Comme Jésus le Berger de nos vies

Comme Jésus le Berger de nos vies

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS AU CANADA
(24 – 30 JUILLET 2022)

VÊPRES AVEC LES ÉVÊQUES, LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES CONSACRÉS,  LES SÉMINARISTES ET LES AGENTS PASTORAUX

 HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Cathédrale Notre-Dame de Québec
Jeudi 28 juillet 2022

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Chers frères Évêques, chers prêtres et diacres, consacrées, consacrés et séminaristes, agents pastoraux, bonsoir !

Je remercie Mgr Poisson pour ses paroles de bienvenue à mon égard, et je vous salue tous, en particulier ceux qui ont dû parcourir un long chemin pour venir ici : les distances dans votre pays sont vraiment grandes ! Merci ! Je suis heureux de vous rencontrer.

Il est significatif que nous nous trouvions dans la Basilique Notre-Dame de Québec, la cathédrale de cette Église particulière et le siège primatial du Canada, dont le premier évêque, Saint François de Laval, a ouvert le Séminaire en 1663 et s’est dédié tout au long de son ministère à la formation des prêtres.

La brève lecture que nous avons entendue nous a parlé des « anciens », c’est-à-dire des presbytres. Saint Pierre nous a exhortés : « soyez les pasteurs du troupeau de Dieu qui se trouve chez vous ; veillez sur lui, non par contrainte mais de plein gré » (1 P 5, 2).

Alors que nous sommes réunis ici en tant que Peuple de Dieu, rappelons-nous que c’est Jésus le Berger de nos vies, qui prend soin de nous parce qu’il nous aime vraiment. Il nous est demandé, à nous les pasteurs de l’Église, cette même générosité dans la conduite du troupeau, afin que se manifeste la sollicitude de Jésus pour tous et sa compassion pour les blessures de chacun.

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Et c’est précisément parce que nous sommes un signe du Christ que l’apôtre Pierre nous exhorte : paissez le troupeau, guidez-le, ne le laissez pas s’égarer pendant que vous vaquez à vos occupations. Prenez soin de lui avec dévouement et tendresse.

Et – ajoute-t-il – faites-le « de plein gré », sans contraintes : pas comme un devoir, pas comme des religieux salariés ou des fonctionnaires du sacré, mais avec un cœur de pasteurs, avec enthousiasme. Si nous nous tournons vers Lui, le Bon Pasteur, avant nous-mêmes, nous découvrons qu’il s’occupe tendrement de nous, nous ressentons la proximité de Dieu.

C’est de là que vient la joie du ministère, et avant cela, la joie de la foi : non pas en voyant ce que nous sommes capables de faire, mais en sachant que Dieu est proche, qu’il nous a aimés en premier et qu’il nous accompagne chaque jour.

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C’est cela, frères et sœurs, notre joie : pas une joie bon marché, comme celle que le monde nous propose parfois, en nous faisant miroiter des feux d’artifice ; cette joie n’est pas liée aux richesses et aux sécurités ; elle n’est non plus liée à la persuasion que tout se passera toujours bien dans la vie pour nous, sans croix ni problèmes.

Au contraire, la joie chrétienne est unie à une expérience de paix qui demeure dans nos cœurs même lorsque nous sommes assaillis par les épreuves et les afflictions, parce que nous savons que nous ne sommes pas seuls mais accompagnés par un Dieu qui n’est pas indifférent à notre sort. Comme lorsque la mer est agitée : en surface, elle est houleuse, mais dans les profondeurs, elle reste calme et paisible.

C’est la joie chrétienne : un don gratuit, la certitude de se savoir aimé, soutenu et embrassé par le Christ dans toutes les situations de la vie. Car c’est Lui qui nous libère de l’égoïsme et du péché, de la tristesse de la solitude, du vide intérieur et de la peur, en nous donnant un nouveau regard sur la vie, un nouveau regard sur l’histoire : « Avec Jésus-Christ, la joie naît et renaît toujours » (Evangelii gaudium, n. 1).

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Nous pouvons donc nous demander : comment se porte notre joie ? Comment se porte ma joie ? Notre Église exprime-t-elle la joie de l’Évangile ? Y-a-t-il dans nos communautés une foi qui attire en raison de la joie qu’elle communique ?

Si l’on veut s’attaquer à ces questions à la racine, on ne peut s’empêcher de réfléchir à ce qui, dans la réalité de notre temps, menace la joie de la foi et risque de l’obscurcir, mettant sérieusement en crise l’expérience chrétienne. On pense alors immédiatement à la sécularisation, qui a depuis longtemps transformé le mode de vie des femmes et des hommes d’aujourd’hui, laissant Dieu presque au second plan.

Il semble avoir disparu de l’horizon, sa Parole ne semble plus être une boussole d’orientation pour la vie, pour les choix fondamentaux, pour les relations humaines et sociales.

devons toutefois apporter immédiatement une précision : lorsque nous observons la culture dans laquelle nous sommes immergés, ses langages et ses symboles, nous devons veiller à ne pas rester prisonniers du pessimisme et de l’amertume, en nous laissant aller à des jugements négatifs ou à des nostalgies inutiles.

Il existe en fait deux regards possibles sur le monde dans lequel nous vivons : l’un que j’appellerais le « regard négatif », l’autre le « regard de discernement ».

