MOIS DE SAINT JOSEPH – XVIe JOUR

MOIS DE SAINT JOSEPH – XVIe JOUR

Saint Joseph associé aux souffrances de Jésus-Christ
dans le retour d’Égypte.

I

Vitrail de saint Joseph - Église Saint-Sulpice - Le Bugue
Vitrail de saint Joseph – Église Saint-Sulpice – Le Bugue |DR

Pourquoi saint Joseph avait-il reçu l’ordre de conduire l’Enfant Jésus en Égypte de préférence à tout autre pays? Et quel dessein de la Providence avait-il servi par son obéissance à gagner, au prix de tant de fatigues, une terre aussi lointaine?

« Dieu, répond saint Chrysostome, s’était souvenu qu’il n’est pas toujours irrité. Après avoir envoyé de grands maux au peuple de Pharaon, il lui envoyait son Fils comme un signe de réconciliation. Les Égyptiens, persécuteurs de son peuple, devinrent contre le même peuple le refuge du Sauveur enfant. » (Sur saint Matthieu)

« Mystère de grâce, s’écrie saint Augustin , « Moïse leur a enlevé la lumière que le Christ leur rapporte; car il fuit pour illuminer, et non pour se cacher.» ( Sermon sur l’Épiphanie)

Mais ce don de Dieu devait rester ignoré du peuple qui le possédait. Une tradition, recueillie par saint Bonaventure, rapporte, il est vrai, qu’à l’arrivée de la sainte famille les idoles de l’Égypte furent ébranlées, et tombèrent sur le pavé de leurs temples. (Vie du Christ, ch. XII). Cette tradition est rapportée par Eusèbe et par plusieurs autres historiens.

Mais ce fut là un signe isolé et incompris de la présence du voyageur divin. L’Égypte ne le reconnut pas ou ne voulut pas le reconnaître; et saint Joseph, chargé de l’y conduire, n’avait pas reçu d’autre mission que de continuer à exercer sur lui « cette providence silencieuse et muette qui, par des précautions nécessaires, devait cacher les desseins de Dieu, jusqu’à ce que le temps de la révélation fût arrivé. » (Fléchier)

Aussi rien ne vint-il adoucir cet exil dont saint Joseph devait porter et conjurer les rigueurs. « Combien dut-il souffrir, s’écrie  saint Alphonse de Liguori, pendant un séjour de sept années en Égypte, au milieu d’une  nation idolâtre, barbare et inconnue î puisqu’il n’avait ni parents ni amis qui pussent l’assister. Aussi saint Bernard disait-il que, pour nourrir son épouse et ce divin Enfant, qui pourvoit à la nourriture de tous les hommes et de tous les animaux de la terre, le saint patriarche était contraint de travailler constamment.»

II

FLÉCHIER.— SAINT THOMAS D’AQUIN

« Et cependant saint Joseph ne s’informe jamais du temps qu’il doit passer en Égypte. Il prend aux malheureux une inquiète curiosité de savoir jusqu’où doit aller leur malheur. C’est une espèce de consolation de prévoir la fin de ses peines, et de trouver dans l’espérance de l’avenir de quoi soulager une affliction présente. Mais Joseph suit aveuglément les ordres dont il est chargé, et sans pénétrer dans l’avenir, sans craindre la longueur de son exil, il ne veut ni satisfaire sa curiosité, ni donner des bornes à sa patience. » (Fléchier)

« Enfin les temps sont accomplis, l’Ange apparaît encore à Joseph, et, comme toujours, pendant le sommeil de ce saint homme, ce qui exprime d’une manière mystique que ceux qui se reposent des soins terrestres et des affaires du siècle méritent de jouir des visions célestes. L’Ange lui dit donc : Levez-vous, et retournez dans la terre d’Israël; car ceux qui cherchaient la vie de l’Enfant sont morts.
« Et Joseph, se levant aussitôt, prit l’Enfant et sa mère, et vint dans la terre d’Israël. Quand il avait pris l’Enfant et sa mère pour les emmener en Égypte, remarque saint Thomas, c’était la nuit et dans les ténèbres ; mais quand il les ramena en Judée, l’Évangile ne parle plus de ténèbres; car les embûches des tyrans conviennent à la nuit, et la délivrance au jour. »(Saint Thomas, Chaîne d’or, ch. I, II, III.)

III

SAINT THOMAS. — SAINT LIGUORI. — FLÉCHIER

Cependant le pieux auteur qui s’est appliqué surtout à méditer les souffrances de Joseph durant ce voyage, dont la signification mystique a été souvent étudiée par les Pères de l’Église, le même auteur rappelle notre attention sur les circonstances qui rendirent pour les membres de la sainte famille le retour plus pénible encore que la fuite; « car Jésus étant alors âgé de sept ans environ, il était trop grand pour être porté sur les bras, et trop petit pour faire à pied un si long voyage. Aussi bien souvent cet aimable Enfant était  obligé de s’arrêter, et de se coucher à terre par l’excès de la fatigue. » (Saint-Alphonse de Liguori)

Joseph a toujours gardé le silence durant les traverses de ce voyage. Quand il faut obéir et souffrir, il se tait, et l’Évangile se tait sur lui. On ne le voit sortir de l’effacement habituel où il demeure volontairement que dans les occasions où il est incertain des desseins de Dieu, et s’efforce de les connaître pour s’y conformer. C’est ainsi qu’en arrivant sur la terre d’Israël, il apprend qu’Archélaüs, fils d’Hérode, règne à la place de son père: il s’arrête, craignant d’exposer l’Enfant Jésus à retrouver dans ce jeune roi un nouveau persécuteur. «Il ne désobéit point ainsi aux instructions qu’il a reçues du Ciel,» remarque saint Thomas,

car l’Ange ne lui a pas indiqué dans quel lieu de la terre d’Israël il doit s’abriter. Un nouveau doute se présente à lui; il cherche seulement à s’éclairer, et bientôt un messager divin lui apporte la lumière. (Saint Thomas, op. cit.). » « II est averti en songe de s’établir à Nazareth. Et, avec la même promptitude qu’il a mise à obéir quand il a reçu l’ordre de partir pour l’Égypte, il reprend le chemin de la bourgade de Galilée, portant dans ses bras le trésor du monde, en portant Celui qui devait dire un jour : « Je suis la voie, la vérité et la Vie. » (Fléchier)

La grande ombre de la croix

La grande ombre de la croix

VENDREDI (4° semaine de Carême) Sg 2,1 a.12-22  – Jn 7,1 …30

Condamnons-le à une mort infâme, puisque, à l’enten­dre, le secours lui viendra (Sg 2,20)

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Tout le mystère du Christ est un mystère de résurrection, mais il est aussi un mystère de mort. L’un ne va point sans l’autre, et un même mot les exprime : la Pâque. Pâque, c’est passage. Alchimie de tout l’être, séparation totale d’avec soi, à laquelle nul ne peut se flatter d’échap­per. Négation de toutes les valeurs naturelles en leur être naturel, renoncement à cela même par quoi l’individu s’était dépassé.

Si authentique et si pure que soit la vision d’unité qui inspire et qui oriente l’activité de l’homme, elle doit donc, pour devenir réalité, d’abord s’éteindre. La grande ombre de la croix doit la recouvrir.

L’humanité ne se rassemblera qu’en renonçant à se prendre elle-même pour fin. L’hom­me, en effet, ne veut-il pas et n’aime-t-il pas, au fond, l’humanité du même mouvement naturel qu’il se veut et qu’il s’aime ?

Or Dieu est essentiellement celui qui n’admet point de partage ; celui qu’il faut aimer uniquement sous peine de ne point l’aimer. Et s’il est vrai qu’en fin de compte on n’aimera l’humanité pour elle-même, et non d’un amour encore égoïste, qu’en l’aimant en Dieu seul aimé, cette vérité n’apparaît pas d’abord en une telle évi­dence concrète, qu’elle supprime la réalité du sacrifice.

L’humanisme n’est pas spontanément chrétien. L’humanis­me chrétien doit être un humanisme converti. D’aucun amour naturel on ne passe de plain-pied à l’amour surnaturel. Il faut se perdre pour se trouver. Dialectique spiri­tuelle, dont la rigueur s’impose à l’humanité comme à l’individu, c’est-à-dire à mon amour de l’homme et des hommes aussi bien qu’à mon amour pour moi-même. Loi de l’exode, loi de l’extase.

Si nul ne doit s’évader de l’hu­manité, l’humanité tout entière doit mourir à elle-même en chacun de ses membres pour vivre, transfigurée, en Dieu. Il n’y a de fraternité définitive que dans une commune adoration.

« La gloire de Dieu c’est l’homme vivant », nous dit saint Irénée : Gloria Dei, vivens homo. Mais l’homme n’accède à la Vie, dans la seule société totale qui puisse être, que par le Soli Deo gloria. Telle est la Pâque universelle, qui prépare la Cité de Dieu.

Par le Christ mourant sur la croix, l’humanité qu’il por­tait toute en lui se renonce, et meurt. Mais ce mystère est plus profond encore. Celui qui portait en lui tous les hom­mes était délaissé de tous. L’Homme universel mourut seul. Plénitude de la kénose et perfection du sacrifice ! Il fallait cet abandon — et jusqu’à ce délaissement du Père — pour opérer la réunion.

Mystère de solitude et mystère de déchirement, seul signe efficace du rassemblement et de l’unité. Glaive sacré, allant jusqu’à séparer l’âme de l’es­prit, mais pour y faire pénétrer la Vie universelle : « Ô toi qui es seul entre les seuls, et qui es tout en tous ! »

« Par le bois de la croix, conclut saint Irénée, l’œuvre du Verbe de Dieu est devenue manifeste à tous : ses mains y sont étendues pour rassembler tous les hommes. Deux mains étendues, car il y a deux peuples dispersés sur toute la terre. Une seule tête au centre, car il y a un seul Dieu au-dessus de tous, au milieu de tous et en tous. »

Henri de Lubac Catholicisme, Le Cerf, 1941, p. 306-308.

MOIS DE SAINT JOSEPH – XVe JOUR

MOIS DE SAINT JOSEPH – XVe JOUR

Saint Joseph associé aux souffrances de Jésus-Christ
pendant la fuite en Égypte.

I

BOSSUET

La fuite en Égypte église saint Joseph Angers 49
La fuite en Égypte église saint Joseph Angers 49

« Voici encore un mystère plus excellent. Partout où entre Jésus, il entre avec ses croix et toutes les contradictions qui doivent l’accompagner. « Levez-vous, lui dit l’Ange, hâtez-vous de prendre l’Enfant et sa mère, et fuyez a en Égypte. » Pesez toutes les paroles, vous verrez que tout inspire de la frayeur.

« Levez-vous, ne tardez pas un moment ; il ne lui dit pas : Allez, mais fuyez. L’Ange paraît lui-même alarmé du péril de l’Enfant ; et il semble, disait un ancien Père, que la terreur ait saisi le ciel avant que de se répandre sur la terre. Pourquoi? si ce n’est pour mettre à l’épreuve l’amour et la fidélité de Joseph, qui ne pouvait pas n’être pas ému d’une manière fort vive, en voyant le péril d’une épouse si chère et d’un Fils si cher.

« Étrange état d’un pauvre artisan qui se voit banni tout à coup ; et pourquoi? parce qu’il est chargé de Jésus, et qu’il l’a en sa compagnie. Avant qu’il fût né, lui et sa sainte épouse vivaient pauvrement, mais tranquillement, dans leur ménage, gagnant doucement leur vie par le travail de leurs mains; mais aussitôt que Jésus leur est donné il n’y a point de repos pour eux.

« Cependant Joseph demeure soumis, et ne se plaint pas de cet Enfant incommode qui ne leur apporte que persécution. Il part, il va en Égypte, où il n’a aucune habitude, sans savoir quand il reviendra dans sa patrie, à sa boutique et à sa pauvre maison. L’on n’a pas Jésus pour rien; il faut prendre part à ses croix.

« Pères et mères chrétiens, apprenez que vos enfants vous seront des croix : n’épargnez « pas les soins nécessaires non-seulement pour leur conserver la vie, mais, ce qui est leur véritable conservation, pour les élever dans la vertu. Préparez-vous aux croix que Dieu vous prépare dans ces gages de votre amour mutuel ; et, après les avoir offerts à Dieu comme Joseph et Marie, attendez-vous, comme eux, à en recevoir, quoique peut-être d’une autre manière, plus de peines que de douceur. »

(Bossuet, Élévations sur les mystères, XIXe semaine.)

II

SAINT ALPHONSE DE LIGUORI

« Que dire des angoisses de saint Joseph durant ce voyage ? Il voyait souffrir sa sainte épouse, qui était peu faite à la marche, et avec elle le cher Enfant qu’elle et lui se passaient tour à tour pour le porter entre leurs bras. Et dans cette fuite précipitée, au milieu de l’hiver, par le froid et la neige, quelle appréhension constante de rencontrer à chaque pas les soldats d’Hérode!…

« De quoi pouvaient-ils se nourrir pendant le jour, si ce n’est du morceau de pain qu’ils avaient emporté avec eux ou qu’ils avaient reçu en aumône? Où pouvaient-ils se reposer pendant la nuit, si ce n’est dans quelque méchante hutte, sous l’abri de quelque arbre, et plus souvent encore en rase campagne et à découvert?

« Saint Joseph adorait les desseins du Père céleste, qui voulait que Jésus souffrît dès sa venue dans le monde pour expier les péchés des hommes. Mais le saint vieillard avait son cœur paternel déchiré quand il entendait le divin Enfant pleurer de froid et de fatigue, sans qu’il lui fût possible de soulager ses souffrances. »

(Bossuet, Élévations sur les mystères, XIXe semaine.)

III

FLÉCHIER

« Figurez-vous cet homme de la Providence de Dieu fuyant devant la face du tyran qui avait occupé le trône de ses pères, chargé de Jésus-Christ et du christianisme; portant les mystères de la religion et l’Église errante dans son origine; sur la tête duquel roulent le salut général du genre humain et la vie du Sauveur des hommes ; marchant à la faveur de la nuit, sans secours, sans guide, sans assistance ; cherchant, comme un criminel, dans une terre étrangère la sûreté que son innocence ne lui donnait pas dans la sienne ; et traînant le Dieu d’Israël, pour aller éprouver dans la cruelle et barbare Égypte l’ancienne captivité de son peuple.

« C’est là que, dans une solitude qui n’était interrompue que par les soins qu’il prenait pour Jésus-Christ et pour sa mère, il possédait un trésor encore fermé pour tout le reste du monde. C’est là que, conduisant le Fils de Dieu de désert en désert, pour lui faire consacrer par sa présence ces lieux qui devaient être un jour habités par tant de pénitents et de solitaires, il se rendait comme leur chef sous Jésus-Christ, et traçait à ses anges, revêtus d’un corps mortel, ces fameux asiles contre la corruption du monde, qui n’est pas moins irrité contre la vertu que ne l’était Hérode. »(Fléchier, loc. cit.)

« Toutes les souffrances de ce voyage durèrent longtemps, remarque saint Bonaventure ; il fallait traverser le grand désert, où les Hébreux avaient passé quarante ans avant d’arriver à la terre promise ; et ce trajet, qui était de douze à quinze jours pour les courriers, dut être pour la sainte famille de plus de deux mois.» (Saint Bonaventure, Vie de Jésus-Christ, ch. XII)

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