NOËL : LA JOIE DE L’ADORATION

LA JOIE DE L’ADORATION

Georges de la Tour - l'adoration des bergers
Georges de la Tour – l’adoration des bergers

Un Sauveur nous est né ! Un Fils nous est donné !

La joie de Marie et de Joseph ! Comme elle fut pure et dépouillée en cette nuit de Noël !

Pensons-y lorsque nous savons que Noël est fêté avec trop d’abondance. Ainsi nous irons rejoindre dans la pauvreté intérieure et dans le dépouillement, la joie véritable de Marie et de Joseph.

Pensons-y aussi lorsqu’au milieu des bruits du monde et des fêtes, notre cœur broyé de chagrin est dans le deuil et dans les larmes.

Alors nous saurons mieux être, envers et contre tout, souriants au milieu de nos frères afin de ne pas ternir leur joie. Mais sachons que nous aussi nous sommes sur le chemin de cette vraie et seule joie que Dieu a voulu garder intacte et pure pour entourer la naissance de l’Enfant.

Et quelle est donc cette vraie joie qui fut celle de Marie et celle de Joseph ? Ce fut la joie de l’adoration. En voyant l’Enfant, Marie et Joseph sont entrés en adoration.

Ils sont tombés à genoux, dans le grand silence de la nuit, dans le grand dépouillement de la crèche, dans le grand abandon à la volonté de Dieu.

Ils sont entrés en adoration, là où ils étaient : dans cette humble grotte de Bethléem. De même, Marie et Joseph continueront à adorer l’Enfant, dans leur maison de Nazareth.

Ils sont le modèle des maisons d’adoration ; ils sont le modèle de toute famille chrétienne qui ne peut vivre qu’en accueillant Jésus en sa maison et en vivant de Sa présence.

L’adoration commence à la maison ; là où l’on vit ; là où l’on s’aime.

Ainsi, il faut des « églises domestiques » pour que vive l’Église du Christ ; il faut des âmes-églises pour construire les églises domestiques.

Âme-église, c’est-à-dire âme qui accueille la Présence vivante de Jésus en elle, exactement comme Marie l’a accueillie.

Âme qui vive de cette Présence vivante là où elle est, dans sa maison.

La joie de l’adoration, Marie et Joseph ne l’ont pas gardée pour eux. Ils l’ont ouverte aux autres.

La grotte de Bethléem n’avait pas de porte. Elle était ouverte à tous sans exception ; c’est ainsi que les plus pauvres ont pu venir tout de suite, parce qu’ils étaient les plus proches. Sans le savoir, leur dépouillement les avaient amenés tout près du lieu de la Nativité. Et là, ils ont été avertis, par la joie du Ciel.

La joie du Ciel était si grande en cette nuit de Noël qu’elle s’est déversée sur la terre, de façon perceptible. Les bergers ont entendu le chant des anges. Ce chant était un chant de gloire !

Gloire à Dieu !

N’oublions jamais de contempler la gloire ! La gloire de Dieu ! Même au milieu des nuits les plus obscures et les plus froides ; même dans les grottes les plus dépouillées !

Lorsqu’un événement joyeux se passe sur la terre ; lorsque Jésus-Enfant vient habiter dans une maison, fut-elle une très pauvre grotte, et lorsque dans l’adoration, des âmes en prière l’aiment et le contemplent, alors tout le Ciel se réjouit et chante.

Ainsi, sans cesse, le Ciel se penche vers la terre, particulièrement au cours de nos prières familiales, de nos liturgies et de nos messes, et les anges du ciel chantent gloire à Dieu, nous invitant à lancer ce même cri de joie !

Les pauvres bergers ont entendu chanter la gloire de Dieu et, attirés par un appel mystérieux, ils se sont dirigés vers la grotte.

« Je te bénis, ô Père, de ce que tu as révélé ces choses aux petits et aux humbles. »

Alors les petits et les humbles se présentent à l’entrée de la grotte. Mais là, ils hésitent un instant. Ils n’ont pas pensé à leur pauvreté, ni à leur misère. Mais apercevant l’Enfant immaculé, posé dans la crèche, ils voient clairement cette pauvreté qui est la leur. Ils sont indignes. Ils ne peuvent pas avancer plus près. Pourtant, comme ils désirent entrer !

