L’inépuisable aliment eucharistique
VENDREDI (2e semaine de Pâques) Ac 5,34-42 Jn 6,1-15
Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, les leur distribua (Jn 6,11)
Avant de passer de ce monde à son Père, le Sauveur veut rassasier cette foule qui s’est attachée à ses pas, et pour cela il se dispose à faire appel à toute sa puissance. Vous admirez avec raison ce pouvoir créateur à qui cinq pains et deux poissons suffisent pour nourrir cinq mille hommes, en sorte qu’après le festin il reste encore de quoi remplir douze corbeilles.
Un prodige si éclatant suffit sans doute à démontrer la mission de Jésus ; n’y voyez cependant qu’un essai de sa puissance, qu’une figure de ce qu’il s’apprête à faire, non plus une ou deux fois, mais tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles ; non plus en faveur de cinq mille personnes, mais pour la multitude innombrable de ses fidèles.
Celui que nous avons vu naître en Bethléem, la « Maison du pain », va lui-même leur servir d’aliment ; et cette nourriture divine ne s’épuisera pas. Vous serez rassasiés comme vos pères l’ont été ; et les générations qui vous suivront seront appelées comme vous à venir goûter combien le Seigneur est doux (Ps 33,9).
C’est dans le désert que Jésus nourrit ces hommes qui sont la figure des chrétiens. Tout ce peuple a quitté le tumulte de la ville pour suivre Jésus ; dans l’ardeur d’entendre sa parole, il n’a craint ni la faim ni la fatigue ; et son courage a été récompensé… Le moment vient où notre âme, rassasiée de Dieu, ne plaindra plus les fatigues du corps ; unies à la componction du cœur, elles lui auront mérité une place d’honneur au festin immortel.
L’Église primitive ne manquait pas de proposer aux fidèles ce miracle de la multiplication des pains, comme l’emblème de l’inépuisable aliment eucharistique : aussi le rencontre-t-on fréquemment sur les peintures des Catacombes et sur les bas-reliefs des anciens sarcophages chrétiens.
Les poissons donnés en nourriture avec les pains apparaissent aussi sur ces antiques monuments de notre foi, les premiers chrétiens ayant l’usage de figurer Jésus Christ sous le symbole du Poisson, parce que le mot « Poisson », en grec, est formé de cinq lettres dont chacune est la première de ces mots : Jésus, Christ, Fils, de Dieu, Sauveur…
Ces hommes que le Sauveur venait de rassasier avec tant de bonté et une puissance si miraculeuse, n’ont plus qu’une pensée : ils veulent le proclamer leur roi. Cette puissance et cette bonté réunies en Jésus le leur font juger digne de régner sur eux. Que ferons-nous donc, nous chrétiens, auxquels ce double attribut du Sauveur est incomparablement mieux connu qu’il ne l’était à ces Juifs ?
Il nous faut dès aujourd’hui l’appeler à régner sur nous, car c’est lui qui nous a apporté la liberté, en nous affranchissant de nos ennemis. Cette liberté, nous ne la pouvons conserver que sous sa loi. Jésus n’est point un tyran, comme le monde et la chair ; son empire est doux et pacifique, et nous sommes plus encore ses enfants que ses sujets.
A la cour de ce grand roi, servir c’est régner. Venons donc oublier auprès de lui tous nos esclavages passés ; et si quelques chaînes nous retiennent encore, hâtons-nous de les rompre. Marchons sans faiblesse, car Jésus nous donnera le repos, il nous fera asseoir sur le gazon comme ce peuple de notre évangile ; et le Pain qu’il nous a préparé nous fera promptement oublier les fatigues de la route.
Prosper Guéranger L’Année liturgique, 4e dimanche de carême.