Aucun saint n’a, peut être, mieux compris que Gertrude la nécessité et la puissance de l’intercession de Marie dans l’œuvre de la sanctification des âmes. Notre-Seigneur se plut, en effet, à lui manifester la dignité incomparable à laquelle la Trinité sainte a exalté Notre-Dame, le concours essentiel et décisif qu’elle prête à l’exécution de tous les plans divins.
I
Un jour, comme on chantait, à matines, Ave Maria, Gertrude vit jaillir du Cœur du Père, du Fils et du Saint Esprit, trois jets qui pénétrèrent au Cœur de la Bienheureuse Vierge, pour de là remonter à leur source, et il fut dit à la Sainte : « Après la puissance du Père, la sagesse du Fils, la tendresse miséricordieuse du Saint Esprit, rien n’approche de la puissance, de la sagesse, de la tendresse miséricordieuse de Marie. » Gertrude apprit, dans la même occasion, que cet épanchement du Cœur de la Trinité sainte au Cœur de Notre Dame se reproduit, chaque fois qu’une âme, sur la terre, récite dévotement l’Ave Maria, et qu’il se répand alors, par le ministère de la très sainte Vierge, comme une rosée de joie nouvelle sur les anges et les saints. En même temps, dans chacune des âmes qui disent la Salutation angélique, s’accroissent, dans une grande mesure, les trésors spirituels dont l’Incarnation du Fils de Dieu les avait déjà enrichies.
C’est, en effet, pour l’amour de Marie, que Dieu a eu pitié de l’humanité et lui a communiqué ses richesses divines. Pour avoir part à ces trésors, l’homme doit d’abord saluer Marie. Gertrude entendait Jésus dire, un jour, à sa divine Mère : « Souvenez vous, ô Reine, ma Mère très aimante, que si j’ai eu pitié des pécheurs, c’est à cause de vous… » Et Marie disait à Gertrude : « En faveur de ceux qui me rappelleront la joie de mon âme, au jour de l’Incarnation, je réaliserai ce que me demande l’Église, quand elle chante : Monstra te esse matrem : Je me montrerai pour eux Mère du Roi de gloire et Mère de l’homme suppliant : Mère du premier, en déployant la puissance que j’ai de secourir les hommes ; Mère du second, en dilatant pour lui les entrailles de ma miséricorde. »
Gertrude n’avait pas toujours compris cette double maternité de Notre Dame – Comme on chantait, le jour de Noël, ces mots : Primo-genitus Mariæ Virginis, le premier né de la Vierge Marie, Gertrude se disait à elle même : « Le titre de Fils unique semblerait mieux convenir à Jésus, que le titre de premier né. » Or, en ce moment, Notre Dame lui apparut : « Non, dit elle à Gertrude, ce n’est point Fils Unique, c’est Fils premier né qui convient mieux, car après Jésus, mon très doux fils, ou plus véritablement en Lui et par Lui, je vous ai tous engendrés dans les entrailles de ma charité, et vous êtes devenus mes fils, les frères de Jésus. »
Voir aussi BENOÎT XVI – Audience du 6 10 2010 sur Sainte Gertrude d’Hefta
II
Marie daigna encore faire entendre à Gertrude quel souverain empire elle exerce sur le Cœur de Jésus, en vertu de sa maternité divine, et comment sa tendresse maternelle sait reconnaître des frères de Jésus, ses fils, chez ceux même que le péché a le plus défigurés : Elle voyait, un jour, des légions innombrables d’anges entourer de leur protection invincible des âmes qu’ils groupèrent autour de Marie : c’étaient les dévots serviteurs de la Mère de Dieu. Puis, sous son vaste manteau royal, dont Marie épandait les bords, couraient se réfugier des multitudes d’animaux de toute espèce, et quand ils y furent réunis, la glorieuse Reine du ciel les caressait de la main, l’un après l’autre : c’étaient les pécheurs, encore déshonorés par leurs péchés ; et la très sainte Vierge voulait montrer à Gertrude comment elle les accueille et les protège, quand ils ont recours à sa miséricorde, en attendant qu’elle les ait amenés au repentir et réconciliés avec Dieu.