Et voilà que dans leur confusion, ils se tournent vers Marie qui se tient debout, au seuil de la grotte. Elle s’est approchée là, sans bruit, pour les accueillir, comme une parfaite maîtresse de maison et, bien plus, comme une mère qui attend ses enfants. Elle tend la main, prend la leur et les attire avec douceur au pied de la crèche, devant l’Enfant. Elle les regarde en souriant.

Il y a une si grande tendresse dans son geste d’accueil, que les bergers ne pensent plus à leur pauvreté. Leur confusion s’en est allée, car Marie s’en est chargée. Et auprès d’elle, comme rassurés et protégés, ils ne voient plus que l’Enfant. Alors, tombant à genoux, ils l’adorent.

Ils entrent en adoration. Plus rien d’autre ne compte que l’Enfant immaculé, et leur âme s’est envolée auprès de lui, en lui, pour l’adorer, le contempler jusqu’à disparaître en lui, n’être plus qu’un en lui, être uni à lui.

L’union de l’âme avec Jésus vivant ! Telle est la fin, la destinée de toute âme. Et cette union-là n’est pas réservée à la vie du ciel ; elle nous est proposée dès ici-bas, durant notre vie terrestre. Et c’est de cette façon-là que, déjà, nous connaissons le Royaume ; nous avons part dès cette terre, au règne de Dieu.

Ainsi, Marie nous montre que la prière est accueil : de Dieu et des autres.

La prière ne nous enferme pas ; elle est ouverture : ouverture à Dieu, ouverture aux autres.

Marie a contemplé debout au pied de la crèche, comme plus tard debout au pied de la Croix. Dans son adoration, elle ne se retirait pas du monde : elle y faisait face. Elle était toute tournée vers les enfants des hommes, prête à les accueillir, pour les amener à l’Homme-Dieu.

Prions Marie, afin d’être dans l’adoration, sans cesse prêts à partir en visitation.

Prière-adoration et prière-visitation intimement liées. C’est le grand enseignement de cette nuit de la Nativité. C’est le modèle proposé aux âmes d’adoration vivant dans le monde que le Seigneur rassemble, pour consacrer le monde.

PRIÈRE : Je suis proche de vous

Marie-Benoîte Angot

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

Messe de la Nuit de Noël – le Dieu de l’incarnation choisit la petitesse

Messe de la Nuit de Noël:
le Dieu de l’incarnation choisit la petitesse

Dans son homélie, le Pape a rappelé combien Jésus n’est pas un Dieu de la performance ni du pouvoir illimité, mais qui s’immerge dans nos limites et fragilités. «Notre cœur, ce soir, est à Bethléem, où le Prince de la paix est encore rejeté par la logique perdante de la guerre, avec le fracas des armes qui, aujourd’hui encore, l’empêche de trouver une place dans le monde».

 

MESSE DE LA NUIT

SOLENNITÉ DU NOËL DU SEIGNEUR

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS

Basilique vaticane
dimanche 24 décembre 2023

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«Le recensement de toute la terre» (Lc 2,1). C’est le contexte dans lequel Jésus est né et sur lequel se concentre l’Évangile. Il aurait pu en parler rapidement, mais il en parle avec précaution.

Et avec cela il fait ressortir un grand contraste : tandis que l’empereur compte les habitants du monde, Dieu entre presque secrètement ; tandis que les responsables tentent de s’élever parmi les grands de l’histoire, le Roi de l’histoire choisit la voie de la petitesse. Aucun des puissants ne le remarque, seulement quelques bergers, relégués en marge de la vie sociale.

Mais le recensement en dit plus. Il n’a pas laissé un bon souvenir dans la Bible. Le roi David, cédant à la tentation du grand nombre et à une prétention malsaine à l’autosuffisance, avait commis un grave péché en procédant à un recensement de la population. Il voulait connaître la force et après environ neuf mois il eut le nombre de ceux qui pouvaient manier l’épée (voir 2 Sam 24,1-9).

Le Seigneur s’est indigné et un malheur a frappé le peuple. Mais cette nuit-là, le « Fils de David », Jésus, après neuf mois dans le sein de Marie, naît à Bethléem, la ville de David, et ne punit pas le recensement, mais se laisse humblement compter. Un parmi tant d’autres.

Nous ne voyons pas un Dieu colérique qui punit, mais le Dieu miséricordieux qui s’incarne, qui entre faiblement dans le monde, précédé de l’annonce : « sur la terre, paix entre les hommes » (Lc 2, 14). Et notre cœur ce soir est à Bethléem, où le Prince de la Paix est encore rejeté par la logique perdante de la guerre, avec le rugissement des armes qui l’empêche encore aujourd’hui de trouver une maison dans le monde (voir Luc 2, 7).

Bref, le recensement de la terre entière manifeste d’une part la trame trop humaine qui traverse l’histoire : celle d’un monde en quête de pouvoir et de puissance, de renommée et de gloire, où tout se mesure aux succès et aux résultats, avec les chiffres. et avec les chiffres. C’est l’obsession de la performance.

Mais en même temps, le chemin de Jésus se démarque dans le recensement, qui vient nous chercher à travers l’incarnation. Il n’est pas le dieu de la performance, mais le Dieu de l’incarnation. Il ne renverse pas les injustices d’en haut par la force, mais d’en bas avec amour ; elle n’éclate pas avec une puissance illimitée, mais descend dans nos limites ; il n’évite pas nos fragilités, mais les assume.

Frères et sœurs, ce soir nous pouvons nous demander : en quel Dieu croyons-nous ? Dans le Dieu de l’incarnation ou dans celui de la performance ? Oui, car il y a le risque de vivre Noël avec une idée païenne de Dieu dans la tête, comme s’il était un puissant maître au ciel ; un dieu qui allie pouvoir, réussite mondaine et idolâtrie du consumérisme.

La fausse image d’un dieu détaché et susceptible, qui se comporte bien avec les bons et se met en colère contre les méchants, revient toujours ; d’un dieu fait à notre image, utile uniquement pour résoudre nos problèmes et éloigner nos maux.

Il n’utilise cependant pas de baguette magique, il n’est pas le dieu commercial du « tout à la fois » ; il ne nous sauve pas en appuyant sur un bouton, mais il est sur le point de changer la réalité de l’intérieur.

Pourtant, combien profondément enracinée en nous est l’idée mondaine d’un Dieu distant et contrôlant, rigide et puissant, qui aide ses disciples à l’emporter sur les autres ! Bien souvent, cette image est ancrée en nous. Mais ce n’est pas le cas : Il est né pour tous, lors du recensement de la terre entière.

Regardons donc le « Dieu vivant et vrai » (1 Thess 1,9) : vers Lui, qui dépasse tout calcul humain et se laisse cependant enregistrer par nos comptes ; à Celui qui révolutionne l’histoire en y vivant ; à Lui, qui nous respecte au point de nous permettre de le rejeter ; à Lui, qui efface le péché en en assumant la responsabilité, qui n’enlève pas la douleur mais la transforme, qui n’enlève pas les problèmes de nos vies, mais donne à nos vies une espérance plus grande que les problèmes.

Il veut tellement embrasser nos existences que, infini, il devient fini pour nous ; grand, devient petit ; c’est vrai, vit nos injustices. Frères et sœurs, voici la merveille de Noël : non pas un mélange d’affections sucrées et de conforts mondains, mais la tendresse sans précédent de Dieu qui sauve le monde en s’incarnant.

On regarde l’Enfant, on regarde sa crèche, on regarde la crèche, que les anges appellent « le signe » (Lc 2,12) : c’est en fait le signe révélateur du visage de Dieu, qui est compassion. et miséricorde, toute-puissante toujours et seulement dans l’Amour. Il devient proche, il devient proche, tendre et compatissant, c’est la manière d’être de Dieu : proximité, compassion, tendresse.

​*

Sœurs, frères, soyons étonnés car « il s’est fait chair » (voir Jean 1, 14). Chair : un mot qui rappelle notre fragilité et que l’Évangile utilise pour nous dire que Dieu est entré profondément dans notre condition humaine. Pourquoi est-il allé aussi loin ? – nous nous demandons –. Parce qu’il se soucie de tout de nous, parce qu’il nous aime au point de nous considérer comme plus précieux que toute autre chose.

Frère, sœur, par Dieu qui a changé l’histoire lors du recensement, tu n’es pas un numéro, mais tu es un visage ; ton nom est écrit dans son cœur. Mais vous, en regardant votre cœur, les performances qui ne sont pas à la hauteur, le monde qui juge et ne pardonne pas, peut-être vivez-vous mal ce Noël, pensant que vous ne faites pas bien, nourrissant un sentiment d’insuffisance et insatisfaction pour vos fragilités, pour vos chutes et vos problèmes et pour vos péchés.

Mais aujourd’hui, s’il vous plaît, laissez l’initiative à Jésus, qui vous dit : « Pour vous je me suis fait chair, pour vous je suis devenu semblable à vous ». Pourquoi restes-tu dans la prison de ta tristesse ? Comme les bergers qui ont abandonné leurs troupeaux, quittez l’enclos de votre mélancolie et embrassez la tendresse du Dieu enfant.

Et faites-le sans masques, sans armure, jetez-lui vos soucis et il prendra soin de vous (voir Ps 55, 23) : Lui, devenu chair, n’attend pas vos performances réussies, mais votre cœur ouvert et votre confident. Et en Lui tu redécouvriras qui tu es : un fils bien-aimé de Dieu, une fille aimée de Dieu.

Maintenant tu peux le croire, car ce soir le Seigneur est venu à la lumière pour illuminer ta vie et ses yeux brillent d’amour pour toi. Nous avons du mal à croire que les yeux de Dieu brillent d’amour pour nous. Oui, le Christ ne regarde pas les chiffres, mais les visages. Mais qui se tourne vers Lui, parmi les nombreuses choses et les courses folles d’un monde toujours occupé et indifférent ? Qui le regarde ?

A Bethléem, tandis que de nombreuses personnes, captivées par le frisson du recensement, allaient et venaient, remplissant les logements et les auberges en parlant de choses et d’autres, certains étaient proches de Jésus : c’étaient Marie et Joseph, les bergers, puis les mages. Apprenons d’eux. Ils se tiennent le regard fixé sur Jésus, le cœur tourné vers Lui, ils ne parlent pas, mais ils adorent.

Ce soir, frères et sœurs, c’est le temps de l’adoration : d’adorer. L’adoration est le moyen d’accueillir l’incarnation. Parce que c’est dans le silence que Jésus, Parole du Père, s’incarne dans nos vies. Nous aussi, nous faisons comme à Bethléem, qui signifie « maison du pain » : nous nous tenons devant Lui, le Pain de vie. Redécouvrons l’adoration, car adorer, ce n’est pas perdre du temps, mais laisser Dieu habiter notre temps.

C’est faire fleurir en nous la semence de l’incarnation, c’est collaborer à l’œuvre du Seigneur, qui comme le levain change le monde. Adorer, c’est intercéder, réparer, permettre à Dieu de redresser l’histoire.

Un grand narrateur d’épopées écrivait à son fils : « Je t’offre la seule grande chose à aimer sur terre : le Saint-Sacrement. Vous y trouverez le charme, la gloire, l’honneur, la loyauté et le véritable chemin de tous vos amours sur terre » (J.R.R. Tolkien, Lettre 43, mars 1941).

Frères et sœurs, ce soir, l’amour change l’histoire. Croyons, Seigneur, à la puissance de ton amour, si différente de la puissance du monde. Seigneur, comme Marie, Joseph, les bergers et les sages, rassemblons-nous autour de toi pour t’adorer. Rendu par Toi plus semblable à Toi, nous pourrons témoigner au monde de la beauté de ton visage.


Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana

Texte traduit et présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

LA NATIVITÉ

LA NATIVITÉ

« Elle enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une mangeoire parce que dans l’hôtellerie il n’y avait pas de place pour eux. »

La crèche de Grecchio
La crèche de Grecchio, lieu de la première crèche avec saint François d’Assise

Les mots de saint Luc évoquent avec toute leur simplicité cette scène si familière de tous les Noëls de toutes les crèches du monde. Mais essayons d’en dépouiller le pittoresque pour en voir toute la réalité !

« Il n’y avait pas de place pour eux !… » Ainsi donc, ô Marie, dans ce soir où vous arriviez à Bethléem, poussée par l’ordre du recensement comme tous les autres — les mamans en attente n’avaient pas un régime de faveur, — vous et saint Joseph vous avez frappé à bien des portes. Ce n’était pas plein partout puisque saint Luc ne dit pas « il n’y avait pas de place »… mais « pas de place pour vous » !

Nous savons bien la différence d’accueil entre les voyageurs de la belle conduite intérieure — entrez quand même, on trouvera bien une petite place, — et les pauvres gens avec leur baluchon hâtivement noué, devant lesquels les portes ne s’ouvraient guère !… Vous avez connu cela. D’autres ont pu entrer, et vous, vous avez traîné votre fatigue, et, sentant bien que votre heure était proche, vous vous demandiez où allait naître le fils qu’un messager céleste vous avait promis.

Était-ce la peine qu’un ange descende du ciel pour annoncer sa venue si c’était pour le faire naître comme le fils d’une pauvresse, de ces clochards qui n’ont que l’abri d’un pont !… Mais vous, ô Marie, vous ne pensiez pas ainsi. Vous alliez le coeur en paix, car vous sentiez au-dessus de vous cette main paternelle de Dieu qui n’abandonne pas !

Naissance de Jésus
Naissance de Jésus

Marie, vous avez sûrement pensé au petit berceau que Joseph le charpentier avait dû façonner avec amour de ses propres mains et sur lequel vous avez jeté un dernier regard quand vous avez fermé la maison de Nazareth, au moment de vous mettre en route.

Il y avait les couvertures de laine et toutes ces petites choses avec lesquelles les mamans trompent les longs mois de l’attente — petits bonnets de dentelle posés sur le poing et qui font tressaillir de bonheur longtemps à l’avance ! — Vous aussi vous aviez tout préparé, et voilà que tout est inutile.

Vous n’avez pu emporter que quelques langes pour l’envelopper le plus chaudement possible… et il n’y avait rien dans cette crèche en plein vent… ni eau, ni feu, rien de ce qui est nécessaire quand un enfant vient au monde, fût-il un Dieu, puisqu’il a voulu tout connaître de la dure condition humaine !

Et lui qui avait une maison pourtant comme tous les autres, modeste, mais si accueillante, c’est comme le plus dénué de tout qu’il veut faire son entrée dans ce monde

Mais cette pauvreté réelle, la Vierge, en cette nuit même, a su quel trésor elle pouvait apporter : elle fut de ces choses « qu’elle repassait dans son cœur » et avec quelle douceur ! Cette nuit-là, l’Église ne la compte pas au nombre des heures douloureuses de la Vierge, mais de ses heures de joie. « Mystère joyeux », ce n’est pas encore ce soir que Siméon prophétise ce glaive de douleur qui doit percer le cœur de la Mère !…

Vous n’avez rien, ô Marie, le froid, la paille, le vent, le dénuement… mais vous serrez contre vous cet adorable Enfant-Dieu, et votre joue contre sa joue dans la tendresse et l’adoration, les yeux clos, vous écoutez dans le ravissement les anges chanter autour de vous… mais pas aussi suavement que votre cœur… parce que vous êtes la plus comblée des créatures, parce que Dieu est là pour vous emplir de ses richesses !

LE SENS DES VRAIES RICHESSES

Vierge Marie, faites que je regarde sans cesse vers vous, comme en ce moment où, méditant ce mystère, une telle douceur pénètre en moi rien qu’à vous regarder si paisible et si rayonnante au sein de votre abandon !…

Maintenant tout me semble clair parce que vous êtes là, mais c’est tout à l’heure qu’il me faudra emporter cette dure et émouvante et féconde conviction du bienfait de la pauvreté, tout à l’heure, quand je ferai la vaisselle ou frotterai mon parquet, que je repriserai une robe bien usée et que je compterai au fond de ma bourse ces billets qui ne « valent rien » mais procurent encore tant de choses à ceux qui en ont !

Jamais plus qu’aujourd’hui la pauvreté ne m’est apparue avec un visage si pénible. Il manque tant et tant de choses, des plus humbles jusqu’aux plus précieuses — oh ! la maison des réfugiés ! oh ! le foyer disparu, — et jamais plus qu’aujourd’hui l’argent n’a semblé le meilleur moyen de se mettre à l’abri !

Vous qui avez compris, faites que je comprenne ce « Bienheureux les pauvres » que Jésus prêche déjà tout petit entre vos bras. Comment faut-il que je dédaigne ces biens qui me semblent pourtant si réels… comment faut-il, si je les ai, que je m’en passe… Oh ! contradiction de cet Évangile qui renverse toutes nos fausses sagesses et nous donne à aimer tant de choses que la pauvre nature rejette…

C’est que les biens que je crois posséder, ce sont souvent eux qui me possèdent, et si je n’y prends garde ils m’enserreront et m’étoufferont comme le lierre — revêtement somptueux — finit par étouffer l’arbre qu’il entoure ! C’est que ces biens risquent de servir d’écran aux vrais biens spirituels et rabaisser vers la terre des yeux qui sont faits pour regarder le ciel !

C’est que ces biens risquent de me faire oublier ma vraie situation de voyageur en route vers son éternité, libre de marcher en chantant, sans retourner sans cesse la tête en arrière, et que je peux devenir le propriétaire farouchement attaché à son bien et qui ne pourra jamais plus prendre de beaux départs.

Certes, mon Dieu, vous avez donné à l’homme des biens qu’il ne doit pas mépriser… ce coin de terre avec cette maison au toit rouge, ce bouquet d’arbres qui tremble au vent et évoque tant de souvenirs… tant et tant de choses précieuses qui semblent prolonger notre personnalité et l’enrichir !… mais comme vite ces biens-là, si on n’y prend pas garde, deviennent des tentacules qui nous étouffent.

Cette terrible passion de la possession — du gros compte en banque au petit livret de caisse d’épargne — dont on ne sait plus qui est le possesseur et le possédé, et qui nous masque le merveilleux visage de la création, de nos frères et de Dieu.

« Donne tout ce que tu as, conseille Jésus au jeune homme riche qui désirait la perfection, et suis-moi » ; mais celui-là s’en alla tristement parce qu’il n’avait pas le courage de renoncer à ses biens. Il préfère garder son luxe, ses beaux vêtements, sa maison de campagne… mais du coup il renonce à la joie… « Il devint triste », dit deux fois l’Évangile.

Cette joie de la pauvreté, je n’ai pas encore su la découvrir. Dans mes privations d’aujourd’hui je ne vois pas luire le rayon de soleil des béatitudes. Je me perds à supputer mes maigres ressources, je soupire devant mon pauvre feu, je veille jalousement sur mes petites provisions et je chemine lourdement sans jouir des promesses de l’Évangile. « Bienheureux les pauvres ! »

C’est que j’ai la pauvreté sans en avoir l’esprit. Manquer de tout n’est pas une vertu : il y aurait aujourd’hui trop de gens vertueux dans le monde.

Même sans rien posséder, mon cœur n’est pas libre des biens, s’il passe son temps à soupirer après eux, si en mangeant mon pain, an lieu de remercier Dieu qui me le donne, je louche du côté de ceux qui ont la chance de pouvoir mettre du beurre dessus !

Ces biens dont je suis privée me ligotent aussi bien que si je les avais. Et tout pauvre que je suis, je porte dans mon cœur ce riche que Dieu condamne, celui qui passera plus difficilement par la porte du paradis que par le trou de l’aiguille.

Si être pauvre en esprit, c’est aller tout droit vers Dieu, dans l’allégresse et la légèreté, comment pourrai-je le faire, puisque sans cesse mes yeux, au lieu de regarder vers Dieu, regardent vers Mammon ; comment pourrai-je être légère, moi qui suis lourde de toutes mes envies, et comment mon cœur aurait-il la joie lorsqu’il vit dans l’amertume de ses convoitises ?

Vierge Marie ! Vierge Marie ! obtenez-moi de comprendre et de n’être pas comme le jeune homme qui s’en retourna triste… Obtenez-moi de me libérer de ce poids qui m’attache à la terre. Si je suis riche, que ma richesse ne me retienne pas, et si je suis pauvre, que ce désir de richesse ne me soit pas du même poids !

« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » Je veux mettre mon cœur au-dessus de ces biens matériels, si périssables, si vite arrachés. Je veux avoir pour trésor l’amour de mes frères et l’amour de Dieu et y trouver la vraie joie que rien ne pourra me prendre, « trésor à l’abri de la rouille et des voleurs ». Cette joie de saint François d’Assise qui, ayant épousé Dame Pauvreté, s’en allait par les routes, vêtu de bure et si heureux qu’il était obligé de chanter pour soulager son cœur !

Dieu ne me demande pas de tout quitter effectivement. Je suis prise dans ma vie temporelle et je dois bien m’occuper de subvenir à mes besoins, mais sans me préoccuper de ce qui peut me manquer. Je sais que Dieu nourrit les passereaux qui pourtant ne valent que « deux as ». Ils cherchent leur vie, mais sans s’arrêter de chanter, et c’est bien ainsi que je dois faire !

Ce que j’ai aujourd’hui, mon Dieu, je vous en remercie. J’en userai non pas pour moi seule, mais aussi pour mes frères. J’aurais déjà cette première joie, celle de donner,… un morceau de pain, si je n’ai que cela à partager ! La joie d’un visage me sera plus précieuse qu’un bijou à mon doigt.

Du bonheur dans ma maison, de la santé pour un gosse, ce sera plus beau à contempler qu’une œuvre d’art dont j’aurais la jouissance solitaire. Ce secours à cette pauvre femme ne m’apportera-t-il pas plus de vrai bonheur que tout le luxe tape-à-l’œil qui fait si peu d’amis et tant de jaloux… Oh ! ces « pauvres » riches qui ont tant de choses et ne connaissent pas les plus précieuses joies de la vie ?

Vous n’avez rien, Vierge Marie, dans cette étable, mais vous avez Jésus entre vos bras ; n’est-ce pas la plus émouvante des leçons !… Si mon cœur est rempli de la convoitise des biens terrestres, où Dieu trouvera-t-il sa place ? « Dès que nous serons vides de nous-mêmes, Dieu nous remplira de Lui », dit saint Vincent de Paul. C’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre la grande parole du Christ. « Celui qui ne se renonce pas ne peut pas être mon disciple. »

Notre cœur est si petit, si étroit, comment l’Infini y trouverait-Il sa place, si nous le transformons par surcroît en un bric-à-brac ! Il faut ne tenir à rien pour découvrir le sens des vrais biens. C’est Dieu seul qui est la vraie richesse, et la vie aujourd’hui, en nous arrachant tant de choses, doit nous aider à ce dépouillement intérieur, à ne pas faire passer l’accessoire pour l’essentiel !

Que de réfugiés dont tous les biens tenaient à l’aise dans une valise, m’ont dit avoir découvert enfin la joie des libérations intimes qui permet la possession des vraies richesses.

Vierge Marie, faites que chaque méditation de ce mystère fasse pénétrer davantage en moi le sens de cette « pauvreté en esprit » qui me libérera de toute attache et me donnera le goût de Dieu qui est la seule richesse.

Faites que je ne dénature pas le visage de la Pauvreté qui est vraiment le reflet de son visage… que je ne sois pas de ceux qui thésaurisent, même des indulgences quand ce n’est plus des sous… tellement il leur est difficile de tout abandonner !

Faites que le peu que j’ai ne me colle pas aux doigts et que je m’en aille ainsi au milieu du monde qui agonise dans la convoitise des uns et le rassasiement triste des autres, montrant le visage joyeux d’un de vos enfants qui n’a peur de rien, car « ceux qui cherchent le Seigneur ne seront privés d’aucun bien » (Psaume 33).

Paula Hoesl

Voir les étincelles de Noël
(Voir aussi de Félix KLEIN, en PDF : La Naissance de Jésus)

NATIVITÉ DE JÉSUS (YouTube)

site officiel en France