous Barabbas!
Vainement le gouverneur essaya-t-il de les calmer en leur représentant que Jésus n’était coupable d’aucun crime ; ils couvraient sa voix de leurs sacrilèges vociférations : Non, nous ne voulons point de cet homme, s’écriaient-ils en montrant Jésus ; nous aimons mieux Barabbas !
Que voulez-vous donc que je fasse de Jésus, répliqua Pilate ? A quoi ils répondirent : Crucifiez-le, crucifiez-le ! Mais quel mal a-t-il fait ? Nation ingrate, vous a-t-il jamais donné sujet de vous plaindre de lui ? s’est-il fait connaître autrement que par des bienfaits ? N’est-ce pas lui qui a délivré vos possédés, guéri vos malades, ressuscité vos morts ?
Et quels sont les titres du scélérat que vous lui préférez ? En sollicitant la délivrance de Barabbas, savez-vous bien ce que vous demandez ? Savez-vous que la liberté d’un tel homme est pour la société un véritable fléau ?
C’est ici, ô mon âme ! que tu dois comprendre toute la malice du péché. Le choix honteux et révoltant que font aujourd’hui les Juifs, est une image fidèle du choix d’un chrétien qui obéit aux perfides suggestions du démon.
Il préfère Barabbas à Jésus ; c’est-à-dire, qu’il échange le souverain bien contre le souverain mal ; il abandonne les routes de la paix et du bonheur, pour entrer dans le chemin de la perdition.
Il préfère Barabbas à Jésus; c’est-à-dire, qu’il renouvelle autant qu’il est en lui les outrages commis contre le Sauveur, puisque le péché, suivant la pensée de l’Apôtre, crucifie de nouveau Jésus-Christ.
Il préfère Barabbas à Jésus ; c’est-à-dire, qu’il préfère à l’heureuse liberté des enfants de Dieu l’esclavage honteux du démon ; c’est-à-dire, en un mot, qu’il sacrifie tous les dons de la grâce pour satisfaire ses penchants corrompus.
Et remarque ici, ô mon âme ! que la perte des dons de la grâce est un des principaux effets du péché. Non que le pécheur soit privé de toute grâce, mais c’est que tous les mérites qu’il avait acquis avec le secours de ce don céleste, se trouvent détruits par le péché.
Vainement cette grâce lui crie intérieurement comme le gouverneur romain aux Juifs : Quel mal votre Dieu vous a-t-il fait pour l’abandonner si lâchement ? Avez-vous à vous plaindre de son service? n’est-ce pas lui qui vous a consolé dans vos afflictions, soutenu dans vos faiblesses, soulagé dans vos douleurs? son joug est-il donc si difficile à porter ?
A ces tendres reproches, le pécheur n’oppose que le langage de l’obstination et de l’endurcissement. Non, s’écrie-t-il avec le peuple juif, je ne veux point reconnaître Jésus-Christ pour mon roi ; j’abjure ses préceptes, ses sacrements, sa doctrine, son culte tout entier; je ne veux plus qu’on me compte au nombre de ses disciples!
Qu’il s’éloigne de moi ! qu’il me retire ses grâces, toutes ses consolations: peu m’importe, je n’en ai pas besoin, puisque je renonce à le servir. Je sais qu’il est la lumière, mais je veux demeurer dans les ténèbres; je sais qu’il est la vérité, mais je veux embrasser l’erreur ; je sais qu’il est la vie, mais je veux la mort ; je sais qu’il est l’auteur de mon salut, mais je veux me perdre! Qu’il se retire et m’abandonne à moi-même !
Dès ce moment, je ne reconnais point d’autre guide, d’autre protecteur, d’autre souverain que le démon : je lui consacre toutes mes facultés ; je ne marcherai plus que sous ses étendards ; je n’obéirai plus qu’à ses ordres ; j’emploierai tous mes biens, tous mes talents à étendre son empire, et à augmenter le nombre de ses disciples ! Qu’on me laisse agir à mon gré I qu’on ne m’empêche point de marcher dans la route que j’ai choisie!
Tu frémis, ô mon âme ! en écoutant un pareil langage, cependant tu Tas tenu toi-même tant de fois! tu as méprisé tant de fois les inspirations de la grâce lorsqu’elle te pressait de fuir le péché ! tu as préféré tant de fois l’estime et les plaisirs du monde à l’amitié de Dieu!
Quand feras-tu un sérieux retour sur toi-même ? Ah ! du moins, que ton indignation pour le peuple juif ne soit pas aujourd’hui stérile ! reconnais enfin combien il est injuste, combien il est déraisonnable d’offenser le Seigneur ; et, lorsque tu seras tentée de commettre le péché, rappelle-toi cette odieuse préférence pour Barabbas dont tu es révoltée, et demande-toi si tu veux imiter un si coupable exemple.
PRIÈRE.
Aimable Jésus! j’entends aujourd’hui votre voix qui me reproche mes ingratitudes et mes infidélités. Oui, je l’avoue, je ne suis qu’un misérable pécheur : je chercherais inutilement à m’excuser ; mais le poids de mes iniquités m’accable, et je n’ose lever les yeux vers vous lorsque je considère la justice de mon choix.
Bonté ineffable ! comment avez-vous pu supporter tant d’horreurs ? Pourquoi la terre ne m’a-t-elle pas englouti? pourquoi le soleil ne m’a-t-il pas refusé sa lumière ? Ah ! c’est que vous n’avez pas voulu que je périsse. J’outrageais votre majesté infinie, et vous ne cessiez pas de m’envoyer votre secours ; je demandais votre mort avec le peuple juif, et votre miséricorde continuait de m’accorder la vie.
Mon Dieu ! serais-je assez malheureux pour méconnaître encore tant de bienfaits ? Ah ! je vous le demande dans toute la sincérité de mon cœur : faites que rien désormais ne soit capable de m’ébranler.
Refusez-moi tout le reste, ô Jésus ! mais remplissez-moi de la crainte de vous déplaire. Pénétrez-moi d’une telle horreur pour le péché, que je sois dans la disposition de tout perdre et de tout souffrir plutôt que de le commettre.
RÉSOLUTIONS.
l.° Aussitôt que je ressentirai les premiers assauts de la tentation, je ferai le signe de la croix, en demandant au Seigneur qu’il daigne m’envoyer son secours pour m’empêcher de succomber.
2.° lorsque j’entendrai proférer des blasphèmes ou tenir des discours impies, je m’humilierai devant Dieu, en pensant que j’ai souvent tenu, par ma conduite, un langage semblable.