VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS AU CANADA
(24 – 30 JUILLET 2022)
RENCONTRE AVEC JEUNES ET PERSONNES ÂGÉES
DISCOURS DU SAINT PÈRE
Parvis de l’école primaire à Iqaluit
vendredi 29 juillet 2022
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Chers frères et sœurs, bonsoir !
Je salue cordialement la gouverneure générale et vous tous, heureux de vous rencontrer. Je vous remercie pour vos paroles, ainsi que pour les chants, les danses et la musique, que j’ai tant appréciés !
Il y a peu, j’écoutais plusieurs d’entre vous, anciens élèves des pensionnats : merci pour ce que vous avez eu le courage de dire, partageant une grande souffrance, que je n’aurais pas imaginée.
Cela réveilla en moi l’indignation et la honte qui m’accompagnaient depuis des mois. Aujourd’hui encore, ici aussi, je voudrais vous dire que je suis très attristé et que je souhaite demander pardon pour le mal commis par de nombreux catholiques dans les écoles qui ont contribué aux politiques d’assimilation et de libération culturelles. Mamianak [je suis désolé].
Je me suis souvenu du témoignage d’un aîné, qui a décrit la beauté du climat qui régnait dans les familles autochtones avant l’avènement du système des pensionnats. Il a comparé cette saison, où grands-parents, parents et enfants se côtoient harmonieusement, au printemps, où les petits oiseaux chantent joyeusement autour de leur mère. Mais soudain – dit-il – le chant s’est arrêté : les familles ont été éclatées, les petits enlevés, loin de leur environnement ; l’hiver est tombé sur tout.
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De tels propos, tout en causant de la douleur, suscitent aussi le scandale ; encore plus si nous les comparons à la Parole de Dieu, qui a commandé : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne » (Ex 20, 12). Cette possibilité n’existait pas pour beaucoup de vos familles, elle a disparu lorsque les enfants ont été séparés de leurs parents et que leur pays a été perçu comme dangereux et étranger.
Ces assimilations forcées évoquent une autre page biblique, l’histoire du juste Naboth (cf. 1 Rois, 21), qui ne voulut pas donner la vigne héritée de ses pères à ceux qui, en gouvernant, voulurent user de tous les moyens pour arracher cela de lui.
Et ces paroles fortes de Jésus viennent aussi à l’esprit contre ceux qui scandalisent les petits et ne méprisent qu’un seul d’entre eux (cf. Mt 18, 6.10). Qu’elle est mauvaise à rompre les liens entre parents et enfants, à blesser les affections les plus chères, à blesser et à scandaliser les plus petits !
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Chers amis, nous sommes ici avec la volonté de voyager ensemble dans un voyage de guérison et de réconciliation qui, avec l’aide du Créateur, nous aidera à faire la lumière sur ce qui s’est passé et à surmonter le sombre passé. En parlant de vaincre les ténèbres, même maintenant, comme lors de notre réunion de fin mars, vous avez allumé le qulliq.
Elle, en plus de donner de la lumière pendant les longues nuits d’hiver, permettait, en diffusant la chaleur, de résister à la rigueur du climat : elle était donc indispensable pour vivre. Aujourd’hui encore, il reste un beau symbole de vie, d’une vie lumineuse qui ne s’abandonne pas à l’obscurité de la nuit. Ainsi es-tu, témoignage éternel d’une vie qui ne s’éteint jamais, d’une lumière qui brille et que personne n’a pu étouffer.
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Je suis rempli de gratitude pour l’opportunité d’être ici au Nunavut, dans l’Inuit Nunangat. J’ai essayé d’imaginer, après notre rencontre à Rome, ces vastes lieux que vous habitez depuis des temps immémoriaux et qui pour d’autres seraient hostiles.
Vous avez su les aimer, les respecter, les chérir et les valoriser, en leur transmettant des valeurs fondamentales de génération en génération, telles que le respect des personnes âgées, un véritable sens de la fraternité et le souci de l’environnement. Il existe une belle et harmonieuse correspondance entre vous et la terre que vous habitez, car elle aussi est forte et résistante, et répond avec tant de lumière à l’obscurité qui l’enveloppe pendant la majeure partie de l’année.
Mais même cette terre, comme chaque personne et chaque population, est délicate et doit être entretenue. Prendre soin, transmettre : les jeunes y sont particulièrement appelés, soutenus par l’exemple des personnes âgées ! Prendre soin de la terre, prendre soin des gens, prendre soin de l’histoire.
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Je voudrais donc m’adresser à vous, jeunes Inuits, avenir de cette terre et présent de son histoire. Je voudrais vous dire, en citant un grand poète : « Ce que vous avez hérité de vos pères, reconquérez-le si vous voulez vraiment le posséder » (J.W. von Goethe, Faust, I, Nacht). Il ne suffit pas de vivre de revenus, il faut récupérer ce qui a été reçu en cadeau.
