La charité fraternelle

La charité fraternelle

VENDREDI (3e semaine de Carême) Os 14,210 Mc 12,28b-34

Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Mc 12,31)

Saint Augustin
Saint Augustin

Remarquons à quel point l’apôtre Jean nous recommande l’amour fraternel :

Celui qui aime son frère, dit-il, demeure dans la lumière, et il n’y a en lui aucune occasion de chute (1 Jn 2,10). Il est clair que l’apôtre met la perfection, de la justice dans l’amour des frères : car celui en qui il n’y a pas d’occasion de chute est parfait.

Et cependant il semble passer sous silence l’amour de Dieu : ce qu’il ne ferait jamais, si dans la charité fraternelle elle-même il n’enten­dait Dieu. Peu après, dans la même épître, il dit en effet d’une façon on ne peut plus claire : Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu, et tout homme qui aime est né de Dieu et connaît Dieu ; celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour (1 Jn 4,7-8).

De ce contexte il ressort assez clairement qu’un témoin si autorisé considère l’amour fra­ternel non seulement comme issu de Dieu, mais comme Dieu lui-même, puisque c’est en l’amour fraternel que nous nous aimons les uns les autres.

*

Par conséquent, en aimant notre frère d’un amour véri­table, nous aimons notre frère selon Dieu, et il ne se peut faire que nous n’aimions en premier lieu cet amour grâce auquel nous aimons notre frère. D’où nous concluons que ces deux préceptes ne peuvent exister l’un sans l’autre. Puisqu’en effet Dieu est amour, celui-là aime certainement Dieu qui aime l’amour ; or celui-là aime nécessairement l’amour, qui aime son frère.

Aussi, peu après, l’apôtre Jean dit-il : Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? (1 Jn 4,20) ; la raison qui l’empêche de voir Dieu, c’est qu’il n’aime pas son frère. Celui qui n’aime pas son frère n’est pas dans l’amour ; et celui qui n’est pas dans l’amour n’est pas en Dieu, car Dieu est amour.

*

En outre, celui qui n’est pas en Dieu n’est pas dans la lumière, car Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres (1 Jn 1,5). Celui donc qui n’est pas dans la lumière, quoi d’étonnant qu’il ne voie pas la lumière, autre­ment dit, qu’il ne voie pas Dieu, puisqu’il est dans les ténèbres ? Il voit son frère d’une vue humaine, laquelle ne permet pas de voir Dieu.

Mais si ce frère qu’il voit d’une vue humaine, il l’aimait d’une charité spirituelle, il verrait Dieu qui est la charité même, de cette vue intérieure qui permet de le voir. Ainsi donc, celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment pourrait-il aimer Dieu que préci­sément il ne voit pas parce que Dieu est amour, et que cet amour fait défaut à celui qui n’aime pas son frère ?

Et qu’il ne soit plus question de savoir combien de charité nous devons à notre frère, combien à Dieu : incomparablement plus à Dieu qu’à nous, autant à nos frères qu’à nous-mêmes ; or nous nous aimons d’autant plus nous-mêmes que nous aimons Dieu davantage. C’est donc d’une seule et même charité que nous aimons Dieu et le prochain ; mais nous aimons Dieu pour lui-même, nous et le prochain pour Dieu.

Saint Augustin De Trinitate, VIII, 12 : PL 42, 958-959, Traduction Orval.

MOIS DE SAINT JOSEPH – VIIIe JOUR

MOIS DE SAINT JOSEPH – VIIIe JOUR

Saint Joseph, époux de Marie.

 

 JEAN LE CHARLIER, dit JEAN DE GERSON (1363-1429)

I
A quel âge saint Joseph épousa la bienheureuse Vierge Mari».
mariage de Joseph et de Marie - église Saint Joseph Angers 49
mariage de Joseph et de Marie – église Saint Joseph Angers 49

« Considérons, mon âme, les causes pourquoi Dieu voulut que Notre-Dame fût épousée par saint Joseph. Saint Jérôme dit que saint Joseph fut l’époux de la sainte Vierge pour trois raisons:

1° Afin que la généalogie de Joseph, dont Marie était la proche parente, servit aussi à démontrer l’origine de cette bienheureuse Mère de Dieu ;
2° De peur qu’elle ne fût accusée et condamnée à être lapidée selon la loi de Moïse ;
3° Pour que, dans sa fuite en Égypte, elle eût le secours et la protection d’un époux. (Comm. sur S. Matth.)
Saint Jean Damascène ajoute que Dieu voulut que saint Joseph épousât Marie pour tromper Satan, qui, connaissant les promesses primitives, observait les vierges. (De la Généalogie du Sauveur.)

«Nous verrons qu’il devait être de bon âge et parfait : 1° pour nourrir et gouverner Notre-Dame et l’enfant Jésus de son labeur, et aussi pour les mener en moult lointain pèlerinage d’Égypte, où ils furent près de sept ans, pour aller avec Jésus aux fêles solennelles, comme il apparait quand Jésus-Christ avait douze ans. Et auparavant il avait été présenté au Temple par saint Joseph le jour de la Purification.