Cette divine Mère manifesta à Gertrude son autorité sur le Cœur de Jésus, le jour de sa glorieuse Nativité. Gertrude adressait à Marie une prière de l’Église, le Salve Regina. Quand elle arriva à ces mots : – Tournez vers nous vos yeux miséricordieux, elle vit la Bienheureuse Vierge tenant dans ses bras le divin Enfant. Marie toucha délicatement le menton de son Fils, et dirigeant vers Gertrude et ses compagnes le visage et les yeux de Jésus : « Les voici, disait-Elle, mes yeux très miséricordieux ; ce sont les yeux de mon fils, et je puis en diriger les regards vers tous ceux qui m’invoquent, pour le salut éternel et la sanctification de leurs âmes. »
Jésus, de son côté, révélait de mille manières à Gertrude, la loi qu’il s’est imposée lui-même, de ne communiquer ses richesses à l’homme que par les mains et le Cœur de Marie. Dès les premiers jours d’une conversion, que la Purification de Notre Dame et son Annonciation virent naître et s’affermir, Jésus dit à Gertrude : « Je te donne ma très douce Mère comme Protectrice ; je te confie à sa providence. » Lorsque l’heure des épreuves arriva, Gertrude troublée, effrayée, appela Jésus à son aide. Notre-Seigneur lui répondit : « Je te donne pour Mère ma très miséricordieuse Mère : par Elle, je te dispenserai mes grâces, et quel que puisse être l’excès de tes peines, aie recours à Elle quand tu sentiras défaillir tes forces : tu seras toujours relevée et consolée. » – « Que de fois, s’écrie sainte Gertrude, ne vous ai-je pas vu, ô Jésus, me recommandant affectueusement aux tendres soins de votre Mère, ainsi, et mieux encore qu’un époux recommande à sa propre Mère une épouse bien-aimée ! »
III
Malgré ces leçons réitérées de Notre-Dame et de Jésus-Christ, Gertrude ne put d’abord se défendre pleinement d’une appréhension, hélas ! trop commune : elle craignait que les témoignages de respect, de confiance et d’amour qu’elle donnait à la très sainte Vierge ne préjudiciassent aux droits de Jésus-Christ. Mais une leçon nouvelle de Notre-Seigneur dissipa pour toujours ce scrupule.
Un jour (c’était la fête de l’Annonciation), un prêtre, adressant une instruction à la communauté, insistait sur les grandeurs et les vertus de la très sainte Vierge, sans mentionner l’amour immense du Fils de Dieu dans l’Incarnation. Gertrude en fut contrariée, contristée. Retournant du sermon, et passant devant un autel de Notre Dame, elle s’inclina sans doute, mais son cœur ne se portait point vers Elle avec une affection aussi vive : elle dirigeait plutôt et la salutation et ses meilleurs sentiments vers Jésus, le fruit béni de ses entrailles, et se proposait d’avoir cette même intention, chaque fois qu’elle saluerait une image de Notre Dame.
Peu à peu, cependant, Gertrude troublée se demanda si elle n’aurait pas indisposé contre elle, par de tels sentiments, la toute puissante Reine du ciel. Or, Jésus daigna venir l’instruire, et lui dit avec une bonté pleine de grâce : « Ne crains pas, ma fille très chère, d’avoir offensé ma douce Mère, en dirigeant vers moi tous les mouvements de ton cœur : Elle en est, au contraire, très satisfaite. Mais, pour écarter tout scrupule, dorénavant, quand tu passeras devant l’autel de ma très pure Mère, salue dévotement son image et néglige la mienne. – Oh ! reprit Gertrude, à Dieu ne plaise que j’agisse ainsi ; non, Seigneur, mon cœur n’y consentira jamais : n’êtes vous pas mon unique bien, mon salut, la vie de mon âme ; et je vous négligerais, pour adresser à d’autres mes salutations et mon amour !…- Ma chère fille, répondit doucement Jésus, obéis moi ; et chaque fois que, me négligeant ainsi, tu salueras ma Mère, j’éprouverai la même joie et tu mériteras la même récompense que si, de grand cœur, tu méprisais mille et mille biens pour accroître et centupler ma gloire. »
Dès lors, Gertrude pénétra mieux les mystères de la miséricorde divine, qui abandonne le salut du monde et la sanctification des âmes, les biens de Dieu, Dieu lui-même, aux mains d’une femme, notre sœur et notre mère, et elle sollicita l’intervention de Marie avec une dévotion plus fidèle et plus ardente. Afin d’être assurée de plaire à Jésus, dans ses communions, elle conjurait Notre-Dame de la préparer à recevoir l’Eucharistie. Marie ornait sa fille de la parure de ses propres vertus, et Jésus témoignait à Gertrude combien son Cœur était ravi de retrouver en elle quelques rayons d’une beauté qui seule, comme chante l’Église, a pu charmer ses regards.
Si le cœur de Gertrude devint un séjour préféré de Jésus, c’est que Marie, exauçant les prières de Gertrude, prépara son cœur à Jésus. Un jour, à l’heure de l’oraison, la Sainte demanda à Jésus : « Que ferai-je pour vous plaire davantage ? – Voici ma Mère, répondit Notre-Seigneur, efforce toi de la louer dignement. » Alors Gertrude adressa à Marie cette louange : « O paradis de délices ! » Et elle la félicitait d’avoir été choisie pour servir de demeure à son Dieu. Puis, elle disait à Notre-Dame : « Obtenez-moi, je vous prie, que mon cœur soit, aux yeux de Dieu, paré d’assez de vertu pour qu’il daigne y établir sa demeure. » Marie montra que cette prière lui était agréable, et il sembla à Gertrude que la Bienheureuse Vierge plantait, à l’heure même, dans son cœur, des roses de charité, des violettes d’humilité, en un mot, les fleurs variées de toutes les vertus.
IV
Bientôt, Gertrude appréhenda, non plus de trop faire pour honorer Notre Dame, mais d’être injuste envers cette auguste Souveraine, cette Bienfaitrice universelle. Elle se trouva impuissante à payer ses dettes de respect et de reconnaissance. Le Cœur de Jésus lui parut seul capable de suppléer à l’insuffisance du cœur des hommes, pour honorer et aimer Notre Dame comme Elle doit être aimée et honorée. On trouve souvent, dans les écrits de Gertrude, l’expression vive de ce sentiment.
La veille de l’Assomption, Gertrude conjurait, du fond du cœur, Jésus Christ de lui rendre favorable sa très douce Mère : il lui semblait, en effet, n’avoir jamais bien rempli ses devoirs envers cette auguste Reine. – Alors Jésus embrassa tendrement sa Mère, lui témoigna de diverses manières l’amour filial qu’il eut toujours pour Elle et lui dit : « Veuillez, ô ma Mère très aimante, regarder cette âme que j’ai choisie, et n’ayez pas moins d’amour pour elle, que, si elle vous eût toujours servie avec la dévotion la plus ardente. »
Le jour de la Nativité de Marie, Gertrude s’accusait, en gémissant, de n’avoir jamais dignement honoré Notre Dame. Elle désirait donc vivement que Jésus réparât sa négligence. A cette fin, elle adressait à la très sainte Vierge, mais par le Cœur de Jésus, l’antienne Salve Regina. Or, elle entendit, au même instant, une harmonie délicieuse qui montait du Cœur de Jésus au Cœur de la Vierge sa Mère : c’était le cantique de l’amour filial de Jésus, et il payait les dettes de Gertrude.