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Le premier, le regard négatif, naît souvent d’une foi qui, se sentant attaquée, se voit comme une sorte d’ »armure » pour se défendre du monde. Elle accuse amèrement la réalité en disant : « le monde est mauvais, le péché règne », et court ainsi le risque de se revêtir d’un « esprit de croisade ».

Soyons attentifs à cela, car ce n’est pas chrétien ; ce n’est pas non plus la voie de Dieu, qui – nous rappelle l’Évangile – « a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3, 16). Le Seigneur, qui déteste la mondanité, a un regard bon sur le monde.

Il bénit notre vie, il dit du bien de nous et de notre réalité, il s’incarne dans les situations de l’histoire non pas pour condamner, mais pour faire germer la graine du Royaume précisément là où les ténèbres semblent triompher. Au contraire, si nous nous arrêtons à un regard négatif, nous finirons par nier l’incarnation, car nous fuirons la réalité au lieu de nous y incarner.

Nous nous refermerons sur nous-mêmes, nous pleurerons sur nos pertes, nous nous plaindrons constamment et nous tomberons dans la tristesse et le pessimisme : tristesse et pessimisme qui ne viennent jamais de Dieu. Au contraire, nous sommes appelés à avoir un regard semblable à celui de Dieu, qui sait discerner le bien et s’obstine à le chercher, à le voir et à le cultiver. Il ne s’agit pas d’un regard naïf, mais d’un regard qui discerne la réalité.

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Pour affiner notre discernement sur le monde sécularisé, inspirons-nous de ce qu’a écrit saint Paul VI dans Evangelii nuntiandi, une Exhortation apostolique encore aujourd’hui pleinement actuelle : pour lui, la sécularisation est « l’effort en lui-même juste et légitime, nullement incompatible avec la foi ou la religion » (Exhort. ap. Evangelii nuntiandi, n. 55), pour découvrir les lois de la réalité et de la vie humaine établies par le Créateur.

En effet, Dieu ne veut pas que nous soyons des esclaves, mais des enfants, il ne veut pas décider à notre place, ni nous opprimer avec un pouvoir sacré dans un monde régi par des lois religieuses. Non, Il nous a créés libres et nous demande d’être des personnes adultes, des personnes responsables dans la vie et dans la société.

Une autre chose – distinguait saint Paul VI – est le sécularisme, une conception de la vie qui sépare totalement du lien avec le Créateur, de sorte que Dieu devient « superflu et encombrant » et que naissent des « formes nouvelles d’athéisme », sournoises et variées : « une civilisation de consommation, l’hédonisme érigé en valeur suprême, une volonté de puissance et de domination, des discriminations de toute sorte » (ibid.).

Ici, en tant qu’Église, surtout en tant que pasteurs du Peuple de Dieu, en tant que pasteurs, en tant que consacrées et consacrés, en tant que séminaristes et en tant qu’agents pastoraux, il nous revient d’être capables de faire ces distinctions, de discerner.

Si nous cédons à un regard négatif et jugeons de manière superficielle, nous risquons d’envoyer un message trompeur, comme si derrière la critique de la sécularisation se cachait la nostalgie d’un monde sacralisé, d’une société d’autrefois où l’Église et ses ministres avaient plus de pouvoir et d’importance sociale. Et c’est un point de vue erroné.

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Au contraire, comme le fait remarquer un grand spécialiste de ces questions, le problème de la sécularisation, pour nous chrétiens, ne devrait pas être la diminution de l’importance sociale de l’Église ou la perte de richesses matérielles et de privilèges ; il nous demande plutôt de réfléchir aux changements dans la société qui ont influencé la façon dont les gens pensent et organisent la vie.

Si nous nous attardons sur ce point, nous nous rendons compte que ce n’est pas la foi qui est en crise, mais certaines formes et manières par lesquelles nous la proclamons. Et donc, la sécularisation est un défi pour notre imagination pastorale, c’est « une opportunité pour la recomposition de la vie spirituelle en de nouvelles formes et de nouvelles façons d’exister » (C. TAYLOR, A Secular Age, Cambridge 2007, p. 437).

Ainsi, le regard qui discerne, tout en nous faisant voir les difficultés que nous avons à transmettre la joie de la foi, nous stimule en même temps à retrouver une nouvelle passion pour l’évangélisation, à chercher de nouveaux langages, à changer certaines priorités pastorales et à aller à l’essentiel.

*

Chers frères et sœurs, il est nécessaire de proclamer l’Évangile pour donner aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui la joie de la foi. Mais cette annonce ne se fait pas d’abord par des mots, mais par un témoignage débordant d’amour gratuit, comme Dieu le fait avec nous.

C’est une annonce qui demande à être incarnée dans un style de vie personnel et ecclésial capable de raviver le désir du Seigneur, d’insuffler l’espérance, de transmettre la confiance et la crédibilité. Et à ce propos, je me permets, dans un esprit fraternel, de vous proposer trois défis, que vous pourrez poursuivre dans la prière et le service pastoral.

Le premier défi : faire connaître Jésus. Dans les déserts spirituels de notre temps, générés par le sécularisme et l’indifférence, il est nécessaire de revenir à la première annonce. Je le répète : il est nécessaire de revenir à la première annonce.

