Le silence de Dieu
SAMEDI (2e semaine de Pâques) Ac 6,1-7 Jn 6,16-21
C’est moi, n’ayez pas peur (Jn 6,20)
En un sens, Dieu nous parle sans cesse. En un autre sens, il se tait. Si nous connaissons le dessein général de sa providence, nous ignorons tout de ses démarches particulières. L’abandon à la foi est ici notre seule attitude chrétienne.
Il est des périodes où les hommes prennent plus clairement conscience de l’absence apparente de Dieu dans le monde. Celle-ci en est une… Il semble qu’il n’y ait rien de changé dans le monde, depuis l’apparition du christianisme. Les chrétiens eux-mêmes paraissent souffrir plus que les autres: ils ne sont pas épargnés par les fléaux universels, et, en même temps, le sentiment du péché les accable…
Le silence de Dieu pèse terriblement sur nous, en un temps où l’on aurait diablement besoin d’un peu de répit, ne fût-ce que pour avoir le temps de souffler avant de reprendre la marche en avant. Or, le chrétien actuel n’a pas une minute de répit. Tous les problèmes se posent à lui, ensemble et sur tous les points.
Qui ne pourrait raconter une histoire comme celle-ci, par exemple : une famille dépense une petite fortune pour envoyer un enfant infirme vers un pèlerinage lointain, dans l’espoir d’obtenir sa guérison ; tous les frères et sœurs, les parents, les amis prient, les communautés religieuses offrent leurs prières et leurs sacrifices. Et l’enfant ne guérit pas.
Je sais que le premier miracle de Lourdes est précisément que ceux qui ne sont pas guéris reviennent apaisés et plus amis de Dieu. Le vrai miracle, c’est la foi. Il n’empêche : une guérison miraculeuse transforme la vie spirituelle de ceux qui en sont les bénéficiaires. Pourquoi celui-ci est-il guéri, et pas celui-là ?
Mystère terrible.
On peut, on doit dire que la foi de ceux qui ont tout sacrifié pour obtenir la guérison d’un fils, sans être exaucés, est spécialement éprouvée par Dieu. Parce que tu plaisais à Dieu, il fallait que la tentation t’éprouve, dit le livre de Tobie (12,13).
Ceux qui ont leur foi éprouvée dans ses profondeurs sont certainement plus près de Dieu, plus activement occupés à la rédemption du monde, que ceux qui ne souffrent que les peines « classiques » de la vie, qui disent : « Seigneur, Seigneur ! », mais n’entreront peut-être pas dans le Royaume.
Celui qui souffre et voit sa souffrance se prolonger, entrevoit un Dieu dont il doit croire qu’il est meilleur encore que la meilleure des choses qu’il connaît au monde, un de ses enfants ; celui-là est proche du Christ.
On n’ose écrire ces lignes : elles sont vraies, mais lorsqu’on n’a pas éprouvé soi-même pareille désillusion, ces phrases ressemblent au « psittacisme standard de certaines consolations sacerdotales ». Dieu sait ce qu’il fait.
Mais nous croyons ne pas trop demander en suppliant parfois le Seigneur de nous accorder une de ces consolations visibles, une de ces « parénèses » dont notre âme, qui après tout est incarnée en une chair tendre, puisse se rassasier quelque peu pour reprendre force. Dieu refuse cette consolation à ses meilleurs amis.
La Bible entière le crie, et surtout le Fils de Dieu, Jésus Christ, qui demanda que le calice s’éloigne, mais qui le but quand même, librement, par amour.
Charles Moeller Littérature du XXe siècle et christianisme, t. 1, Casterman, 1959, p. 13-15.