N’ayez donc pas peur d’écouter et d’écouter les conseils des personnes âgées, d’embrasser votre histoire pour écrire de nouvelles pages, de vous passionner, de prendre position devant les faits et les gens, de vous impliquer ! Et pour t’aider à faire briller la lampe de ton existence, je voudrais aussi te donner trois conseils de grand frère.
La première : marcher vers le haut. Vous habitez ces vastes régions du nord. Puissent-ils vous rappeler votre vocation à tendre vers le haut, sans vous laisser entraîner vers le bas par ceux qui veulent vous faire croire qu’il vaut mieux ne penser qu’à vous et utiliser le temps dont vous disposez uniquement pour vos loisirs et vos intérêts.
Ami, tu n’es pas fait pour te débrouiller, pour passer les journées à concilier devoirs et plaisirs, tu es fait pour t’élancer vers les plus vrais et les plus beaux désirs que tu portes dans ton cœur, vers Dieu à aimer et ton prochain à servir. Ne pensez pas que les grands rêves de la vie sont des cieux inaccessibles.
Vous êtes fait pour prendre votre envol, pour embrasser le courage de la vérité et promouvoir la beauté de la justice, pour « élever votre tempérament moral, être compatissant, servir les autres et construire des relations » (cf. Inunnguiniq Iq Principes 3-4), pour semer la paix et prends soin d’où tu es; pour enflammer l’enthousiasme de ceux qui vivent à côté de vous; aller plus loin, pas tout niveler.
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Mais – me direz-vous peut-être – vivre comme ça est plus difficile que de voler. Bien sûr, ce n’est pas facile, car cette « gravité spirituelle » qui pousse à nous entraîner vers le bas, à paralyser les désirs, à affaiblir la joie est toujours aux aguets.
Alors, pensez à l’hirondelle arctique que nous appelons « charrán » : elle ne laisse pas les vents contraires ou les brusques changements de température l’empêcher d’aller d’un bout à l’autre de la terre ; il choisit parfois des chemins qui ne sont pas directs, accepte des détours, s’adapte à certains vents… mais garde toujours le but clair, va toujours vers la destination.
Vous rencontrerez des personnes qui tenteront de réinitialiser vos rêves, qui vous diront de vous contenter de peu, de ne vous battre que pour ce qui vous convient. Ensuite, vous vous demanderez : Pourquoi dois-je faire tout mon possible pour ce en quoi les autres ne croient pas ?
Et encore : comment puis-je décoller dans un monde qui semble descendre de plus en plus bas au milieu des scandales, des guerres, des tricheries, de l’absence de justice, de la destruction de l’environnement, de l’indifférence envers les plus faibles, des déceptions de la part de ceux qui devraient donner le ‘ Exemple? Face à ces questions, quelle est la réponse ?
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Je voudrais te dire, jeune homme, à toi, frère, jeune sœur : tu es la réponse. Toi, frère, toi, soeur. Non seulement parce que si vous abandonnez, vous avez déjà perdu depuis le début, mais parce que l’avenir est entre vos mains. La communauté qui vous a généré, l’environnement dans lequel vous vivez, l’espoir de vos pairs, de ceux qui, même sans vous le demander, attendent de vous le bien original et irremplaçable que vous pouvez entrer dans l’histoire, sont entre vos mains, car » chacun de nous est unique » (voir Principe 5).
Le monde dans lequel vous vivez est la richesse dont vous avez hérité : aimez-le, comme celui qui vous a donné la plus grande vie et les plus grandes joies vous a aimé, comme Dieu vous aime, qui a créé pour vous ce qui est beau et ne cesse de vous faire confiance même pour un très bref instant. Il croit aux talents qu’il vous a donnés.
Chaque fois que vous le chercherez, vous comprendrez comment le chemin qui vous appelle à voyager tend toujours vers le haut. Vous le sentirez lorsque vous regarderez le ciel en priant et surtout lorsque vous regarderez le Crucifix. Vous comprendrez que Jésus de la croix ne vous pointe jamais du doigt, mais vous embrasse et vous encourage, car il croit en vous même lorsque vous avez cessé de croire en vous.
Alors ne perdez jamais espoir, battez-vous, donnez tout et vous ne le regretterez pas. Avancez sur votre chemin, « pas à pas vers le meilleur » (cf. Principe 6). Réglez le navigateur de votre existence vers un grand but, vers le haut !
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Le deuxième conseil : venez à la lumière. Dans les moments de tristesse et de désespoir, pensez au qulliq : il contient un message pour vous. Quel est? Que tu existes pour te révéler chaque jour. Pas seulement le jour de ta naissance, quand ça ne dépendait pas de toi, mais chaque jour.
