EUCHARISTIE MÉDITÉE 12

EUCHARISTIE MÉDITÉE 12

Le Viatique.

Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur. (Apoc 14, 13)

Eucharistie- Motif sculpté sur porte d'église - Bruxelles
Eucharistie- Motif sculpté sur porte d’église – Bruxelles

12e Action de grâces – Jésus dans l’Eucharistie console le mourant.

Soyez béni, ô Jésus, mon Sauveur et mon Dieu ; soyez béni, vous qui êtes pour moi le pain vivant, le pain divin de la vie éternelle, le gage précieux de la gloire et de l’immortalité.

Je vous adore en ce moment en moi, ô mon Dieu, comme la vie de mon âme, comme l’appui et le fondement de mes espérances, comme l’auteur de ma joie dans le temps, de mon bonheur dans l’éternité.

Uni à vous, ô mon Sauveur, que me fait la course rapide du temps ? que m’importe de voir mes jours aller se perdre un à un dans l’océan sans fond de l’éternité ?

Ah ! bien loin de me plaindre en voyant ma vie s’écouler avec la vitesse d’un fleuve que rien ne peut arrêter dans sa course, j’appelle avec toute l’ardeur de mes vœux le jour qui la verra finir, puisque ce jour mettra un terme, ô mon Dieu, au danger que je cours sans cesse ici-bas de vous offenser et de vous perdre pour jamais.

Déjà, ô mon Dieu, j’ai trop vécu pour vous offenser, trop peu, il est vrai, pour vous aimer ; mais hélas ! en vivant davantage, j’accumule mes dettes sans accroître mes mérites. Mon âme, renfermée dans sa prison d’argile, fait le mal qu’elle voudrait éviter, sans pouvoir accomplir le bien qu’elle désire pratiquer.

Captive, elle soupire après l’instant de la liberté ; elle vous désire, mon Dieu, vous, sa vie, son souverain bien, comme le cerf altéré désire l’eau des fontaines ; elle a soif de vous, soif de votre amour, et elle est impuissante à vous aimer ; elle vous cherche avec anxiété et ne vous trouve nulle part.

Ah ! qu’elle vienne donc, cette mort qui brisera les liens et la laissera libre d’aller pour jamais se perdre et s’abîmer dans votre sein !

Mais qu’ai-je dit, Seigneur ? Ah ! pardonnez cet élan, ces transports d’une ferveur indiscrète ; je rougis à vos pieds, j’ai honte de ma faiblesse, car, hélas ! j’ose ambitionner la récompense, j’ose même la demander sans l’avoir méritée. Semblable à un ouvrier fainéant qui demanderait son salaire avant la fin de sa journée de labeurs, moi je demande le ciel, et je n’ai rien fait encore pour le mériter.

J’appelle la mort, je l’invoque, comme si ma tâche était remplie, mon jour de travail achevé ; et cependant mes mains sont vides de bonnes œuvres, je suis l’indigence même, et je ne pensais pas que je n’avais rien à vous offrir pour apaiser votre justice, ô mon souverain Juge, si vous m’appeliez en cet instant .

Je n’ai rien fait, rien souffert pour vous ; ma vie vous offre bien des fautes et bien peu d’expiations. J’ai beaucoup péché, et j’ai peu pleuré ; je vous ai surtout trop peu aimé, et le ciel, je le sais, ne se donne qu’ à l’innocence conservée ou à l’innocence recouvrée par le laborieux baptême de la pénitence et des larmes.

Non, non, mon Dieu, je le comprends, je n’ai point encore assez souffert, assez soupiré loin de vous. Il est des larmes que mes yeux n’ont pas versées ; il reste quelques gouttes de fiel au fond de mon calice de douleur que mes lèvres n’ont pas encore goûtées.

Dussent-elles être les plus amères, je veux les répandre, ces larmes, m’enivrer de l’amertume de ces dernières douleurs ; heureux si, unies aux vôtres, ces courtes souffrances du temps désarment votre justice et m’assurent les joies de l’éternité.

Je ne vous demanderai plus, Seigneur, ni la vie ni la mort ; si vous prolongez mon exil, si vous augmentez le nombre de mes jours, si vous les multipliez jusqu’à la vieillesse la plus reculée, je me soumettrai sans murmure aux ordres de votre providence, j’accepterai cette douloureuse épreuve comme une juste expiation des fautes de ma jeunesse et de la longue inutilité de ma vie.

Je ne vous demanderai qu’un adoucissement, et cet adoucissement, votre amour ne me le refusera pas. C’est le don quotidien de vous-même dans l’Eucharistie; c’est vous que je veux posséder toujours dans le temps, ô Jésus, en attendant l’heure bénie qui m’assurera cette possession pour l’éternité.