Nous ne pouvons pas prétendre communiquer la joie de la foi en présentant des aspects secondaires à ceux qui n’ont pas encore accueilli le Seigneur dans leur vie, ou en répétant seulement certaines pratiques ou en reproduisant des formes pastorales du passé. Il faut trouver de nouvelles voies pour annoncer le cœur de l’Évangile à ceux qui n’ont pas encore rencontré le Christ.

Et cela suppose une créativité pastorale pour rejoindre les gens là où ils vivent, en n’attendant pas qu’ils viennent : là où ils vivent, en trouvant des occasions d’écoute, de dialogue et de rencontre. Il faut revenir au caractère essentiel, à l’enthousiasme des Actes des Apôtres, à la beauté de nous sentir aujourd’hui des instruments de la fécondité de l’Esprit.

Il faut retourner en Galilée. C’est le rendez-vous avec Jésus ressuscité : qu’ils aillent en Galilée pour – permettez-moi l’expression – recommencer après l’échec. Revenir en Galilée. Chacun de nous a sa propre « Galilée », celle de la première annonce. Récupérer cette mémoire.

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Mais pour annoncer l’Évangile, il faut aussi être crédibles. Et voici le second défi : le témoignage. L’Évangile est annoncé de manière efficace lorsque c’est la vie qui parle, lorsqu’elle révèle cette liberté qui libère les autres, cette compassion qui ne demande rien en retour, cette miséricorde qui, sans paroles, parle du Christ.

L’Église au Canada a commencé un nouveau parcours, après avoir été blessée et choquée par le mal perpétré par certains de ses enfants. Je pense en particulier aux abus sexuels commis contre des mineurs et personnes vulnérables, des scandales qui appellent des actions fortes et un combat irréversible. Je voudrais, avec vous, demander à nouveau pardon à toutes les victimes.

La douleur et la honte que nous ressentons doivent devenir une occasion de conversion : plus jamais ça ! Et, en pensant au parcours de guérison et de réconciliation avec nos frères et sœurs autochtones, que la communauté chrétienne ne se laisse plus jamais contaminer par l’idée qu’il existe une supériorité d’une culture par rapport à une autre et qu’il soit légitime d’utiliser des moyens de coercition contre les autres.

Retrouvons l’ardeur missionnaire de votre premier évêque, saint François de Laval, qui fulminait contre tous ceux qui exploitaient les autochtones en les incitant à consommer des boissons pour les arnaquer.

Ne permettons à aucune idéologie d’aliéner et de confondre les styles et les modes de vie de nos peuples pour tenter de les soumettre et de les dominer. Que les nouveaux progrès de l’humanité soient assimilables dans leurs identités culturelles avec les clés de la culture.

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Mais pour vaincre cette culture de l’exclusion, il faut commencer par nous : les pasteurs, qu’ils ne se sentent pas supérieurs à leurs frères et sœurs du Peuple de Dieu ; que les personnes consacrées vivent la fraternité et la liberté de l’obéissance dans la communauté ; que les séminaristes soient prêts à être des serviteurs dociles et disponibles, et que les agents pastoraux ne comprennent pas leur service comme un pouvoir.

Cela commence ici. Vous êtes les protagonistes et les bâtisseurs d’une Église différente : humble, douce, miséricordieuse, une Église qui accompagne les processus, qui travaille avec détermination et sérénité à l’inculturation, qui valorise chacun et chaque diversité culturelle et religieuse. Offrons ce témoignage !

Enfin, le troisième défi : la fraternité. Le premier, faire connaître Jésus ; le second, le témoignage ; le troisième, la fraternité. L’Église sera un témoin crédible de l’Évangile dans la mesure où ses membres vivront la communion, en créant des occasions et des espaces pour que quiconque s’approche de la foi trouve une communauté accueillante, qui sait écouter, qui sait dialoguer, qui favorise une bonne qualité des relations.

Votre saint évêque disait ainsi aux missionnaires : « Souvent, une parole amère, une impatience, un visage de rejet détruiront en un instant ce qui a été construit en beaucoup de temps » (Instructions aux missionnaires, 1668).

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Il s’agit de vivre une communauté chrétienne qui devient ainsi une école d’humanité, où l’on apprend à s’aimer comme frères et sœurs, prêts à travailler ensemble pour le bien commun. Au cœur de l’annonce évangélique, en effet, se trouve l’amour de Dieu qui transforme et nous rend capables de communier avec tous et de servir tous.

Un théologien de cette terre a écrit : « L’amour que Dieu nous accorde déborde d’amour… C’est un amour qui pousse le bon Samaritain à s’arrêter et à prendre soin du voyageur agressé par des voleurs. C’est un amour qui n’a pas de frontières, qui cherche le royaume de Dieu… et ce royaume est universel » (B. LONERGAN, « The Future of Christianity », in A Second Collection : Papers by Bernard F.J. Lonergan S.J., London 1974, p. 154).

L’Église est appelée à incarner cet amour sans frontières, à construire le rêve que Dieu a pour l’humanité : être tous frères. Demandons-nous : comment va la fraternité entre nous ? Les évêques entre eux et avec les prêtres, les prêtres entre eux et avec le peuple de Dieu : sommes-nous des frères ou des concurrents divisés en partis ?

Et comment sont nos relations avec ceux qui ne sont pas « des nôtres », avec ceux qui ne croient pas, avec ceux qui ont des traditions et des coutumes différentes ? Voilà le chemin : promouvoir des relations fraternelles avec tous, avec nos frères et sœurs autochtones, avec chaque sœur et frère que nous rencontrons, parce que dans le visage de chacun se reflète la présence de Dieu.

*

Chers frères et sœurs, ce ne sont là que quelques défis. N’oublions pas que nous ne pouvons seulement les relever qu’avec la puissance de l’Esprit, que nous devons toujours invoquer dans la prière. Par contre, ne laissons pas entrer en nous l’esprit de sécularisme, en pensant que nous pouvons créer des projets qui fonctionnent seuls et avec les forces humaines uniquement, sans Dieu.

C’est une idolâtrie, l’idolâtrie des projets sans Dieu. Et, je vous le recommande vivement, ne nous enfermons pas dans le « retour en arrière » mais allons de l’avant, avec joie !

Mettons en pratique ces paroles que nous adressons à saint François de Laval :

Tu as été l’homme du partage, visitant les malades,
habillant les pauvres, luttant pour la dignité des peuples autochtones,
soutenant les missionnaires épuisés,
toujours prêt à tendre la main à ceux qui étaient plus mal en point que toi.
Combien de fois tes projets ont été anéantis !
Chaque fois, tu les as remis sur pied.
Tu avais compris que l’œuvre de Dieu n’est pas de pierre,
et qu’en cette terre de découragement,
il fallait un bâtisseur d’espérance.

Je vous remercie pour tout ce que vous faites, je vous bénis du fond du cœur. Et s’il vous plaît, continuez à prier pour moi.


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Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

notre cheminement personnel et celui de l’Église

notre cheminement personnel et celui de l’Église :
de l’échec à l’espérance

Ce matin, le Saint-Père François s’est rendu au Sanctuaire national de Sainte-Anne-de-Beaupré. Il a présidé la célébration eucharistique pour la réconciliation et prononcé l’homélie que nous publions ci-dessous :

VOYAGE APOSTOLIQUE DE SA SAINTETÉ LE PAPE FRANÇOIS AU CANADA
(24 – 30 JUILLET 2022)

SAINTE MESSE POUR LA RÉCONCILIATION

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Sanctuaire national de Sainte Anne de Beaupré
jeudi 28 juillet 2022

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Le cheminement des disciples d’Emmaüs, à la conclusion de l’Évangile de saint Luc, est une image de notre cheminement personnel et de celui de l’Église. Sur le chemin de la vie, et de la vie de foi, en poursuivant les rêves, les projets, les attentes et les espoirs qui habitent notre cœur, nous nous heurtons aussi à nos fragilités et nos faiblesses, nous vivons des défaites et des déceptions, et parfois nous restons prisonniers  d’un sentiment d’échec qui nous paralyse.

L’Évangile nous annonce qu’à ce moment précis, nous ne sommes pas seuls : le Seigneur vient à notre rencontre, se tient à nos côtés, marche sur notre même chemin avec la discrétion d’un doux voyageur qui veut nous rouvrir les yeux et faire sien notre cœur. Et quand l’échec laisse place à la rencontre avec le Seigneur, la vie renaît avec l’espérance et nous pouvons être réconciliés : avec nous-mêmes, avec nos frères et avec Dieu.

Suivons alors l’itinéraire de ce voyage que l’on pourrait intituler : de l’échec à l’espérance.

Il y a d’abord le sentiment d’échec qui habite le cœur de ces deux disciples après la mort de Jésus, qui avaient poursuivi un rêve avec enthousiasme. En Jésus, ils avaient placé tous leurs espoirs et leurs désirs. Maintenant, après la mort scandaleuse sur la croix, ils tournent le dos à Jérusalem pour retourner chez eux à leur ancienne vie.

C’est un voyage de retour, comme pour vouloir oublier cette expérience qui a rempli leur cœur d’amertume, que le Messie a mis à mort comme un criminel sur la croix. Ils rentrent chez eux découragés, « le visage triste » (Lc 24, 17) : les attentes qu’ils avaient cultivées se sont évanouies, les espoirs auxquels ils avaient cru sont brisés, les rêves qu’ils auraient voulu réaliser laissent place à la déception et l’amertume.

C’est une expérience qui concerne aussi notre vie et le cheminement spirituel lui-même, à toutes ces occasions où nous sommes obligés de redimensionner nos attentes et de faire face aux ambiguïtés de la réalité, aux obscurités de la vie, à nos faiblesses.

Cela nous arrive à chaque fois que nos idéaux se heurtent aux déceptions de l’existence et que nos intentions sont ignorées à cause de nos fragilités ; quand nous cultivons des projets de bien mais n’avons pas ensuite la capacité de les réaliser (cf. Rm 7, 18) ; quand dans les activités que nous menons ou dans nos relations, tôt ou tard, nous subissons une défaite, une erreur, un échec, une chute, alors que nous voyons l’effondrement de ce que nous avions cru ou engagé, alors que nous nous sentons écrasés par notre péché et la culpabilité.

Et c’est ce qui est arrivé à Adam et Eve, comme nous l’avons entendu dans la première lecture : leur péché non seulement les a éloignés de Dieu, mais les a éloignés l’un de l’autre : ils ne réussissent qu’à s’accuser. Et on le voit aussi chez les disciples d’Emmaüs, dont le malaise d’avoir vu le plan de Jésus s’effondrer ne laisse place qu’à une discussion stérile.

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Et cela peut aussi se produire dans la vie de l’Église, la communauté des disciples du Seigneur que représentent les deux d’Emmaüs. Bien qu’elle soit la communauté du Ressuscité, elle peut se retrouver errante perdue et déçue face au scandale du mal et à la violence du Calvaire. Il ne peut alors rien faire d’autre que garder le sentiment d’échec entre ses mains et se demander : que s’est-il passé ? Pourquoi est-ce arrivé? Comment cela a-t-il pu arriver ?

Frères et sœurs, telles sont les questions que chacun de nous se pose ; et ce sont aussi les questions brûlantes que cette Église pèlerine au Canada fait résonner dans son cœur au cours d’un difficile cheminement de guérison et de réconciliation. Nous aussi, face au scandale du mal et au Corps du Christ blessé dans la chair de nos frères indigènes, sommes tombés dans l’amertume et ressentons le poids de l’échec.

Permettez-moi donc de rejoindre spirituellement les nombreux pèlerins qui empruntent ici le « saint escalier », qui évoque cette montée de Jésus au prétoire de Pilate, et de vous accompagner en tant qu’Église dans ces questions qui surgissent du cœur plein de douleur : pourquoi tout ça arrive? Comment cela s’est-il passé dans la communauté de ceux qui suivent Jésus ?

Ici, cependant, il faut se méfier de la tentation de fuir, présente chez les deux disciples de l’Évangile : fuir, faire marche arrière, s’évader du lieu où se sont déroulés les événements, essayer de les éloigner, chercher un « place » comme Emmaüs tout en les oubliant. Il n’y a rien de pire, face aux échecs de la vie, que de fuir pour ne pas les affronter.

C’est une tentation de l’ennemi qui menace notre chemin spirituel et le chemin de l’Église : il veut nous faire croire que cet échec est désormais définitif, il veut nous paralyser dans l’amertume et la tristesse, nous convaincre qu’il n’y a plus rien à être fait et que cela ne vaut donc pas la peine de trouver un moyen de recommencer.

L’Évangile nous révèle cependant que précisément dans les situations de déception et de douleur, précisément lorsque nous éprouvons la violence du mal et la honte de la culpabilité dans l’étonnement, lorsque le fleuve de notre vie se tarit dans le péché et l’échec, lorsque nous sommes dépouillés de tout, il semble n’avoir plus rien, là le Seigneur vient à notre rencontre et marche avec nous.

Sur le chemin d’Emmaüs, il vient accompagner avec discrétion et partager les pas résignés de ces tristes disciples. Et qu’est-ce que ça fait? Il n’offre pas de paroles génériques d’encouragement, d’expressions de circonstance ou de consolations faciles mais, en révélant le mystère de sa mort et de sa résurrection dans les Saintes Écritures, il éclaire leur histoire et les événements qu’ils ont vécus.

Ainsi il leur ouvre les yeux sur un nouveau regard sur les choses. Nous aussi, qui partageons l’Eucharistie dans cette Basilique, nous pouvons relire de nombreux événements de l’histoire.

Sur ce même terrain il y avait auparavant trois temples ; et il y avait ceux qui ne fuyaient pas devant les difficultés, ils se remettaient à rêver malgré leurs propres erreurs et celles des autres ; ils ne se sont pas laissés vaincre par l’incendie dévastateur d’il y a cent ans et, avec courage et créativité, ils ont construit ce temple.

Et ceux qui partagent l’Eucharistie depuis les Plaines d’Abraham voisines, peuvent aussi percevoir l’âme de ceux qui ne se sont pas laissés prendre en otage par la haine de la guerre, de la destruction et de la douleur, mais ont su repenser une ville et un pays .

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Enfin, devant les disciples d’Emmaüs, Jésus rompt le pain, leur rouvre les yeux et se montre à nouveau comme le Dieu d’amour qui offre sa vie pour ses amis. De cette façon, il les aide à reprendre leur chemin avec joie, à recommencer, à passer de l’échec à l’espoir.

Frères et sœurs, le Seigneur veut aussi faire de même avec chacun de nous et avec son Église. Comment nos yeux peuvent-ils se rouvrir, comment le cœur peut-il encore brûler en nous pour l’Évangile ?

Que faire alors que nous sommes affligés par diverses épreuves spirituelles et matérielles, alors que nous cherchons le chemin d’une société plus juste et fraternelle, que nous souhaitons nous remettre de nos déceptions et de nos lassitudes, que nous espérons panser les blessures du passé et être réconciliés avec Dieu et les uns avec les autres ? Il n’y a qu’un seul chemin, un seul chemin : c’est le chemin de Jésus, c’est le chemin qui est Jésus (cf. Jn 14, 6).

Nous croyons que Jésus se joint à notre chemin, laissons-nous rencontrer par lui; laissons sa Parole interpréter l’histoire que nous vivons en tant qu’individus et en tant que communauté et nous montrer le chemin pour nous guérir et nous réconcilier ; rompons ensemble le Pain eucharistique avec foi, afin qu’autour de cette table nous puissions nous redécouvrir comme des enfants bien-aimés du Père, appelés à être tous frères.

En rompant le pain, Jésus confirme ce que les disciples ont déjà reçu comme témoignage des femmes et auquel ils ne voulaient pas croire : qu’il est ressuscité !

Dans cette Basilique, où l’on se souvient de la mère de la Vierge Marie, et où se trouve également la crypte dédiée à l’Immaculée Conception, on ne peut que souligner le rôle que Dieu a voulu donner aux femmes dans son dessein de salut.

Sainte Anne, la Très Sainte Vierge Marie, les femmes du matin de Pâques nous montrent une nouvelle voie de réconciliation : la tendresse maternelle de tant de femmes peut nous accompagner – en tant qu’Église – vers des temps nouveaux et féconds, où nous pouvons laisser tant tant de stérilité et tant de mort, et remettre Jésus, le Crucifix Ressuscité au centre.

En effet, au centre de nos interrogations, des efforts que nous portons en nous, de la vie pastorale elle-même, nous ne pouvons nous mettre nous-mêmes et notre échec ; nous devons placer le Seigneur Jésus.

Au cœur de tout, nous mettons sa Parole, qui illumine les événements et nous rend les yeux pour voir la présence active de l’amour de Dieu et la possibilité du bien même dans des situations apparemment perdues; mettons le Pain de l’Eucharistie, que Jésus rompt encore pour nous aujourd’hui, pour partager sa vie avec la nôtre, embrasser nos faiblesses, soutenir nos pas fatigués et nous donner la guérison du cœur.

Et, réconciliés avec Dieu, avec les autres et avec nous-mêmes, nous pouvons nous aussi devenir des instruments de réconciliation et de paix dans la société dans laquelle nous vivons.

Seigneur Jésus, notre chemin, notre force et notre consolation, nous nous tournons vers toi comme les disciples d’Emmaüs : « Reste avec nous, Seigneur, car c’est le soir » (Lc 24,29). Reste avec nous, Seigneur, quand l’espoir s’installe et que la nuit de la déception s’assombrit.

Reste avec nous car avec Toi, Jésus, le sens du chemin change de vitesse et des impasses de la méfiance renaît l’émerveillement de la joie. Reste avec nous, Seigneur, car avec Toi la nuit de la douleur se change en matin radieux de la vie. Nous disons simplement : reste avec nous, Seigneur, car si tu marches à nos côtés, l’échec ouvre sur l’espoir d’une nouvelle vie. Amen.


Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana

Texte traduit et présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

PÈLERINAGE DU LAC SAINTE ANNE

VOYAGE APOSTOLIQUE DE SA SAINTETÉ FRANÇOIS AU CANADA
(24 – 30 JUILLET 2022)

PARTICIPATION AU « PÈLERINAGE DU LAC SAINTE ANNE »
ET À LA LITURGIE DE LA PAROLE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Lac Sainte Anne
Mardi 26 juillet 2022

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Chers frères et sœurs, âba-wash-did ! Tansi ! Oki ! [bonjour !]

C’est une joie pour moi de me retrouver ici pèlerin avec vous et au milieu de vous. En ces jours, aujourd’hui particulièrement, j’ai été touché par le son des tambours qui m’ont accompagné partout où je suis allé. Ce battement des tambours semblait faire écho du battement de tant de cœurs : les cœurs qui, depuis des siècles, ont vibré au bord de ces eaux ; les cœurs de tant de pèlerins qui ont battu ensemble au rythme des pas pour rejoindre ce « lac de Dieu » !

Ici, il est vraiment possible de saisir le battement choral d’un peuple pèlerin, des générations qui se sont mises en chemin vers le Seigneur pour faire l’expérience de son œuvre de guérison. Combien de cœurs sont arrivés ici, anxieux et essoufflés, appesantis par les fardeaux de la vie, et ont trouvé près de ces eaux la consolation et la force pour aller de l’avant !

Ici aussi, immergé dans la création, se fait entendre un autre battement, le battement maternel de la terre. Et comme le battement des bébés, depuis le sein maternel, est en harmonie avec celui des mères, ainsi pour grandir en tant qu’êtres humains, nous avons besoin d’ajuster les rythmes de la vie avec ceux de la création qui donne la vie.

Retournons ainsi aujourd’hui à nos sources de vie : à Dieu, aux parents et, en ce jour et dans la maison de sainte Anne, aux grands-parents, que je salue très chaleureusement.

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Portés par ces battements vitaux, nous sommes ici maintenant, en silence, nous contemplons les eaux de ce lac. Cela nous aide à retourner aussi aux sources de la foi. Il nous permet en effet de pérégriner par l’imagination jusqu’aux lieux saints : d’imaginer Jésus, qui a accompli une grande partie de son ministère sur les rives d’un lac, le Lac de Galilée.

Là, il a choisi et appelé les Apôtres, il a proclamé les Béatitudes, il a raconté la plus grande partie de ses paraboles, il a accompli des signes et des guérisons. À cette époque, ce lac était le cœur de la « Galilée des nations » (Mt 4, 15), une zone périphérique, de commerce, où affluaient de nombreuses populations, colorant la région de traditions et de cultes disparates.

Il s’agissait du lieu le plus éloigné, géographiquement et culturellement, de la pureté religieuse, concentrée à Jérusalem, au temple. Nous pouvons donc imaginer ce lac, appelé mer de Galilée, comme un condensé de différences : sur ses rives se rencontraient pêcheurs et publicains, centurions et esclaves, pharisiens et pauvres, hommes et femmes issus de milieux et de conditions sociaux les plus divers.

Là précisément, précisément là, Jésus a prêché le Règne de Dieu : non pas à des personnes religieuses sélectionnées, mais à des populations diverses qui affluaient de partout comme aujourd’hui, il a prêché en accueillant tous dans un théâtre naturel comme celui-ci.

Dieu choisit ce contexte polyédrique et hétérogène pour annoncer au monde quelque chose de révolutionnaire : par exemple, “tendez l’autre joue, aimez les ennemis, vivez en frères pour être des enfants de Dieu, un Père qui faire resplendir le soleil sur les bons comme sur les méchants et qui fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes” (cf. Mt 5, 38-48).

Il en va de même pour ce lac, “métissé de diversités”, qui est devenu le siège d’une annonce de fraternité inédite ; d’une révolution sans morts ni blessés, la révolution de l’amour. Et ici, sur les rives de ce lac, le son des tambours qui traverse les siècles et unit des peuples divers, nous renvoie jusqu’à cette époque.

Il nous rappelle que la fraternité est véritable si elle unit ceux qui sont éloignés, que le message d’unité que le Ciel envoie sur la terre ne craint pas les différences et nous invite à la communion, à la communion des différences, pour repartir ensemble, parce que tous – tous ! – nous sommes des pèlerins en marche.

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Frères, sœurs, pèlerins de ces eaux, que pouvons-nous y puiser ? La Parole de Dieu nous aide à le découvrir. Le prophète Ézéchiel a répété à deux reprises que les eaux qui surgissent du temple, pour le peuple de Dieu, « donnent la vie » et « guérissent » (cf. Ez 47, 8-9).

Elles donnent la vie. Je pense aux grands-mères qui sont ici avec nous, si nombreuses ! Mes chères, vos cœurs sont les sources d’où a surgi l’eau vive de la foi, avec laquelle vous avez désaltéré enfants et petits-enfants. Je suis frappé par le rôle vital des femmes au sein des communautés autochtones : elles occupent une place prépondérante en tant que sources bénies de vie, non seulement physique, mais aussi spirituelle.

Et quand je pense à vos kokum, je repense aussi à ma grand-mère. J’ai reçu d’elle la première annonce de la foi et j’ai appris que l’Évangile se transmet ainsi, par la tendresse du soin et la sagesse de la vie. La foi naît rarement en lisant un livre, seul dans un salon, mais elle se répand dans un climat familier, elle se transmet dans la langue des mères, par le doux chant en dialecte des grands-mères.

Cela me réchauffe le cœur de voir ici tant de grands-parents et d’arrière-grands-parents. Merci ! Je vous remercie et voudrais dire à ceux qui ont des personnes âgées à la maison, en famille : vous avez un trésor ! Vous gardez entre vos murs une source de vie, s’il vous plaît, prenez-en soin, comme de l’héritage le plus précieux à aimer et à préserver.

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Le prophète disait que les eaux, en plus de donner la vie, guérissent. Cet aspect nous ramène sur les rives du lac de Galilée où Jésus « guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies » (Mc 1, 34). Là, « le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal » (v. 32).

Ce soir, imaginons-nous au bord du lac avec Jésus, alors qu’Il s’approche, se penche et avec patience, compassion et tendresse, guérit de nombreux malades de corps et d’esprit : des possédés, des lépreux, des paralytiques, des aveugles mais aussi des personnes accablées et découragées, perdues et blessées.

Jésus est venu et vient encore pour prendre soin de nous, pour consoler et guérir notre humanité délaissée et épuisée. À tous, et y compris à nous, il adresse le même appel : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, moi, je vous procurerai le repos » (Mt 11, 28). Ou, comme dans le passage que nous avons entendu ce soir : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive » (Jn 7, 37).

Frères, sœurs, nous avons tous besoin de la guérison de Jésus, médecin des âmes et des corps. Seigneur, tout comme les gens sur les rivages de la mer de Galilée n’avaient pas peur de crier vers toi leurs besoins, ainsi nous venons, Seigneur, ce soir vers toi avec la douleur intérieure que nous portons.

Nous t’apportons nos aridités et nos peines, nous t’apportons les traumatismes des violences subies par nos frères et sœurs autochtones. En ce lieu béni, où règnent l’harmonie et la paix, nous te présentons les disharmonies de notre histoire, les effets terribles de la colonisation, la douleur inextinguible de tant de familles, de grands-parents et d’enfants.

Seigneur, aide-nous à guérir de nos blessures. Nous savons que cela demande un effort, un soin et des faits concrets de notre part ; mais nous savons aussi, Seigneur, que tout seuls, nous ne pouvons rien faire. Nous nous confions à Toi et à l’intercession de ta mère et de ta grand-mère.

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Oui, Seigneur, nous nous confions à l’intercession de ta mère et de ta grand-mère, parce que les mères et les grands-mères aident à guérir les blessures du cœur. Pendant les tragédies de la conquête, ce fut Notre-Dame de Guadalupe qui transmit la foi droite aux autochtones, en parlant leur langue, en portant leurs vêtements, sans violences ni impositions.

Et peu après, avec l’arrivée de la presse, furent publiées les premières grammaires et les premiers catéchismes en langues autochtones. Comme les missionnaires authentiquement évangélisateurs ont bien fait en ce sens pour préserver dans de nombreuses parties du monde les langues et les cultures autochtones ! au Canada, cette « inculturation maternelle » est advenue ici par l’intermédiaire de sainte Anne, en unissant la beauté des traditions autochtones et de la foi, en les façonnant avec la sagesse d’une grand-mère, qui est mère par deux fois.

L’Église aussi est femme, l’Église est aussi mère. En effet, il n’y a jamais eu un seul moment de son histoire où la foi ne s’est transmise dans la langue maternelle, par les mères et par les grands-mères. Par contre, une partie de l’héritage douloureux que nous affrontons naît du fait d’avoir empêché aux grands-mères autochtones de transmettre la foi dans leur langue et dans leur culture.

Cette perte est certainement une tragédie, mais votre présence ici est un témoignage de patience et de nouveau départ, de pèlerinage vers la guérison, d’ouverture du cœur à Dieu qui guérit notre être communautaire.

Aujourd’hui nous tous, comme Église, nous avons besoin de guérison : nous avons besoin d’être guéris de la tentation de nous enfermer sur nous-mêmes, de choisir la défense de l’institution plutôt que la recherche de la vérité, de préférer le pouvoir mondain au service évangélique.

Chers frères et sœurs, aidons-nous à donner notre contribution pour édifier avec l’aide de Dieu une Église mère qui Lui plaise : capable d’embrasser chaque fils et chaque fille ; ouverte à tous et qui parle à chacun et à chacune ; qui ne va à l’encontre de personne, mais qui va à la rencontre de chacun.

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Les foules du lac de Galilée qui se pressaient autour de Jésus étaient constituées essentiellement de gens du commun, simples, qui Lui apportaient leurs besoins et leurs blessures. De même, si nous voulons guérir la vie de nos communautés, nous ne pouvons que partir des pauvres, des plus marginalisés.

Trop souvent, nous nous laissons guidés par les intérêts de la minorité pour qui tout va bien ; il faut regarder davantage vers les périphéries et se mettre à l’écoute du cri des derniers ; il est nécessaire de savoir écouter la douleur de ceux qui, souvent en silence, dans nos villes surpeuplées et dépersonnalisées, crient : « Ne nous laissez pas seuls ! »

C’est aussi le cri des personnes âgées qui risquent de mourir seules à la maison ou abandonnées dans une structure, ou des malades souffrants auxquels, plutôt que de l’affection, on administre la mort.

C’est le cri étouffé de jeunes garçons et de jeunes filles qui sont plus questionnés qu’écoutés, et qui délèguent leur liberté à un téléphone, pendant que dans les mêmes rues, d’autres jeunes de leur âge errent perdus, anesthésiés par certains divertissements, aux prises à des dépendances qui les rendent tristes et insatisfaits, incapables de croire en eux-mêmes, d’aimer ce qu’ils sont et la beauté de la vie dont ils jouissent.

Ne nous laissez pas seuls est le cri de ceux qui voudraient un monde meilleur, mais ne savent pas par où commencer.

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Jésus, qui nous guérit et nous console avec l’eau vive de son Esprit, ce soir dans l’Évangile, il nous demande que de nous aussi, du sein de ceux qui croient, « coulent des fleuves d’eau vive » (cf. v. 38). Et nous, savons-nous apaiser la soif des frères et des sœurs ? Alors que nous continuons à demander la consolation à Dieu, savons-nous aussi la donner aux autres ?

Combien de fois, nous nous libérons de tant de poids intérieurs, par exemple de ne pas nous sentir aimés et respectés, en commençant à aimer les autres gratuitement ! Dans nos solitudes et nos insatisfactions, Jésus nous pousse à sortir, il nous pousse à donner, il nous pousse à aimer. Et alors je me demande : qu’est-ce que moi je fais pour celui qui a besoin de moi ?

En regardant les peuples autochtones, en pensant à leurs histoires et à la douleur qu’ils ont subie, qu’est-ce que moi je fais pour eux les peuples autochtones ? Est-ce que j’écoute avec un peu de curiosité mondaine et me scandalise pour ce qui s’est produit dans le passé, ou est-ce que je fais quelque chose de concret pour eux ? Est-ce que je prie, je rencontre, je lis, je me documente et je me laisse toucher par leurs histoires ?

Et en me regardant, si je me trouve dans la souffrance, est-ce que j’écoute Jésus qui veut me porter hors de la clôture de mon intolérance et m’invite à repartir, à passer outre, à aimer ? Parfois, une bonne façon d’aider une autre personne consiste à ne pas lui donner tout de suite ce qu’elle demande, mais à l’accompagner, à l’inviter à aimer, à se faire don.

Parce que c’est de cette façon que, par le bien qu’elle pourra faire aux autres, elle découvrira ses fleuves d’eau vive, qu’elle découvrira le trésor unique et précieux qu’elle est.

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Cher frères et sœurs autochtones, je suis venu comme pèlerin également pour vous dire à quel point vous êtes précieux pour moi et pour l’Église. Je souhaite que l’Église soit tissée entre nous, comme sont serrés et unis les fils des bandes colorées des tissus que nombreux d’entre vous portent.

Que le Seigneur nous aide à aller de l’avant dans ce processus de guérison, vers un avenir toujours plus assaini et renouvelé. Je crois que c’est aussi le désir de vos grands-mères et de vos grands-pères, de nos grands-pères et de nos grands-mères. Que les grands-parents de Jésus, les saints Joachim et Anne, bénissent notre chemin.


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