Saint Joseph avait aussi mené Notre-Dame de la cité de Nazareth à Bethléem pour lesdits offices; il convenait doublement que Joseph ne fût point vieux, laid, défectueux et comme impotent au labeur, et qu’il eût plutôt besoin d’être servi que de servir; il eût été aussi plus à charge à Notre-Dame qu’à son aide ou consolation : car vieillesse est une maladie tant semble saine, laquelle dure et empire jusqu’à la fin, et rend l’homme douloureux , triste et appesanti. »

Suarez exprime la même opinion. [Des Mystères de la vie du Christ, quest. 37.)

II

Comment se célébra le mariage de Joseph et de Marie.

« Considérons encore, sur le virginal mariage de Notre-Dame et de saint Joseph, toutes les choses qui sont à notre récréation, doctrine et consolation ; plus belle matière ne pourrons-nous avoir.

« Considérons que Notre-Dame était pressée par ses parents d’être mariée, et que les prêtres de la loi alléguaient que la femme, en Israël, qui était sans fruit était maudite ; elle voulait obéir en commettant son vœu de chasteté à l’ordonnance de Dieu, sans le révéler par dehors, et que pour obédience elle consentît en mariage.

« Nous pouvons dire que le consentement de Notre-Dame en mariage fut absolu; mais elle était assurée du parfait Joseph, qui fit vœu avec elle, selon le dit de plusieurs, quand il connut que Notre-Dame avait fait vœu.

« Selon les saints docteurs, exposant les Évangiles, entre eux fut triple convention successivement, selon la manière des Juifs pour lors… Il y avait trois cérémonies dans le mariage des Juifs: les fiançailles, qui se faisaient au temple et en public; une deuxième convention, après laquelle la fiancée était conduite chez son époux ; et enfin les noces solennelles.

… « Considérons, quant aux noces de saint Joseph et de Notre-Dame, qu’elles furent moult honorables, car eux deux étaient de la lignée royale de David et de la sacerdotale d’Aaron, bien qu’ils ne fussent moult abondants en richesses mondaines. Leurs parents et voisins, et amis qui étaient venus à la fête des noces, félicitaient , les uns, la Vierge d’avoir un tel bon et noble époux ; les autres, saint Joseph d’avoir une telle belle, et sage et noble épouse.

« Et si quelqu’un fait ici curieuses questions, répondons à toutes telles demandes, qu’eux deux et leurs amis présents firent selon la coutume du temps de lors, en toute honnêteté et chasteté, en sobre liesse, sans dissolution, soit en dit, soit en chanson, soit en maintien, soit en boire, soit en manger, mais tout ainsi qu’appartenait à telle sainte convention.

« Considérons encore que, quand Notre-Dame fut venue dans l’hôtel de saint Joseph, il est bien à croire qu’elle y montrait toute humilité serviable, toute dévotion et toute honnêteté plaisante et agréable; elle ordonnait l’hôtel, puis travaillait de son métier, puis était en oraison, puis en dévote méditation de la loi de Dieu, selon ce qu’elle en avait appris, tant par doctrine des prêtres du Temple, comme par divine inspiration; et il est bien à croire que quelquefois elle en conférait avec Joseph, qui l’écoutait volontiers, car il n’en était pas tant instruit par école, par étude que par révélation.

« Les voisins, les parents et amis d’eux les visitaient aux sabbats et aux fêtes, et prenaient grande dévotion, plaisir et consolation à écouter le doux et sage et dévot parler de cette Vierge, comme étaient les sœurs de Notre-Dame, filles de sainte Anne, desquelles chacune se nommait Marie, et autres plusieurs. »

III

Signification mystique du mariage de Joseph et de Marie.

« Considérons que ce mariage virginal de Joseph et de Marie fut plein de grands et merveilleux mystères, autant et plus que celui qui fut le premier ordonné au paradis terrestre, lequel représentait et signifiait que l’âme dévote doit être conjointe à Dieu comme la bien-aimée épouse à son bien-aimé époux, selon le cantique que fit Salomon : « Mon bien-aimé, « dit l’âme dévote, est à moi, et je suis à lui. »

« Considérons au surplus que ce mariage, comme dit l’Apôtre, est un grand sacrement en la signification de Dieu et de l’Église. Jésus-Christ , comme vierge, est conjoint à l’Église, vierge pareillement : on trouve, en ce virginal mariage de Marie et de Joseph, que vierge est joint à la vierge, et comme Jésus-Christ a une lignée spirituelle de la sainte Église, pareillement saint Joseph et Notre-Dame ont eu ce bel enfant, ce béni fruit de vie Jésus.

« Considérons en outre que toute la cour du paradis des bénis anges menait joie de ce saint et sacré mariage ; car virginité est cousine aux anges, et car, par ce mariage, leur nombre en serait réparé, et les saints Pères qui étaient aux limbes, comme on peut estimer, eurent connaissance des grâces spéciales de cette solennité, et en furent joyeux, car leur rédemption approchait.

« Mais aussi voyons-nous qu’il est à croire que plusieurs des prisonniers du purgatoire en furent délivrés et élargis, en l’honneur et faveur de ce joyeux, saint et glorieux mariage : or au surplus pouvons-nous religieusement penser que toutes les fois que nous, pécheurs, faisons mémoire honorable de ce mariage, nous en rapportons les biens et les aumônes de grâce et de pardon, et de spirituelle joie et de dévotion.

« Car pour nous, pécheurs, et pour notre salut principalement, fut célébré ce mariage ; ainsi nous devons y avoir singulière confiance, amour, honneur et révérence, de quelque état, de quelque âge et de quelque sexe ou quelque condition que nous soyons, et quelque grâce que nous veuillons demander, et spécialement pour demander paix et union ; car ici est signifiée l’union de la sainte Église à Jésus, son époux, et de l’âme à Dieu.»

(Gerson, Considérations sur saint Joseph.)

 

Quelles sont vos réserves de fidélité ?

Quelles sont vos réserves de fidélité ?

JEUDI (3e semaine de Carême) Jr 7,23-28 – Lc 11,14-23

Je serai votre Dieu, et vous, vous serez mon peuple (Jr 7,23)

Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu
Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu

Si Moïse n’était pas redescendu de la montagne le quarantième jour, aurait-il retrouvé autre chose dans la plaine que les os du dernier repas, et le silence d’un camp abandonné par un peuple parti chercher ailleurs une autre aventure ?

Si Jésus n’était pas ressuscité le troisième jour, combien des siens aurait-il encore retrouvé à Jérusalem, vu la hâte que plusieurs mettaient à s’en retourner chez eux ?

Si Dieu laisse trop longtemps circuler la nouvelle de sa mort sans la démentir de manière efficace, l’Église ne verra-t-elle pas ses problèmes résolus de la manière la plus expéditive : par la désertion de tous ses fidèles ? Si le Fils de l’homme tarde trop à revenir sur terre, y trouvera-t-il encore la foi ?

Tu t’étonnes que Dieu aussi obstinément coure ce ris­que. Qu’il n’ait pas l’air de tirer les leçons d’une histoire déjà longue… Tu t’étonnes, mais non sans tremblement Car ce drame ne se déroule pas en dehors de toi, c’est dans ta propre vie qu’il s’accomplit aussi et que tu en éprouves l’enjeu et les péripéties.

Jusqu’où le Seigneur peut-il te cacher sa Face sans que tu quittes toi aussi le Sinaï, Jéru­salem, l’Église, la foi ? Quelles sont tes réserves de fidé­lité ? Combien d’huile as-tu emporté avec ta lampe pour l’interminable nuit où le Seigneur se fait attendre ?

Au commencement d’une telle nuit, tu es comme tous ceux qui aiment et sont aimés lorsqu’ils se trouvent séparés de leur partenaire. Ils frémissent d’un désir plus violent. Ils découvrent à quel point ils sont attachés à l’autre et ne peuvent vivre sans lui. Ils ne cessent de lui écrire, de lui parler, en se riant des épaisseurs de l’absence.

Mais il suffit qu’avec un brin de mélancolie et un vague geste de la main j’ajoute ceci : « Des jours, des saisons passèrent… » pour que, sans autre discours/ tout homme qui a vécu sache douloureusement, honteusement, ce que je veux dire.

Dans ses carnets intimes, Maurice Blondel notait ceci : « Ce qu’on aimait, ce qu’on se promettait d’aimer, ce qu’on ai­mait à aimer pour toujours, on ne l’aime plus et on n’en souffre pas,

C’est une de nos grandes misères que cette inconstance d’ordinaire à peine sentie ; mais quand on la remarque, quand on y songe d’avance, il n’y a guère de plus amère mélancolie. Le cœur meurt donc ! La mort du cœur, la mort d’un amour à jamais donné, c’est odieux, et c’est nous. »

C’est odieux, et c’est toi ! Il ne reste plus qu’à protéger la flamme qui déjà vacille chez toi et à implorer dans la nuit : « Reviens, Seigneur, avant que l’oubli de toi comme un hiver n’ait transi mon âme. Dis une parole et mon esprit reprendra vie. Fais un signe de bonté pour ton servi­teur afin qu’il ne s’éloigne pas dans le vent amer de l’infidélité.

Tu es celui qui ne veut pas la perte du pécheur, ni que les lèvres qui te louent retournent au silence, ni que la vie qui témoigne de toi proclame l’échec de ton grand Nom. Tu es celui qui n’abandonne jamais aucun des tiens mais qui, pour nous conduire de rencontre en rencontre jusqu’à ta gloire, doit nous faire passer par les silences et les nuits.

Mais tu es celui qui ne se moque pas des hom­mes et tu connais leur fragilité ainsi que la limite de leur endurance. Oh ! que je vive devant ta Face et que ma vie te rende gloire ! Reviens, Seigneur ! Jusques à quand ? »

A.-M. Besnard Propos intempestifs sur la prière, Le Cerf, 1969, p. 117-118.

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