Si, au contraire, il vous plait, Seigneur, d’abréger le cours de mon existence, j’accepterai la mort avec joie, avec résignation, sous quelque forme qu’il vous plaira de me renvoyer. J’unirai, ô Jésus, mes dernières souffrances aux douleurs de votre agonie, heureux d’honorer votre être éternel par l’acceptation volontaire de la déchéance du mien.

Je ne vous demande pas, ô mon Dieu, de voir à mon heure dernière des parents et des amis en larmes entourer mon lit de mort de leurs regrets et des témoignages d’une affectueuse tendresse ; je ne vous demande pas même qu’une main amie vienne essuyer mes dernières larmes et fermer mes yeux à la lumière du jour.

C’est vous, c’est encore vous, ô Jésus, que je désire et que je veux à cette heure suprême ; c’est vous, c’est votre Eucharistie qu’il me faudra alors comme il me la faut aujourd’hui. Que m’importe que tous me délaissent et m’abandonnent, pourvu que vous me restiez, pourvu que votre douce lumière, ô Soleil d’amour, vienne réjouir mes regards mourants ?

Que m’importe de n’emporter ni larmes ni regrets, pourvu qu’uni à vous par une fervente et dernière communion, je sente votre cœur répondre aux dernières palpitations du mien, et que mon âme, déjà perdue dans votre âme divine, passe du temps à l’éternité dans la douceur de ce dernier embrassement ?

O Marie, Vierge glorieuse et bénie, vous qui êtes morte consumée par les ardeurs de l’amour divin, vous pour qui la mort ne fut qu’un doux sommeil que dissipa bientôt le réveil de l’immortalité, oh ! priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.

N’abandonnez pas vos malheureux enfants à ce moment suprême, vous qu’on vit au pied de la croix de votre Fils expirant ; venez recevoir les derniers soupirs de ceux qui vous invoquent maintenant avec une si entière confiance. Souvenez-vous que pour vous la mort fut un triomphe, que pour nous elle ne soit une séparation!

Ayez pitié de tant de malheureux qui vous nomment leur mère et leur espérance, priez pour tous, assistez-les tous, et que votre maternelle protection s’étende jusque sur ces âmes qui vous méconnaissent, qui outragent votre Fils, et qui jusqu’à la fin refusent les avances de sa miséricorde et de son amour ; obtenez-leur ces grâces puissantes de conversion qui brisent les cœurs, qui les changent, et des pécheurs les plus endurcis font souvent les plus grands saints. Ainsi soit-il.

Léonie Guillebaut

L’inépuisable aliment eucharistique

L’inépuisable aliment eucharistique

VENDREDI (2e semaine de Pâques) Ac 5,34-42 Jn 6,1-15
Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, les leur distribua (Jn 6,11)

L'inépuisable aliment eucharistique
L’inépuisable aliment eucharistique

Avant de passer de ce monde à son Père, le Sauveur veut rassasier cette foule qui s’est attachée à ses pas, et pour cela il se dispose à faire appel à toute sa puissance. Vous admirez avec raison ce pouvoir créateur à qui cinq pains et deux poissons suffisent pour nourrir cinq mille hommes, en sorte qu’après le festin il reste encore de quoi remplir douze corbeilles.

Un prodige si éclatant suffit sans doute à démontrer la mission de Jésus ; n’y voyez cependant qu’un essai de sa puissance, qu’une figure de ce qu’il s’apprête à faire, non plus une ou deux fois, mais tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles ; non plus en faveur de cinq mille personnes, mais pour la multitude innombrable de ses fidèles.

Celui que nous avons vu naître en Bethléem, la « Maison du pain », va lui-même leur servir d’aliment ; et cette nourriture divine ne s’épuisera pas. Vous serez rassasiés comme vos pères l’ont été ; et les générations qui vous suivront seront appelées comme vous à venir goûter combien le Seigneur est doux (Ps 33,9).

C’est dans le désert que Jésus nourrit ces hommes qui sont la figure des chrétiens. Tout ce peuple a quitté le tumulte de la ville pour suivre Jésus ; dans l’ardeur d’entendre sa parole, il n’a craint ni la faim ni la fatigue ; et son courage a été récompensé… Le moment vient où notre âme, rassasiée de Dieu, ne plaindra plus les fatigues du corps ; unies à la componction du cœur, elles lui auront mérité une place d’honneur au festin immortel.

L’Église primitive ne manquait pas de proposer aux fidèles ce miracle de la multiplication des pains, comme l’emblème de l’inépuisable aliment eucharistique : aussi le rencontre-t-on fréquemment sur les peintures des Catacombes et sur les bas-reliefs des anciens sarcophages chrétiens.

Les poissons donnés en nourriture avec les pains apparaissent aussi sur ces antiques monuments de notre foi, les premiers chrétiens ayant l’usage de figurer Jésus Christ sous le symbole du Poisson, parce que le mot « Poisson », en grec, est formé de cinq lettres dont chacune est la première de ces mots : Jésus, Christ, Fils, de Dieu, Sauveur…

Ces hommes que le Sauveur venait de rassasier avec tant de bonté et une puissance si miraculeuse, n’ont plus qu’une pensée : ils veulent le proclamer leur roi. Cette puissance et cette bonté réunies en Jésus le leur font juger digne de régner sur eux. Que ferons-nous donc, nous chrétiens, auxquels ce double attribut du Sauveur est incomparablement mieux connu qu’il ne l’était à ces Juifs ?

Il nous faut dès aujourd’hui l’appeler à régner sur nous, car c’est lui qui nous a apporté la liberté, en nous affranchissant de nos ennemis. Cette liberté, nous ne la pouvons conserver que sous sa loi. Jésus n’est point un tyran, comme le monde et la chair ; son empire est doux et pacifique, et nous sommes plus encore ses enfants que ses sujets.

A la cour de ce grand roi, servir c’est régner. Venons donc oublier auprès de lui tous nos esclavages passés ; et si quelques chaînes nous retiennent encore, hâtons-nous de les rompre. Marchons sans faiblesse, car Jésus nous donnera le repos, il nous fera asseoir sur le gazon comme ce peuple de notre évangile ; et le Pain qu’il nous a préparé nous fera promptement oublier les fatigues de la route.

Prosper Guéranger L’Année liturgique, 4e dimanche de carême.

Dieu premier servi

Dieu premier servi

JEUDI (2P semaine de Pâques) Ac 5,27-33 Jn 3,31-36

Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Ac 5,29)

Saint Thomas More
Saint Thomas More

Sous Henry VIII, roi d’Angleterre, le chancelier Thomas More, au dire d’Érasme, « luttait aussi farouchement pour s’éloigner de la Cour que la plupart des hommes pour y parvenir ». Il n’était pas corrompu dans le plus corrompu des temps.

Il n’était pas ambitieux dans une époque de lutte et d’ambition. Il pouvait encore faire la différence entre la volonté du roi et la loi morale, alors que la majo­rité en avait perdu le pouvoir. Pourquoi ? Il n’y a pas de secret.

More, depuis son adolescence, était un homme de prière. Étudiant à Lincoln’s Inn, il menait avec les Chartreux une vie de parfaite austérité, travaillant et priant dix-neuf heures par jour, dormant sur une plan­che avec une bûche pour oreiller. Quand il trouva sa voca­tion dans le mariage, il maintint ses prières et son austé­rité.

Il se levait à deux heures du matin, travaillait et priait jusqu’à sept heures. Il porta toute sa vie un cilice et se donnait la discipline. Était-ce habituel, à cette rude épo­que ? Au contraire ! Sa femme en fut tellement horrifiée qu’elle essaya de persuader le confesseur de son mari de lui faire retirer son cilice… Il était aussi peu courant de vivre dans une telle austérité à la Cour voluptueuse d’Henry VIII qu’il le serait de nos jours.

Voilà l’origine de la lucidité de More. L’ambition, la soif des richesses et du pouvoir ne signifiaient rien pour un homme dont la vie était imprégnée de prière et d’austé­rité et qui avait pour idéal la simplicité et la vie en com­mun des Franciscains et des Chartreux.

La puissance et la gloire que pouvaient lui offrir Henry — et il lui en pro­posa beaucoup — étaient impuissantes à corrompre un homme qui suivait son divin Maître dans la voie de la souffrance.

Il ne fléchit pas davantage devant la mort. Son martyre était inévitable. More croyait connaître sa faiblesse — il n’y eut jamais âme plus humble. Il vit de bons ecclésiastiques, comme le docteur Wilson et l’évêque Tunstall, hésiter devant la menace de la mort.

Il craignait de chanceler en face de la torture ou de l’éventration, châti­ment des traîtres. Aussi, dans sa prison, se tourna-t-il vers Celui qui, devant l’agonie et la mort, eut une sueur de sang et pria pour que ce calice lui fût épargné…

Voilà la citadelle intérieure de saint Thomas More. Au cours d’une existence vécue dans le tumulte des lois et du service public, parmi les tentations de la Cour et des prin­ces, au milieu d’hommes qui recherchaient sans cesse de nouveaux honneurs et de nouvelles richesses, il marcha avec Dieu. Sa mission terrestre témoignait de la vision et de la connaissance des choses éternelles.

Il demeure hors du temps parce qu’il vécut hors de son temps dans la prière. Il servit la loi morale et les intérêts de la paix, de l’unité, de l’amour et de la compassion, parce qu’il les vécut dans son âme. Et, sa vie entière étant centrée sur Dieu, il put discerner ce qui appartenait à Dieu et ce qui appartenait à César, et mourir finalement sur l’échafaud,… bon serviteur du roi, mais Dieu premier servi.

Barbara Ward Les Saints que nous aimons Amiot-Dumont, 1954, p. 151-153.

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