MOIS DE SAINT JOSEPH – XVIIe JOUR
Saint Joseph éprouvé par les épreuves de Jésus-Christ.
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BOSSUET
« Voici, chrétiens, le dernier effort de la simplicité du juste Joseph dans la pureté de sa foi. Le grand mystère de notre foi, c’est de croire un Dieu dans la faiblesse. Mais, afin de bien comprendre combien est parfaite la foi de Joseph, il faut, s’il vous plaît, remarquer que la faiblesse de Jésus-Christ peut être considérée en deux états, ou comme étant soute-, nue par quelque effet de puissance, ou comme étant délaissée et abandonnée à elle-même.
Dans les dernières années de la vie de notre Sauveur, quoique l’infirmité de sa chair fût visible par ses souffrances, sa toute-puissance divine ne l’était pas moins par ses miracles. Il est vrai qu’il paraissait homme ; mais cet homme disait des choses qu’aucun homme n’avait jamais dites ; mais cet homme faisait des choses qu’aucun homme n’avait jamais faites.
Alors, la faiblesse étant soutenue, je ne m’étonne pas que, dans cet état, Jésus ait attiré des adorateurs, les marques de sa puissance pouvant donner lieu de juger que l’infirmité était volontaire ; et la foi n’était pas d’un si grand mérite. Mais, en l’état qu’on a vu Joseph, j’ai quelque peine à comprendre comment il a cru si fidèlement; parce que jamais la faiblesse n’a paru plus abandonnée, non pas même, je le dis sans crainte, dans l’ignominie de la vie.
Car c’était cette heure importante pour laquelle il était venu : son Père l’avait délaissé ; il était d’accord avec lui qu’il le délaisserait en ce jour ; lui-même s’abandonnait volontairement pour être livré aux mains des bourreaux.
Si, durant ces jours d’abandonnement, la puissance de ses ennemis a été fort grande, ils ne doivent pas s’en glorifier, parce que, les ayant renversés d’abord par une seule de ses paroles, il leur a bien fait connaître qu’il ne leur cédait que par une faiblesse volontaire. « Vous n’auriez aucun pouvoir sur moi, s’il ne vous était donné d’en haut. » Mais, en l’état dont je parle, et dans lequel je vois Joseph, la faiblesse est d’autant plus grande, qu’elle semble en quelque sorte forcée.
« Car enfin, mon divin Sauveur, quelle est en cette rencontre la conduite de votre Père céleste ? Il veut sauver les Mages qui vous sont venus adorer, et il les fait échapper par une autre voie. Je ne l’invente pas, chrétiens, je ne fais que suivre l’histoire sainte. Il veut vous sauver vous-même, et il semble qu’il ait peine à l’exécuter.
Un ange vient du ciel, éveiller, pour ainsi dire, Joseph en sursaut, et lui dire, comme pressé par un péril imprévu : « Fuyez « vite, partez cette nuit, avec la mère et l’Enfant, et sauvez-vous en Égypte. » Fuyez; ô quelle parole ! Encore s’il avait dit : Retirez-vous ! Mais fuyez pendant la nuit ; ô précaution de faiblesse ! Quoi donc, le Dieu d’Israël ne se sauve qu’à la faveur des ténèbres !
Et qui le dit? C’est un ange qui arrive soudainement à Joseph, comme un messager effrayé : « de sorte, dit un ancien, qu’il semble que tout le ciel soit alarmé, et que la terreur s’y soit répandue avant même de passer à la terre. » Mais voyons la suite de cette aventure. Joseph se sauve en Égypte, et le même ange revient à lui: « Retourne, dit-il, en Judée; car ceux-là sont morts, qui cherchent l’âme de l’Enfant. »
Eh quoi! s’ils étaient vivants, un Dieu ne serait pas en sûreté ! O faiblesse délaissée et abandonnée ! voilà l’état du divin Jésus ; et, en cet état, saint Joseph l’adore avec la même soumission que s’il avait vu ses plus grands miracles. Il reconnaît le mystère de ce miraculeux délaissement; il sait que la vertu de la foi, c’est de soutenir l’espérance sans aucun sujet d’espérance.
Il s’abandonne à Dieu en simplicité, et exécute, sans s’enquérir, tout ce qu’il commande. En effet, l’obéissance est trop curieuse, qui examine les causes du commandement; elle ne doit avoir des yeux que pour considérer son devoir, et elle doit chérir son aveuglement qui la fait marcher en sûreté. Mais cette obéissance de saint Joseph venait de ce qu’il croyait en simplicité, et que son esprit, ne chancelant pas entre la raison et la foi, suivait avec une intention droite les lumières qui venaient d’en haut.
O foi vive, ô foi simple et droite, que le Sauveur a raison de dire qu’il ne te trouvera plus sur la terre ! car comment croyons-nous? Qui nous donnera aujourd’hui de pénétrer au fond de nous-mêmes, pour voir si ces actes de foi, que nous faisons quelquefois, sont véritablement dans le cœur, ou si ce n’est pas la coutume qui les y amène du dehors ?
« Que si nous ne pouvons pas lire dans nos cœurs, interrogeons nos œuvres, et connaissons notre peu de foi. Une marque de la faiblesse , c’est que nous n’osons entreprendre de bâtir dessus; nous n’osons nous y confier, ni établir sur ce fondement l’espérance de notre bonheur. Démentez – moi, si je ne dis pas la vérité.
Lorsque nous flottons incertains entre la vie chrétienne et la vie du monde, n’est-ce pas un doute secret qui nous dit dans le fond du cœur : Mais cette immortalité que l’on nous promet, est-ce une chose assurée? et n’est-ce pas hasarder son repos, son bonheur, que de quitter ce qu’on voit, pour suivre ce qu’on ne voit pas? Nous ne croyons donc pas en simplicité, nous ne sommes pas chrétiens de bonne foi.
« Mais je croirais, direz-vous, si je voyais un ange, comme saint Joseph. O homme, désabusez-vous : Jonas a disputé contre Dieu, quoiqu’il fût instruit de ses volontés par une vision manifeste; et Job a été fidèle, quoiqu’il n’eût point encore été confirmé par des apparitions extraordinaires. Ce ne sont pas les voix extraordinaires qui font fléchir notre cœur, mais la sainte simplicité, et la pureté d’intention que produit la charité véritable, qui attachent aisément notre esprit à Dieu, en le détachant des créatures. »
(Bossuet, 2e Panégyrique de saint Joseph)