Un autre jour, comme elle priait Jésus de présenter, en son nom, à sa divine Mère quelques bonnes œuvres, afin de réparer le peu de zèle qu’elle avait eu pour la gloire de la Bienheureuse Vierge, Jésus, le Roi de gloire, se leva, et offrant à Marie son Cœur divin, il lui disait : « Ma Mère très aimante, voici mon Cœur ; je vous l’offre, et en lui cet amour divin et éternel qui m’a porté à vous prédestiner, à vous créer, à vous sanctifier, à vous choisir pour être ma Mère. Je vous offre, dans ce Cœur, toute la tendresse filiale dont je vous donnai tant de gages sur la terre, alors que, petit enfant, vous me nourrissiez et me portiez dans vos bras. Je vous offre, dans mon Cœur, l’amour fidèle qui m’a porté à demeurer, toute ma vie, près de vous, et à vous obéir, moi le Roi du ciel, comme un fils à sa mère. Je vous offre, en particulier, l’amour qui, sur la Croix, me fit, en quelque sorte, oublier mes tourments, pour compatir intimement à votre désolation amère, et vous laisser, à ma place, un gardien et un fils. Enfin, voyez dans mon Cœur l’amour qui m’a pressé de vous exalter, dans votre bienheureuse Assomption, par-dessus les Saints et les Anges, et de vous constituer la Souveraine, la Reine de la terre et du ciel. Tout cela, ô ma douce Mère, je vous l’offre pour suppléer aux négligences de ma bien-aimée dans votre service, et je vous demande qu’à l’heure de sa mort, vous veniez au devant d’elle et l’accueilliez avec une bonté de mère. »
» O mon Frère, disait, une fois encore, notre Sainte à Jésus Christ, ô mon Frère, puisque vous vous êtes fait homme pour payer les dettes des hommes, daignez maintenant, je vous en prie, suppléer à mon indigence et réparer mes torts envers votre Bienheureuse Mère. »
Or, Jésus se leva aussitôt, il s’avança très respectueusement vers sa Mère, se mit à deux genoux devant elle, et la salua, en inclinant la tête avec une dignité et une amabilité ravissantes.
V
En exauçant ainsi les prières de Gertrude, Notre Seigneur lui donnait, on le voit, des leçons toujours plus pénétrantes de respect et d’affection envers Notre Dame, et la Sainte n’en comprenait que mieux l’impuissance de l’homme à honorer dignement Marie, si le Cœur de Jésus n’acquitte lui même ses dettes. Comment, en effet, l’homme pourrait il assez révérer Celle que le Fils de Dieu daigne révérer jusqu’à fléchir les genoux devant Elle ? Gertrude comprenait enfin la profondeur insondable de la parole évangélique, qui déclare Jésus le subordonné de Marie, et institue dès lors Marie la Souveraine, la dame du Cœur de Jésus.
Un dernier récit de la vie de sainte Gertrude résumera tous les enseignements de ce chapitre, et révélera au lecteur un moyen facile de s’attirer les bénédictions abondantes de Notre-Dame. – « Gertrude priait, quand Marie lui fut montrée, en présence de la Trinité sainte, sous l’image d’un lis éclatant de blancheur. Ce lis avait trois feuilles : l’une représentait la puissance du Père, l’autre, la sagesse du Fils, la troisième, la bénignité du Saint-Esprit, qui se communiquent pleinement à la Vierge très pure, au point de reproduire en Elle leur vive ressemblance. »
« Alors, la très sainte Vierge dit à Gertrude : Si quelqu’un me salue avec dévotion et m’appelle blanc lis de la Trinité, Rose éclatante du Paradis, je ferai voir, en lui, ce que je puis par la toute puissance du Père ; quelles industries me fournit, pour le salut des hommes, la sagesse du Fils, et de quelle miséricorde débordante la bénignité du Saint Esprit remplit mon Cœur. » Notre Dame ajouta : « A l’heure où l’âme qui m’aura ainsi saluée quittera son corps, je lui apparaîtrai dans la splendeur d’une telle beauté, qu’elle goûtera, à sa grande consolation, quelque chose des joies du Paradis. »
En ce jour, sainte Gertrude prit la résolution d’adresser à Notre-Dame, ou de réciter devant son image, la salutation suivante : « Je vous salue, blanc lis de la glorieuse et toujours paisible Trinité ; je vous salue, Rose éclatante du Paradis : ô vous, de qui a voulu naître et du lait de laquelle a voulu se nourrir le Roi des cieux, abreuvez nos âmes des effusions de la divine grâce ! »
d’après « Le Cœur de Sainte Gertrude ou un Cœur selon le Cœur de Dieu » par le Père L.-M. CROS s.j. — 1884