Saint Augustin (Pape François)
« Tu nous as faits pour toi, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi » (Les Confessions, i, 1, 1). À travers ces paroles, devenues célèbres, saint Augustin s’adresse à Dieu dans les Confessions, et dans ces paroles est contenue la synthèse de toute sa vie.
« Inquiétude ». Cette parole me frappe et me fait réfléchir. Je voudrais partir d’une question : quelle inquiétude fondamentale Augustin vit-il dans sa vie ? Ou peut-être devrais-je plutôt dire quelles inquiétudes ce grand et saint homme nous invite-t-il à susciter et à maintenir vivantes dans notre vie ?
J’en propose trois : l’inquiétude de la recherche spirituelle, l’inquiétude de la rencontre avec Dieu, l’inquiétude de l’amour.
La première, l’inquiétude de la recherche spirituelle. Augustin vit une expérience assez commune aujourd’hui, assez commune parmi les jeunes d’aujourd’hui. Il est éduqué par sa mère Monique dans la foi chrétienne, même s’il ne reçoit pas le baptême, mais en grandissant, il s’en éloigne, il ne trouve pas en elle la réponse à ses questions, aux désirs de son cœur, et il est attiré par d’autres propositions.
Il entre alors dans le groupe des manichéens, il se consacre avec application à ses études, il ne renonce pas aux distractions insouciantes, aux spectacles de l’époque, aux amitiés intenses, il connaît l’amour intense et entreprend une brillante carrière de professeur de rhétorique qui le conduit jusqu’à la cour impériale de Milan.
Augustin est un homme qui est « arrivé », il a tout, mais dans son cœur demeure l’inquiétude de la recherche du sens profond de la vie. Son cœur n’est pas endormi, je dirais qu’il n’est pas anesthésié par le succès, par les biens, par le pouvoir. Augustin ne se renferme pas sur lui-même, il ne se repose pas, il continue à chercher la vérité, le sens de la vie, il continue à chercher le visage de Dieu.
Certes, il commet des erreurs, il emprunte aussi des mauvaises voies, il pèche, c’est un pécheur, mais il ne perd pas l’inquiétude de la recherche spirituelle. Et de cette façon, il découvre que Dieu l’attendait, et même qu’il n’avait jamais cessé de le chercher en premier.
Je voudrais dire à ceux qui se sentent indifférents à l’égard de Dieu, de la foi, à ceux qui sont éloignés de Dieu ou qui l’ont abandonné, et à nous aussi, avec nos « éloignements » et nos « abandons » à l’égard de Dieu, petits, sans doute, mais qui sont si nombreux dans la vie quotidienne, regarde au plus profond de ton cœur, regarde au plus profond de toi, et demande-toi : as-tu un cœur qui désire quelque chose de grand ou un cœur endormi par les choses ?
Ton cœur a-t-il conservé l’inquiétude de la recherche ou l’as-tu laisser s’étouffer par les choses, qui finissent par l’atrophier ? Dieu t’attend, il te cherche, que lui réponds-tu ? Te rends-tu compte de cette situation de ton âme ? Ou bien dors-tu ? Crois-tu que Dieu t’attend ou bien pour toi cette vérité ne représente-t-elle que « des mots » ?
Chez Augustin c’est précisément cette inquiétude du cœur qui le porte à la rencontre personnelle avec le Christ, qui le conduit à comprendre que ce Dieu qu’il cherchait loin de lui, est le Dieu proche de tout être humain, le Dieu proche de notre cœur, plus proche de nous que nous-mêmes (cf. ibid., III, 6, 11).
Mais même dans la découverte et dans la rencontre avec Dieu, Augustin ne s’arrête pas, ne se repose pas, ne se renferme pas sur lui-même comme celui qui est déjà arrivé, mais il poursuit le chemin. L’inquiétude de la recherche de la vérité, de la recherche de Dieu, devient l’inquiétude de le connaître toujours plus et de sortir de soi pour le faire connaître aux autres.
C’est précisément l’inquiétude de l’amour. Il voudrait une vie tranquille d’étude et de prière, mais Dieu l’appelle à être pasteur à Hippone, à un moment difficile, avec une communauté divisée et la guerre aux portes.
Et Augustin se laisse inquiéter par Dieu, il ne se lasse pas de l’annoncer, d’évangéliser avec courage, sans crainte, il cherche à être l’image de Jésus Bon Pasteur qui connaît ses brebis (cf. Jn 10, 14), plus encore, comme j’aime à le répéter, qui « a l’odeur de son troupeau », et sort pour chercher celles qui se sont égarées.
Augustin vit ce que saint Paul indique à Timothée et à chacun de nous : proclame la Parole, insiste à temps et à contretemps, annonce l’Évangile avec le cœur magnanime, le cœur grand (cf. 2 Tm 4, 2) d’un pasteur inquiet pour ses brebis. Le trésor d’Augustin est justement cette attitude: sortir toujours vers Dieu, sortir toujours vers le troupeau…
C’est un homme en tension, entre ces deux sorties ; ne pas « privatiser » l’amour… toujours en chemin ! Toujours en chemin, disiez-vous, Père. Toujours inquiet ! Et cela est la paix de l’inquiétude. Nous pouvons nous demander, suis-je inquiet pour Dieu, pour l’annoncer, pour le faire connaître ? Ou est-ce que je me laisse séduire par cette mondanité spirituelle qui pousse à faire tout par amour de soi-même ?
Nous, consacrés, pensons aux intérêts personnels, à l’efficacité des œuvres, au carriérisme. Tant de choses auxquelles nous pouvons penser… Est-ce que je me suis pour ainsi dire « installé » dans ma vie chrétienne, dans ma vie sacerdotale, dans ma vie religieuse, dans ma vie de communauté aussi, ou bien est-ce que je conserve la force de l’inquiétude pour Dieu, pour sa Parole, qui me porte à « aller à l’extérieur », vers les autres ?
Nous en venons à la dernière inquiétude, l’inquiétude de l’amour. Ici, je ne peux manquer de m’arrêter sur la mère, Monique ! Que de larmes a versées cette sainte femme pour la conversion de son fils ! Et combien de mères versent aujourd’hui encore des larmes pour que leurs enfants retournent au Christ! Ne perdez pas l’espérance dans la grâce de Dieu!
Dans les Confessions nous lisons cette phrase qu’un évêque dit à sainte Monique, qui lui demandait d’aider son fils à retrouver le chemin de la foi : « Il est impossible que l’enfant de telles larmes périsse » (III, 12, 21). Augustin lui-même, après la conversion, écrit en s’adressant à Dieu : « Devant toi, ta fidèle servante, ma mère, me pleurait avec plus de larmes que d’autres mères n’en répandent sur un cercueil » (ibid., III, 11, 19).
Femme inquiète, cette femme, qui, à la fin, dit cette belle parole : cumulatius hoc mihi Deus praestitit ! [mon Dieu me l’a donné avec surabondance] (ibid., ix, 10, 26). Celui pour lequel elle pleurait, Dieu le lui avait donné abondamment !
Et Augustin est l’héritier de Monique, il reçoit d’elle la semence de l’inquiétude. Voilà alors l’inquiétude de l’amour, chercher toujours, sans répit, le bien de l’autre, de la personne aimée, avec cette intensité qui porte aussi aux larmes.
Me viennent à l’esprit Jésus qui pleure devant le sépulcre de son ami Lazare, Pierre qui, après avoir renié Jésus, croise son regard riche de miséricorde et d’amour et pleure amèrement, le Père qui attend sur la terrasse le retour de son fils et court à sa rencontre alors qu’il est encore loin. Il me vient à l’esprit la Vierge Marie qui, avec amour, suit son Fils Jésus jusqu’à la croix.
Comment nous comportons-nous face à l’inquiétude de l’amour ? Croyons-nous à l’amour envers Dieu et envers les autres ? Ou sommes-nous nominalistes à ce sujet ? Non pas de façon abstraite, pas seulement en paroles, mais le frère concret que nous rencontrons, le frère qui est à côté de nous !
Nous laissons-nous inquiéter par leurs nécessités ou bien restons-nous enfermés en nous-mêmes, dans nos communautés, qui sont souvent pour nous une « communauté-confort » ? On peut parfois vivre dans un immeuble sans connaître celui qui vit à côté de nous, ou bien on peut vivre en communauté, sans vraiment connaître son propre confrère.
Je pense avec douleur aux hommes consacrés qui ne sont pas féconds, qui sont des « vieux garçons ». L’inquiétude de l’amour pousse toujours à aller à la rencontre de l’autre, sans attendre que l’autre manifeste son besoin. L’inquiétude de l’amour nous offre le don de la fécondité pastorale, et nous devons nous demander, chacun de nous, comment se porte ma fécondité spirituelle, ma fécondité pastorale ?
Demandons au Seigneur qu’il garde dans notre cœur l’inquiétude spirituelle de le rechercher toujours, l’inquiétude de l’annoncer avec courage, l’inquiétude de l’amour envers tout frère et sœur. Ainsi soit-il.
Paroles du PAPE FRANÇOIS lors de la Messe d’ouverture du Chapitre Général de l’Ordre de Saint-Augustin – Basilique Saint-Augustin à Campo Marzio, Rome – mercredi 28 août 2013
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Dans les Confessions, saint Augustin, ce grand penseur de l’Occident depuis Hippone (en Algérie de nos jours) où il est évêque, dit comment il a adhéré à la foi chrétienne. Une page du livre X de cet ouvrage en arrive à cet aveu : « je ne doute pas, mais je suis sûr dans ma conscience, Seigneur, que je T’aime. »
Puis il s’interroge : qui est l’objet de cet amour ?
« J’ai interrogé la Terre et elle a dit : « Ce n’est pas moi. » Et tout ce qui est en elle a fait le même aveu. J’ai interrogé la mer, les abîmes, les êtres vivants qui rampent. Ils ont répondu : « Nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche au-dessus de nous. » J’ai interrogé les brises qui soufflent ; et tous les espaces aériens ont dit avec ceux qui les habitent : « Anaximène se trompe : je ne suis pas Dieu. » l’ai interrogé le ciel, le soleil, la lune, les étoiles : « Nous non plus, nous ne sommes pas le Dieu que tu cherches », disent-ils. Et j’ai dit à tous les êtres qui entourent les portes de ma chair : « Dites-moi sur mon Dieu, puisque vous vous ne l’êtes pas, dites-moi sur Lui quelque chose. » Ils se sont écriés d’une voix puissante : « C‘est Lui-même qui nous a faits. » Mon interrogation, c’était mon attention ; et leur réponse, leur beauté. »
« Quel est cet être au-dessus de la cime de mon âme ? Par mon âme elle-même, je monterai jusqu’à Lui. » Saint Augustin