Tout recevoir sans rien posséder
MERCREDI (4e semaine de Carême) Is 49,8-15 – Jn 5,17-30
Le Fils ne peut rien faire de lui-même sinon ce qu’il voit faire au Père (Jn 5,19)
Jésus est pauvre intérieurement, non pas, comme il arrive souvent, qu’il sache profiter des biens de la terre tout :n faisant profession de les mépriser. Il sait au contraire es recevoir et les estimer à leur prix, mais sans la moindre peur de les perdre, sans jamais se préoccuper de les retenir et de les amasser.
Il est pauvre totalement, et non pas seulement détaché des biens matériels, mais aussi libre levant tous les appuis sur lesquels les hommes font reposer leur existence. Rien ne lui appartient, ni ses amis, ni son avenir, ni ses projets, ni sa pensée, ni son œuvre.
Son langage est éloquent : une de ses expressions favorites est pour dire ce qu’il ne possède pas, ce qu’il ne fait pas, ce qu’il n’est pas : Je ne puis rien faire de moi-même… \e ne cherche pas ma volonté (Jn 5,30) ; Je ne cherche pas ma gloire (8,50) ; Ma doctrine n’est pas de moi (7,16) ; Je ne suis pas de ce monde (8,23) ; Je n’ai pas parlé de moi-même (12,49) ; ses disciples, ce n’est pas lui qui se les attache, c’est le Père qui les lui donne (cf. 6,37.44).
Cette dépossession n’est pas de sa part incertitude, peur de s’affirmer ou d’agir. Nul, au contraire, n’a comme lui conscience de ce qu’il est, conscience d’être en plénitude et de façon unique ce qu’il est :
Je suis le Messie, moi qui te parle (4,26) ; Je suis le pain de vie (6,48) ; Je suis la lumière du monde (9,5) ; Je suis la porte des brebis (10,7) ; Je suis le bon pasteur (10,11) ; Je suis la résurrection (11,25) ; Je suis maître et seigneur (13,13) ; Je suis le chemin, la vérité et la vie (14,6) ; Je suis le vrai cep (15,1) ; et tout simplement : Je suis (8,58).
Aucune contradiction, aucune distance entre ces deux réactions : autant il est sûr de lui et de ce qu’il fait, autant il éprouve que son assurance lui vient d’un autre, de celui qu’il ne cesse d’entendre et de regarder son Père.
Un mot résume le fond de son être, le secret qu’il révèle aux siens, c’est à la fois : Je suis et Je ne fais rien de moi-même (8,28). Formule que nous sommes tentés de prendre pour un paradoxe : être, pensons-nous, c’est s’affirmer indépendant, n’avoir besoin de personne et posséder tout ce dont on a besoin.
Jésus, lui, est et s’affirme, comme Dieu seul est capable d’être et de s’affirmer, sans commencement et sans déclin, sans risque d’accident ou de déchéance. Mais tout ce qu’il a et tout ce qu’il est, il le tient du Père, il ne cesse de le recevoir. Fils égal au Père et riche de toute la richesse de Dieu, rien ne lui est propre de toute cette richesse, il est infiniment riche parce qu’il reçoit éternellement la plénitude de Dieu.
Voilà pourquoi, étant de condition divine, au lieu de retenir jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, il s’est anéanti lui-même, prenant condition d’esclave (Ph 2,6-7). Non pas caprice du riche repu, fatigué de ses trésors, mais mouvement spontané du Fils comblé qui vient faire partager aux hommes la joie filiale de ne rien posséder et de tout recevoir.
Mais qui donc, parmi les hommes, est capable de tout recevoir, sinon le pauvre ? Et Jésus, pour vivre en Fils notre condition, la vit dans la pauvreté suprême.
Jacques Guillet Jésus-Christ hier et aujourd’hui, DDB, 1963, p. 96-98.