Chaque jour vous êtes appelés à apporter une nouvelle lumière au monde, celle de vos yeux, de votre sourire, du bien que vous et vous seul pouvez y ajouter. Personne d’autre ne peut le faire. Mais, pour venir à la lumière, il faut lutter chaque jour avec les ténèbres.
Oui, il y a un affrontement quotidien entre la lumière et les ténèbres, qui ne se produit pas quelque part là-bas, mais à l’intérieur de chacun de nous. La voie de la lumière demande des choix de cœur courageux face aux ténèbres des mensonges, elle nous demande de « développer de bonnes habitudes pour bien vivre » (voir Principe 1), de ne pas chasser des traînées lumineuses qui disparaissent rapidement, des feux d’artifice qui ne laissent que de la fumée.
Ce sont des « illusions, des parodies de bonheur », comme disait saint Jean-Paul II ici au Canada : « Il n’y a peut-être pas de ténèbres plus profondes que celles qui s’insinuent dans l’âme des jeunes quand de faux prophètes éteignent en eux la lumière de la foi, de l’espérance , l’amour » (Homélie pour la XVIIe Journée mondiale de la Jeunesse, Toronto, 28 juillet 2002).
Frère, sœur, Jésus est proche de vous et souhaite éclairer votre cœur pour vous faire venir à la lumière. Il a dit : « Je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12), mais il a aussi dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14). Par conséquent, vous aussi vous êtes la lumière du monde et vous le deviendrez de plus en plus, si vous vous battez pour ôter de votre cœur les tristes ténèbres du mal.
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Pour apprendre à le faire, il existe un art continu d’apprendre, qui nécessite « de surmonter les difficultés et les contradictions par une recherche continue de solutions » (voir Principe 2). C’est l’art de séparer chaque jour la lumière des ténèbres. Pour créer un monde bon, dit la Bible, Dieu a commencé ainsi, séparant la lumière des ténèbres (cf. Gn 1, 4).
Nous aussi, si nous voulons devenir meilleurs, nous devons apprendre à distinguer la lumière des ténèbres. Où allons-nous commencer? Vous pouvez commencer par vous demander : qu’est-ce qui m’apparaît brillant et séduisant, mais qui me laisse ensuite un grand vide ? C’est l’obscurité ! Qu’est-ce qui, en revanche, est bon pour moi et me laisse la paix dans mon cœur, même s’il me demande d’abord de sortir de certains conforts et de dominer certains instincts ? C’est léger !
Et – je me demande encore – quelle est la force qui nous permet de séparer la lumière des ténèbres en nous, qui nous fait dire « non » aux tentations du mal et « oui » aux opportunités du bien ? C’est la liberté. La liberté qui ne consiste pas à faire tout ce que je veux et aime ; ce n’est pas ce que je peux faire malgré les autres, mais pour les autres ; ce n’est pas une volonté totale, mais une responsabilité. La liberté est le plus grand cadeau que notre Père céleste nous ait fait avec la vie.
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Enfin, le troisième conseil : faites équipe. Les jeunes font de grandes choses ensemble, pas seuls. Parce que vous, les jeunes, vous êtes comme les étoiles dans le ciel, qui brillent ici d’une manière merveilleuse : leur beauté vient de l’ensemble, des constellations qu’elles composent, et qui éclairent et orientent les nuits du monde. Toi aussi, appelés vers les hauteurs du ciel et à briller sur la terre, tu es fait pour briller ensemble.
Il faut permettre aux jeunes de se regrouper, de rester en mouvement : ils ne peuvent pas passer leurs journées isolés, pris en otage par un téléphone ! La grande glace de ces terres me rappelle le sport national du Canada, le hockey sur glace. Comment le Canada parvient-il à obtenir toutes ces médailles olympiques?
Comment Sarah Nurse ou Marie-Philip Poulin ont-elles marqué tous ces buts? Le hockey combine bien discipline et créativité, tactique et physique; mais l’esprit d’équipe fait toujours la différence, condition sine qua non pour faire face à des circonstances de jeu imprévisibles.
Être une équipe, c’est croire que pour atteindre de grands objectifs, vous ne pouvez pas continuer seul ; il faut bouger ensemble, avoir la patience de tisser des réseaux denses de passages. C’est aussi laisser de la place aux autres, sortir rapidement quand c’est votre tour et encourager vos coéquipiers. Voici l’esprit d’équipe !
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Amis, marchez vers le haut, venez à la lumière tous les jours, faites équipe ! Et faites tout cela dans votre propre culture, dans la belle langue inuktitut. Je vous souhaite, en écoutant les aînés et en puisant dans la richesse de vos traditions et de votre liberté, d’embrasser l’Évangile conservé et transmis par vos ancêtres et de rencontrer le visage Inuk de Jésus-Christ. Je te bénis du fond du cœur et je te dis : qujannamiik ! [Merci!]
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texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse